Plaignant
Mme Françoise Lachapelle
Mis en cause
L’hebdomadaire L’Avenir et Mme Sylvia Cerasi, directrice de l’information
Résumé de la plainte
Le 22 octobre 2009, l’hebdomadaire L’Avenir aurait publié, sur son site Internet, un blogue consacré à la campagne électorale municipale, contenant des propos inexacts et méprisants à l’endroit de, la plaignante, Mme Lachapelle. De plus, selon cette dernière, alors que des messages pouvant nuire à l’équipe du maire sortant ont été supprimés du site Internet de l’hebdomadaire, ceux qui désavantageaient son équipe n’auraient pas été enlevés. Après les élections, elle aurait demandé aux mis-en-cause de faire disparaître ces propos de leur site, mais sans succès.
Griefs du plaignant
Mme Françoise Lachapelle était candidate aux élections municipales à Montréal-Est le 1er novembre 2009. Dans le cadre de ces élections, l’hebdomadaire régional L’Avenir donnait la possibilité, à qui le voulait, de commenter sur son site Internet, à l’onglet « élections municipales », les articles publiés sur le sujet. La plaignante déplore que, le 22 octobre 2009, dans un blogue consacré à la campagne électorale à Montréal-Est, l’hebdomadaire ait manqué à ses obligations professionnelles à son endroit.
La plaignante affirme : « Des propos mensongers [et] diffamatoires ont été véhiculés par des sources anonymes, pseudonymes et ou fictives, dans le seul but de nuire à ma réputation et celle de mon équipe afin d’éviter mon élection. » Elle ajoute que des messages qui pouvaient nuire à l’équipe adverse auraient également été enlevés, par partialité de la part des mis-en-cause. La plaignante demande pourquoi ces messages ont été retirés, mais non ceux qui désavantageaient son équipe. Les propos mensongers relevés, par la plaignante, et inscrits sur ce site Internet des mis-en-cause sont à l’effet qu’on l’aurait vue « amener son mari presque non conscient à un conseil municipal pour ne pas perdre son poste de conseiller »; que la Caisse populaire de Montréal-Est « l’a fait quitter [son emploi] subito presto », mais on ne sait pas pourquoi; et qu’il en était de même pour « l’autre caisse » où elle travaillait précédemment.
à la suite de ces articles, Mme Lachapelle aurait reçu une lettre anonyme la traitant de voleuse et lui adressant d’autres injures. Elle précise qu’elle ne possède aucun dossier criminel et que, selon elle, les commentaires publiés ont considérablement entaché sa réputation.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Sylvia Cerasi, directrice de l’information :
Mme Cerasi répond que, durant la campagne électorale municipale, son hebdomadaire a couvert les événements, mais a également laissé une place aux communiqués de presse, sur son site Internet. Les deux partis en lice ont alors profité de cette offre et ont fait parvenir régulièrement des communiqués au journal.
La directrice de l’information indique également que les deux plateformes de son hebdo, papier et Web, sont soumises aux mêmes règles d’éthique journalistique et à la même politique rédactionnelle. Selon elle, les commentaires pouvant porter préjudice et ceux de nature litigieuse sont toujours enlevés, conformément à cette politique.
En ce qui a trait à l’accusation de la plaignante voulant que, par partialité, les mis-en-cause aient enlevé des commentaires litigieux concernant le parti adverse, la directrice explique qu’une des candidates de ce parti avait contacté L’Avenir pour que certains commentaires, empruntant faussement son identité, soient retirés. Chacun des commentaires a été scruté avec la candidate et certains ont été enlevés sur la base des règles édictées par la politique du journal.
Selon Mme Cerasi, jamais le parti de Mme Lachapelle n’a contacté son hebdo pour se prêter au même exercice. Elle précise même que, contrairement à ce que prétend Mme Lachapelle, en aucun temps le candidat à la mairie et chef de son parti n’a demandé de retirer des commentaires. Il aurait plutôt parlé de modifier les politiques d’utilisation des sites Web de L’Avenir et « d’effacer du contenu rédactionnel ». La directrice de l’information expose ensuite en détails les demandes du chef de parti de Mme Lachapelle.
