Plaignant
Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal – Direction de l’administration et des communications et M. Richard Thériault, directeur
Mis en cause
M. André Noël, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Le Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal porte plainte contre le journal La Presse et le journaliste André Noël, pour la manchette du quotidien paru le 16 juin 2009. Selon le plaignant, il s’agit d’une manchette spectaculaire, sans fondement ni preuve, qui induit le lecteur en erreur et entache sans raison la réputation de deux élus. Le plaignant dénonce également le titre de l’article qui aurait un caractère sensationnaliste.
Griefs du plaignant
Au nom du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal, le directeur de l’administration et des communications, M. Richard Thériault, porte plainte contre la manchette de l’édition de La Presse du 16 juin 2009 et contre le titre d’un article du journaliste André Noël paru dans le quotidien le même jour.
M. Thériault précise que l’article est intitulé « La SQ ouvre une enquête » et que dans le sous titre on peut lire : « Les personnes visées sont cette fois deux élus de l’équipe du maire Tremblay et des membres de la mafia. » Par ailleurs, dans le second paragraphe, on trouve : « L’Entrepreneur […] affirme qu’un membre d’une famille connue de la mafia lui a demandé 40 000 $, une somme selon lui destinée à deux élus du cabinet du maire Gérald Tremblay […] » Et un peu plus loin dans l’article, on y lit : « La Presse n’a pu parler avec cet individu, et n’a aucune information montrant que les conseillers municipaux ont été mêlés à cet incident. »
Selon le directeur, il s’agit d’un titre « à la recherche du spectaculaire, sans fondement ni preuve, qui induit le lecteur en erreur ». Il conclut au manque d’éthique professionnelle et ajoute « qu’un geste semblable qui abîme sans raison la réputation de deux élus ne devrait pas avoir sa place ».
Dans un complément à sa plainte, M. Thériault soutient que le journaliste n’aurait pas reçu la confirmation de ses informations de deux sources différentes. Il précise que la première source est l’entrepreneur des travaux, M. Paul Sauvé. La seconde source serait « un représentant de la Sûreté du Québec (SQ) qui lui confirme que la SQ avait reçu, à la demande du Service de police de la Ville de Montréal, le mandat d’enquêter sur les allégations de M. Sauvé ». Selon le porte-parole de la Ville, on serait loin, dans ce cas, d’une enquête criminelle.
De plus, selon le plaignant, le représentant de la SQ nuancerait ses propos sur la crédibilité de M. Sauvé et ne confirmerait pas les allégations de fraude, mais qu’il les vérifierait. M. Thériault conclut : « Dans les faits, nous sommes face à une seule source qui associe des élus à des pots-de-vin. » Le porte-parole du plaignant en conclut que « l’atteinte à la réputation de deux élus d’Union Montréal et de son chef est gratuite et sans fondement. »
Dans une lettre subséquente, M. Thériault indique qu’il aimerait soumettre au Conseil le caractère sensationnaliste de la manchette qui parle « d’allégations de corruption », alors que rien dans les articles publiés ce jour-là ne confirme cette affirmation.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, affaires juridiques :
Me Bourbeau répond que les mis-en-cause nient les reproches formulés par le plaignant. En outre, ils sont d’avis que la plainte est infondée et doit être rejetée.
Me Bourbeau explique que l’article est clairement d’intérêt public et que chacun des faits, dont traite M. Noël, est pertinent et a fait l’objet de vérifications. De plus, l’article doit être replacé dans son contexte, soit une suite d’enquêtes journalistiques de la part de M. Noël, impliquant directement ou indirectement la Ville de Montréal, que le représentant des mis-en-cause décrit brièvement et qui portaient sur : la privatisation de la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM); le processus de vente et de développement du Faubourg Contrecoeur; et enfin, l’octroi du contrat pour l’installation des compteurs d’eau à la Ville de Montréal. à la suite de ces événements, considérés par les médias comme des scandales, et à la suite de nombreuses autres enquêtes visant le plaignant, il était d’intérêt public de faire état de ces nouvelles allégations d’irrégularités.
En ce qui concerne le reproche pour sensationnalisme, Me Bourbeau répond que la manchette, le titre et le paragraphe introductif accompagnant l’article, respectent parfaitement le sens, l’esprit et le contenu de celui-ci.
Le représentant des mis-en-cause précise que la manchette ne fait pas état de « corruption » mais d’ « allégations de corruption ». Il ajoute que la lecture du deuxième paragraphe de l’article vient ensuite confirmer au lecteur qu’il est bel et bien question d’allégations de corruption qui, bien que jugées assez sérieuses par la Sûreté du Québec pour qu’elle ouvre une enquête à ce sujet, n’ont pas encore été confirmées par un tribunal ou une commission d’enquête.
Le titre, pour sa part, est sans équivoque selon Me Bourbeau, mais le paragraphe introductif devait être lu dans son ensemble. Or, selon lui, l’extrait du plaignant n’a pas été replacé dans son contexte. Il explique : « le paragraphe introductif fait clairement état des éléments clés de l’article puisqu’il mentionne, dans l’ordre, i) le fait que la Ville de Montréal fait l’objet d’une enquête; ii) le fait que deux élus de la Ville sont mentionnés dans le cadre de l’enquête; iii) le fait que l’enquête découle de révélations faites par un entrepreneur ».
Me Bourbeau aborde enfin les affirmations du plaignant voulant que l’article soit diffamatoire puisqu’il porterait atteinte à la réputation de deux élus municipaux de la Ville Montréal et à son maire. Me Bourbeau répond par une citation du guide Droits et responsabilités de la presse du Conseil de presse à l’effet que le libelle et la diffamation relèvent de la juridiction des tribunaux civils et criminels. Il demande alors au Conseil de ne pas se prononcer sur cet aspect de la plainte.
Réplique du plaignant
Le plaignant répond que le réquisitoire du représentant des mis-en-cause passe à côté de l’essentiel : la perception du lecteur et le message qu’il retient. M. Thériault se demande ce que retient effectivement le lecteur lorsqu’il lit, bien en évidence, que deux élus de l’équipe du maire Tremblay sont associés à des membres de la mafia. Pour lui, poser la question c’est y répondre. Et émettre une telle affirmation sur la base du témoignage déjà jugé non crédible par l’enquêteur de la Sûreté du Québec lui-même, est sensationnaliste et relève même, de la diffamation.
Analyse
Selon M. Richard Thériault, directeur de l’administration et des communications du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal, les mis-en-cause auraient enfreint les règles de déontologie en faisant preuve de sensationnalisme et en induisant les lecteurs en erreur. Ils auraient ainsi atteint à la réputation de deux élus du parti Union Montréal et de son chef en les diffamant dans un article intitulé, « La SQ ouvre une enquête ». Cet article publié le 16 juin 2009 dans La Presse, au sujet d’une enquête de la Sûreté du Québec, traitait d’une tentative d’extorsion et de corruption relativement à un contrat pour la réfection du toit de l’hôtel de ville de Montréal.
Avant de se prononcer sur la conformité des manchettes et des titres avec les textes auxquels ils renvoient, le Conseil s’est d’abord penché sur l’exactitude de l’information publiée par le journaliste.
Grief 1 : exactitude de l’information
Selon le plaignant, rien dans les articles publiés, ce jour-là, ne confirmerait des « allégations de corruption », dont il est question dans la manchette du quotidien. De plus, le journaliste n’aurait pas reçu confirmation de ses informations de deux sources différentes.
Le Conseil note que, dans les faits, le texte signé par M. André Noël rapporte les révélations faites par M. Sauvé au journaliste. Au second paragraphe de l’article, il est indiqué textuellement : « L’entrepreneur qui a obtenu le contrat, Paul Sauvé, affirme qu’un membre d’une famille connue de la mafia lui a demandé 40 000 $, une somme selon lui destinée à deux élus du parti du maire Gérald Tremblay, Union Montréal. » Deux paragraphes plus loin, on peut lire qu’un des enquêteurs de la Sûreté du Québec qui mène une enquête a indiqué sous le couvert de l’anonymat : « Il y a des choses qui vont probablement aboutir. » Et sous le titre « Cinquième enquête », qui fait référence aux investigations de la SQ sur des contrats octroyés par l’administration du maire Gérald Tremblay, le journaliste affirme : « M. Sauvé nous a donné le nom du membre du crime organisé qui, selon lui, lui a demandé 40 000 $, ainsi que les noms des conseillers municipaux à qui l’argent aurait été destiné. » Au paragraphe suivant, on peut lire également : « La Presse a pu corroborer certaines parties de son témoignage, mais pas toutes. »
Au sujet des sources journalistiques, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) indique que « Les professionnels de l’information doivent identifier leurs sources d’information afin de permettre au public d’évaluer la crédibilité et l’importance des informations que celles-ci transmettent. » (p.32) Le guide ajoute qu’ils doivent aussi prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de ces sources et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent.
Or, le Conseil constate qu’en plus de M. Sauvé, le journaliste avait pour seconde source le policier qui confirme que la SQ a reçu le mandat d’enquêter sur ses allégations. Il avait aussi comme source additionnelle « l’entrepreneur qui avait joué le rôle d’intermédiaire », entre M. Sauvé et les représentants du crime organisé, et avec qui le journaliste s’est aussi entretenu.
Essentiellement, le journaliste rapporte qu’une personne formulait « des allégations » de tentative de corruption. Il donne des preuves que sa source, bien identifiée, prenait des risques énormes en révélant ces informations. Il indique aussi qu’un corps de police avait accordé suffisamment de crédibilité à cette source pour amorcer une enquête. Il cite également une tierce personne ayant participé à la rencontre durant laquelle s’est produite la tentative d’extorsion. Enfin, le journaliste avait déjà participé à plusieurs enquêtes au sujet de contrats avec l’hôtel de ville et était à même de juger de la crédibilité de ses sources.
Autres constats du Conseil lors de son examen du dossier, le journaliste rapporte que l’entrepreneur n’a pas cédé à la tentative d’extorsion et n’a pas versé l’argent demandé. De plus, le journaliste n’affirme jamais que l’argent a été remis à des élus municipaux, mais il ne fait que rapporter les propos d’un acteur impliqué dans un présumé système d’extorsion que ce dernier dénonce. Par conséquent, selon le Conseil, même sans avoir la certitude de l’existence formelle d’un tel système, et après avoir vérifié la vraisemblance et le sérieux des propos recueillis, il était du devoir du journaliste de publier cette information qui est manifestement d’un haut niveau d’intérêt public.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse considère les sources du journaliste et l’information publiée comme suffisamment fiables et conclut que le journaliste n’a commis aucun manquement aux règles de la déontologie professionnelle. Le grief est donc rejeté.
Grief 2 : sensationnalisme dans les manchettes et les titres
Selon le plaignant, la manchette du quotidien La Presse du 16 juin 2009 serait « à la recherche du spectaculaire, sans fondement ni preuve ». De plus, l’article est intitulé : « La SQ ouvre une enquête », et dans le sous titre on peut lire : « Les personnes visées sont cette fois deux élus de l’équipe du maire Tremblay et des membres de la mafia. »
Au sujet des manchettes, des titres et des légendes, le guide de déontologie du Conseil de presse indique : « Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’ « information-spectacle » risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelle des informations qui lui sont transmises. » (DERP, p. 22)
Selon le plaignant, la manchette du quotidien serait sensationnaliste parce qu’elle parle « d’allégations de corruption », alors que rien dans les articles publiés ce jour-là ne confirmerait cette affirmation. Or, après examen, le Conseil constate que, dans les faits, le contenu de la manchette s’avère tout à fait conforme au contenu de l’article de M. Noël qui traite d’allégations de corruption. Par conséquent, le grief n’est pas retenu sur cet aspect.
En ce qui a trait à la partie de la manchette indiquant, « Et raconte le cauchemar que lui a fait vivre le crime organisé », le Conseil a noté que la une du quotidien introduisait non seulement le texte de M. Noël, mais également celui du journaliste Denis Lessard.
Le long texte de ce dernier, qui paraît en page A4 du quotidien le même jour, est intitulé « Un entrepreneur se met à table ». L’article raconte une autre partie de l’histoire de M. Sauvé, au moment où ce dernier était aux prises avec les Hells Angels.
Aux yeux du Conseil, la manchette et les titres mis en cause se conforment aux principes déontologiques voulant qu’ils respectent le sens, l’esprit et le contenu du texte auquel ils renvoient (DERP, p. 28). Le Conseil considère donc qu’il n’y a pas lieu de retenir le grief sur cet aspect.
Comme aucun des éléments reprochés aux mis-en-cause n’a été considéré contraire à la déontologie, le grief pour sensationnalisme n’est pas retenu.
Grief 3 : atteinte à la réputation
Le plaignant déplore que, des précédents griefs, découle une atteinte à la réputation de deux élus du parti Union Montréal et de son chef. à ce sujet, le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère juridique. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, comme aucun grief n’a été retenu, le comité des plaintes et de l’éthique de l’information (CPEI) du Conseil de presse rejette, à majorité, la plainte de M. Richard Thériault du Cabinet du maire et du comité exécutif de la Ville de Montréal contre le journaliste André Noël et le quotidien La Presse.
Un membre du CPEI a tenu à inscrire sa dissidence avec un aspect de la décision, celui du bien-fondé de la mention que deux élus du parti Union Montréal étaient impliqués dans le système de corruption allégué et qu’ils faisaient l’objet d’une enquête. Selon lui, pour être publiée, une telle affirmation devait répondre à deux conditions, celle de l’intérêt public de la révélation et celle de la fiabilité de l’information.
Or, selon le membre dissident, seule la condition de l’intérêt public était respectée. La fiabilité de l’information, pour sa part, faisait défaut parce qu’elle avait été obtenue par ouï-dire, c’est-à-dire d’une source secondaire; la source de cette information, un membre de la mafia, était peu crédible par nature et aurait dû inciter à la plus grande prudence; et enfin, le journaliste n’avait jamais contre vérifié cette information.
Pour ces raisons, cette mention n’aurait pas dû être publiée, selon le membre dissident. Le texte prend soin de préciser: « La Presse a pu corroborer certaines parties de son témoignage [celui de M. Sauvé], mais pas toutes. » En se gardant de préciser lesquelles, La Presse nuit à l’exactitude de l’information et à la capacité du public d’évaluer la crédibilité et l’importance des informations transmises, selon le membre dissident.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17A Diffamation