Plaignant
M. Charles Lespérance
Mis en cause
M. Éric Clément, journaliste; M. Éric Trottier, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Charles Lespérance reproche à La Presse d’avoir utilisé faussement la mention « exclusif » dans le titre d’un article paru le 9 juillet 2009. Puisque le même jour un quotidien concurrent publiait la même nouvelle, le plaignant conclut que cette mention est inexacte et sensationnaliste.
Griefs du plaignant
M. Charles Lespérance accuse le quotidien La Presse d’avoir utilisé faussement le mot « exclusif » dans le titre d’un article. Cette information serait inexacte et sensationnaliste puisqu’un autre quotidien, le Journal de Montréal, a publié la même nouvelle le même jour.
Le plaignant précise que l’article intitulé « Un ex-directeur adjoint perd sa cause » est paru dans le quotidien La Presse, le 9 juillet 2009, sous la plume du journaliste Éric Clément. L’article avait pour sujet un jugement rendu par la Commission des relations du travail, relativement à l’implication d’un ancien directeur adjoint des travaux publics de l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, dans le scandale des contrats de transport de neige.
Selon M. Lespérance, le quotidien La Presse aurait ainsi manqué à ses obligations d’honnêteté et d’exactitude, telles que décrites à l’article 2.1.4 du guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil, de même qu’à celles prévues à l’article 2.1.5 à l’effet que « les manchettes et les titres doivent respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient ».
Enfin, selon le plaignant, il était injustifié pour les mis-en-cause de prétendre à l’exclusivité d’une décision administrative rendue par la Commission des relations du travail.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Patrick Bourbeau, procureur des mis-en-cause :
Me Bourbeau répond que les mis-en-cause sont d’avis que la plainte est mal fondée et qu’elle doit être rejetée pour les motifs qui suivent.
Le procureur souligne « que la mise en valeur du caractère exclusif des nouvelles contenues dans La Presse s’inscrit dans un contexte plus large que celui de l’article et que celui du présent dossier ». Il rappelle alors la pression à laquelle les médias dits « traditionnels » doivent faire face devant la « compétition grandissante de la part de divers types de sites web, tels les agrégateurs, les portails, les blogs et les sites de nouvelles qui reprennent leur contenu ». Or, précise-t-il, « ce contenu est obtenu au terme d’un déploiement de ressources colossales de la part des médias traditionnels, dont La Presse. […] La mise en Œuvre de ces ressources ne peut se faire qu’au prix de dépenses considérables qui ne sont compensées par les revenus de vente et, surtout, par les revenus publicitaires ». Selon le procureur, certains sites Internet s’approprieraient les nouvelles publiées ou diffusées par les médias traditionnels et les reproduiraient, parfois même sans les modifier, sur leur propre plateforme, pour attirer un volume croissant d’internautes, soutirant ainsi aux médias traditionnels les revenus publicitaires nécessaires à leur survie.
Dans ce contexte, conclut le procureur, le fait de publiciser le caractère « exclusif » de certaines nouvelles vise deux objectifs : démontrer aux lecteurs que La Presse leur offre une valeur ajoutée par l’entremise d’un contenu qu’ils ne trouveront pas ailleurs et signifier en même temps aux opérateurs de sites web que ce contenu est exclusif à La Presse.
Me Bourbeau indique ensuite que La Presse s’efforce de vérifier en tout temps qu’une nouvelle est bien « exclusive » avant de la désigner comme telle, mais que, malgré ces précautions, il peut arriver, comme c’est le cas pour l’article mis en cause, qu’une erreur de bonne foi soit commise et qu’un autre média publie la nouvelle en même temps qu’elle. Pour le procureur, il est évident que le quotidien n’avait aucunement l’intention d’induire ses lecteurs en erreur et qu’il n’a aucune raison de le faire puisqu’il en va de sa crédibilité en tant qu’organe de presse. « La Presse ne peut que regretter de telles occurrences », indique-t-il, et continuer ses efforts pour qu’elles se produisent le moins souvent possible.
Le procureur termine en faisant observer que la désignation d’exclusivité de la nouvelle ne fait pas partie du contenu de l’article et qu’elle n’affecte en rien l’honnêteté de son contenu.
En ce qui concerne le reproche pour sensationnalisme, le procureur répond que la manchette, le titre et le paragraphe introductif accompagnant l’article, respectent parfaitement le sens, l’esprit et le contenu de ce dernier.
Réplique du plaignant
Le plaignant répond que « l’explication de Me Bourbeau à l’effet que la mention du caractère exclusif « s’inscrit dans un contexte plus large que celui de l’article » lui apparaît sans fondement ». Car, si La Presse veut s’assurer que des sites web ne s’approprient pas ses textes, elle n’a qu’à inscrire la mention « droits réservés », « droit d’auteur » ou « copyright » à côté de l’article. Quand la mention « exclusif » apparaît dans La Presse, cela signifie que le quotidien a obtenu une information exclusive avant tout le monde.