En ce qui a trait au fait de demander aux lecteurs de s’identifier lorsqu’ils présentent un commentaire et de revoir toute la politique d’utilisation du site Internet de l’hebdo, la réponse a été que le journal ne donnerait pas suite à cette demande, parce qu’elle ne tenait pas compte de la pratique actuelle sur de nombreux sites Internet, y compris celui de L’Avenir.
Dans une autre demande, le chef du parti de Mme Lachapelle souhaitait voir effacer tout le contenu de la campagne électorale et, de ce fait, tous les commentaires, étant donné que l’élection était chose du passé. La réponse a été que, pour des raisons d’archivage, il était impossible d’effacer tout le contenu de la campagne électorale du site. Toutefois, l’hebdo a retiré l’onglet « élections municipales » et a déplacé les textes sous celui de « Politique ». Le contenu demeurait ainsi présent dans les archives et aux fins de consultation, comme c’est le cas pour tous les articles.
La directrice de l’information précise : « Le commentaire concernant le dossier criminel de Mme Lachapelle a été retiré. En effet, notre devoir est d’enlever les commentaires tendancieux pouvant porter préjudice, et ce, dans un délai raisonnable, ce que nous nous employons à faire. C’est ce que nous avons fait dans ce cas précis. »
Mme Cerasi termine en rappelant le principe voulant qu’un éditeur soit responsable de son contenu, dont le choix est sa prérogative. C’est ce que son hebdomadaire s’emploie à faire chaque jour avec diligence et professionnalisme.
Réplique du plaignant
Après avoir cité trois extraits de la politique d’utilisation des sites Internet de l’hebdomadaire L’Avenir, la plaignante affirme qu’aucun de ces articles n’a été respecté. Elle déplore notamment que Mme Cerasi ait vérifié avec une candidate concurrente certains commentaires écrits sous de fausses identités, mais qu’elle ait ignoré les demandes faites poliment par son chef de parti concernant la plaignante et des membres de son équipe. Elle donne des exemples de commentaires qui ne seraient pas litigieux, selon la directrice de l’information, et affirme ne pas partager son avis.
La plaignante affirme ensuite que jamais les articles de politique d’utilisation des sites Internet cités n’étaient visibles sur le site en question.
Elle rappelle alors certains commentaires « tendancieux, haineux et mensongers » qui auraient été formulés sur le site Internet de L’Avenir.
La plaignante affirme n’avoir jamais amené son mari presque inconscient à une réunion du conseil municipal; elle n’a jamais volé ou fraudé personne; elle n’a pas de dossier criminel et n’en a jamais eu.
Mme Lachapelle dit ne pas comprendre les explications de Mme Cerasi au sujet de ce dossier criminel qu’elle aurait. Elle demande qui a vérifié cette information et quel commentaire a été retiré du site Internet.
La plaignante joint à son envoi copie des commentaires inscrits sur le site Internet de l’hebdomadaire le 3 novembre 2009, durant la campagne, et de ce qui était encore accessible sur le site le 13 janvier 2010. Selon elle, rien n’a été modifié. Elle termine en indiquant que tous ces commentaires n’ont pas été vérifiés, avant publication, sur le site Internet de l’hebdomadaire et demande que tous ceux la concernant soient retirés parce qu’ils lui causent préjudice.
Analyse
Selon la plaignante, des propos mensongers et diffamatoires auraient été véhiculés sur le site Internet de l’hebdomadaire L’Avenir, dans le seul but de nuire à sa réputation et à celle des membres de son parti. De plus, des messages nuisibles à l’équipe adverse auraient été enlevés par les mis-en-cause, mais non ceux qui désavantageaient son équipe. Ces propos mensongers auraient considérablement entaché sa réputation. La plaignante aurait demandé, sans succès, que tous les propos la concernant soient retirés du site Internet de l’hebdomadaire, parce qu’ils lui causaient préjudice.
Le Conseil de presse rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère juridique. Comme le Conseil ne rend pas de décisions en la matière, les griefs pour propos diffamatoires et atteinte à la réputation ne seront pas traités dans la présente décision.
Grief 1 : inexactitudes et manque de rigueur
Selon Mme Lachapelle, L’Avenir aurait manqué à ses obligations d’exactitude en permettant que soient publiées, sur le site Internet de l’hebdomadaire, des informations inexactes à son sujet.
Le guide déontologique du Conseil, Droits et responsabilités de la presse, indique que les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation avec exactitude. (DERP, p. 26)
Le Conseil a examiné les exemples fournis par la plaignante. Pour ce qui est de l’accusation d’avoir amené son mari presque inconscient à une réunion du conseil municipal, le Conseil de presse note que cette accusation est bien affirmée sur le site des mis-en-cause. Toutefois, elle est fermement contredite par la plaignante.
Devant ces informations contradictoires et non démontrées, le Conseil ne se prononce pas sur ce premier point.
Les deux autres exemples fournis par la plaignante avaient trait aux affirmations voulant que la Caisse populaire de Montréal-Est « l’a fait quitter [son emploi] subito presto » sans qu’on sache pourquoi et qu’il en était de même pour « l’autre caisse » où elle avait travaillé précédemment. à ces informations, la plaignante réplique qu’elle n’a jamais volé ou fraudé personne, qu’elle n’a pas de dossier criminel et qu’elle n’en a jamais eu.
Le Conseil note que, bien que la plaignante soutienne qu’elle n’a pas de dossier criminel, elle ne contredit, à aucun moment, les propos voulant qu’elle ait dû quitter les emplois en question. Par conséquent, l’inexactitude des deux affirmations n’étant pas démontrée, le grief n’est pas retenu.
Toutefois, le Conseil a relevé un manquement important à la déontologie dans les circonstances. En effet, selon un principe clairement affirmé dans le guide déontologique du Conseil, les médias doivent veiller à ce que les contributions des lecteurs, lettres ou participations aux blogues, « ne véhiculent pas de propos outranciers, insultants ou discriminatoires pouvant être préjudiciables à des personnes ou à des groupes. Les médias doivent ainsi éviter de créer des tribunes pamphlétaires qui n’auraient d’autre effet que de porter atteinte à la réputation des personnes ». DERP, p. 38
En raison des impacts possibles sur les réputations, la rigueur commandait aux mis-en-cause un devoir de vérification raisonnable des faits avant de les publier sur leur site Internet.
Pour avoir omis une telle vérification le Conseil retient le grief pour manque de rigueur.
Grief 2 : propos méprisants, irrespectueux et portant atteinte à la dignité
Selon la plaignante, certains propos ont été véhiculés, sur le site Internet de L’Avenir, par des sources anonymes, utilisant des pseudonymes et/ou fictives de l’hebdomadaire, dans le seul but de lui nuire et de nuire à son équipe afin d’éviter son élection.
Au sujet de l’attitude de la presse à l’égard des personnes et des groupes, le guide DERP du Conseil précise : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter […] d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne […]. » DERP, p. 41
En premier lieu, la mention d’avoir forcé la présence de son mari à une réunion du conseil municipal, même s’il était malade, n’avait pas, selon le Conseil de presse, la portée que lui prête la plaignante et ces propos ne pouvaient être considérés comme méprisants ou portant atteinte à la dignité.
Il en va de même pour les mentions faites sous forme interrogative concernant les raisons pour lesquelles la plaignante n’était plus à l’emploi d’une institution financière. Le Conseil a estimé que, puisque la plaignante briguait les suffrages pour un poste représentant une responsabilité dans la sphère publique, et comme cette fonction impliquait la participation à des décisions économiques et financières, il était d’intérêt public de clarifier des éléments du parcours professionnel de la candidate.
Toutefois, l’examen des commentaires fournis par la plaignante permet de relever plusieurs exemples de propos méprisants, irrespectueux et portant atteinte à la dignité :
– Honnêteté mise en doute sur la place publique et mépris : « Lachapelle à l’éthique, faut le faire, c’est comme mettre à l’éthique Benoît Labonté, c’est du même calibre. » (M. Labonté était à ce moment associé à un système de corruption et de financement illégal à un parti politique).
– Accusations de malhonnêteté, non étayées, de personnes nommément identifiées : « Fournier, Dauphinais et même Labrosse sont tous croches, allô, réveillez-vous, calvaire. »
– Autre accusation de malhonnêteté non étayée : « Si vous […] seriez au courant de tous les vols […] qu’a l’équipe de la Renaissance […]. »
– Ton disgracieux et irrespectueux : « On se la ferme, Lamontagne. Mets la en veilleuse. »
– Niveau de langage et propos irrespectueux : « […] si Mme Lachapelle passerait […] moins de temps sur son ordinateur à faire de la merde comme elle a toujours fait […] ».
Pour le Conseil, ces exemples révèlent un manquement, de la part des mis-en-cause, dans la gestion de leur site Internet. Car, selon le guide des Droits et responsabilités de la presse, les médias sont responsables de tout ce qu’ils publient et ils ne doivent en aucun temps se soustraire aux standards professionnels de l’activité journalistique. Cette responsabilité englobe les commentaires et les informations provenant du public auxquels ils accordent un espace sur leur site Internet.
Pour l’ensemble de ces raisons, le grief pour propos méprisants, irrespectueux et portant atteinte à la dignité est retenu.
Le Conseil note au passage qu’en plus de ces manquements, les mis-en-cause n’ont pas respecté non plus leurs propres règles édictées dans la politique du journal.
Grief 3 : absence de rétractation
La plaignante indique qu’elle aurait demandé, sans succès, que tous les commentaires la concernant soient retirés du site Internet de l’hebdomadaire, parce qu’ils lui causaient préjudice. Des messages qui pouvaient nuire à l’équipe adverse auraient été enlevés de leur site Internet par les mis-en-cause. La plaignante demande pourquoi ces messages ont été enlevés, mais pas ceux qui désavantageaient son équipe
à cette accusation, les mis-en-cause répondent que la plaignante aurait pu faire la même demande, mais qu’elle ne l’a pas faite. La plaignante réplique que des demandes en ce sens ont été faites par le chef de son parti, mais que les mis-en-cause n’y ont pas donné suite.
Au terme de l’examen des commentaires exprimés sur le site Internet des mis-en-cause et compte tenu des manquements relevés, le Conseil estime que les mis-en-cause auraient dû procéder à un examen systématique des contenus de leur site Internet et procéder au retrait de tous les éléments pouvant contrevenir aux normes déontologiques. En effet, si les mis-en-cause avaient appliqué une modération efficace de leur blogue dès le début, les manquements observés par le Conseil dans cette plainte auraient pu être évités.
Enfin, selon le Conseil, le retrait des propos inacceptables dont il a été question plus haut aurait dû s’étendre également à tous les éléments conservés dans les archives du site Internet des mis-en-cause.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil retient le grief pour absence de rétractation.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons et à l’exception du grief pour inexactitudes, le Conseil de presse retient la plainte de Mme Françoise Lachapelle contre l’hebdomadaire L’Avenir et sa rédactrice en chef, Mme Sylvia Cerasi, pour manque de rigueur, pour publication sur son site Internet de propos méprisants, irrespectueux et portant atteinte à sa dignité ainsi que pour absence de rétractation.
Pour ces mêmes raisons, le Conseil invite la direction de L’Avenir à revoir les méthodes de gestion et les critères utilisés, par les modérateurs de leur site Internet, afin de les rendre conformes aux normes déontologiques du Conseil de presse.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C19A Absence/refus de rectification