De la réponse de Me Bourbeau, le plaignant retient que La Presse reconnaît avoir commis une erreur dans le dossier. M. Lespérance insiste sur l’utilisation impropre du qualificatif « exclusif », puisqu’il s’agissait d’une décision rendue par la Commission des relations du travail qui, en principe, devait être accessible à tous les médias en même temps.
Reprenant ensuite sa référence à l’article 2.1.5 du guide DERP, le plaignant réitère que cette disposition s’applique, dans ce cas, puisque le premier paragraphe de cette section mentionne que « les manchettes et les titres doivent respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient » et que « les responsables doivent éviter le sensationnalisme », ce que n’a pas fait La Presse.
Pour ces raisons, à titre de lecteur, le plaignant aurait été induit en erreur.
Analyse
Le plaignant, M. Charles Lespérance, estime que le 9 juillet 2009, le quotidien La Presse a faussement laissé entendre qu’il avait obtenu une information de façon exclusive, alors que le Journal de Montréal avait publié la même nouvelle, le même jour.
En utilisant erronément le mot « exclusif » dans le titre d’un article, La Presse aurait donc, selon le plaignant, manqué à ses obligations déontologiques d’exactitude, en plus de donner dans le sensationnalisme. Le quotidien aurait également manqué à ses obligations d’honnêteté dans le traitement de l’information.
Grief 1 : inexactitude
Selon le plaignant, La Presse aurait manqué à ses obligations d’exactitude en inscrivant dans le titre d’un article le mot « exclusif », laissant ainsi faussement entendre à ses lecteurs « qu’elle avait reçu ou obtenu en avance sur ses concurrents de façon exclusive un document public, alors qu’il n’en était rien ».
Le guide déontologique du Conseil, les Droits et responsabilités de la presse, indique à l’article 2.1.4 que « les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation […] avec exactitude ». (DERP, p. 26)
Avant de trancher sur le grief, le Conseil s’est d’abord arrêté à la notion d’exclusivité et a retenu comme définition du qualificatif « exclusif », celle en usage dans le milieu québécois de l’information, soit : « Caractère d’une information qui est publiée ou diffusée par un seul organe de presse ».
En décidant d’utiliser le terme « exclusif », un média est rarement assuré d’être le seul à détenir une information et à pouvoir la révéler. Pour ne pas induire le public en erreur, il doit utiliser ce procédé uniquement lorsqu’il juge très forte la probabilité d’être le seul à détenir cette information qu’il considère exclusive.
Dans le cas présent, le Conseil a constaté que l’accès à cette information était déjà public, puisqu’il était accessible à tous sur le site Internet de la Commission des relations du travail. La probabilité d’être le seul à publier cette information était trop faible, selon le Conseil, pour justifier l’utilisation du qualificatif « exclusif » et le journal aurait dû alors s’en abstenir. Un quotidien concurrent a d’ailleurs publié la même information, le même jour. Par conséquent, il ne s’agissait pas d’une exclusivité.
Le grief est donc retenu pour utilisation inexacte du mot « exclusif » dans le titre.
Grief 2 : sensationnalisme
Selon le plaignant, le quotidien La Presse aurait donné dans le sensationnalisme et manqué à ses obligations déontologiques, telles qu’inscrites dans le guide des Droits et responsabilités de la presse du Conseil.
Au sujet du sensationnalisme, le guide DERP précise, à l’article 2.1 : « Le recours au sensationnalisme et à l’ « information-spectacle » risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et, d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. » (DERP, p. 22)
Même si les mis-en-cause ont été imprudents en utilisant la mention « exclusif », aux yeux du Conseil, l’inexactitude qui en a résulté n’avait pas une importance suffisante pour être associée à du sensationnalisme, comme le prétend le plaignant. Par conséquent, le grief pour sensationnalisme est rejeté.
Grief 3 : manquement à l’honnêteté
Le quotidien La Presse aurait manqué à ses obligations d’honnêteté en inscrivant, dans le titre de l’article, le mot « exclusif ».
Le guide DERP indique, à son article 2.1.4, que « les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (DERP, p. 26)
Le Conseil note que les mis-en-cause reconnaissent et disent regretter ce qu’ils nomment « une erreur de bonne foi », alors qu’ils n’auraient eu aucune intention d’induire leurs lecteurs en erreur.
à ce sujet, même si les mis-en-cause n’ont pas pris toutes les précautions pour s’assurer du caractère inédit de la nouvelle, il n’a pas été démontré, par le plaignant, qu’ils ont tenté sciemment d’induire le public en erreur.
Dans ce contexte, le Conseil ne conclut à aucun manquement à l’honnêteté de la part des mis-en-cause et rejette le grief.
Décision
Au vu de ce qui précède et pour les raisons exposées, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de M. Charles Lespérance contre le quotidien La Presse et contre les responsables du titrage au seul motif d’inexactitude. Les griefs pour sensationnalisme et pour manquement à l’honnêteté sont rejetés.
De plus, le Conseil rejette la plainte de M. Charles Lespérance contre le journaliste M. Éric Clément, ce dernier n’ayant pas la responsabilité de l’élaboration des titres.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8.2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue