Plaignant
M. Stéphane Tremblay
Mis en cause
M. Karl Tremblay, photographe; M. Éric Cliche, directeur de l’information et le quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
M. Stéphane Tremblay porte plainte contre le photographe Karl Tremblay pour avoir publié, à son insu et sans son consentement préalable, une photographie où il apparait en compagnie de sa mère, à la une de l’édition du 21 décembre 2009 du quotidien Le Journal de Québec, sous le titre « Magasinage de Noël – rien ne freine les ardeurs ».
Griefs du plaignant
M. Stéphane Tremblay déplore que le photographe Karl Tremblay ait publié, à la une de l’édition du 21 décembre 2009 du Journal de Québec, sous le titre « Magasinage de Noël – rien ne freine les ardeurs », une photographie de lui et de sa mère, prise à son insu et sans son consentement.
Le plaignant souligne avoir contacté le directeur de l’information du quotidien, M. Éric Cliche, qui lui aurait mentionné qu’il n’était pas possible que le photographe ait fait cela sans autorisation et, qu’en l’absence de ce dernier, il ne pouvait, pour le moment, que présenter ses excuses.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Me Bernard Pageau, affaires juridiques :
Me Pageau indique que la question du consentement pour la publication d’une image d’une personne relève du domaine juridique. Il précise que l’article 36 du Code civil du Québec prévoit que le consentement d’un individu n’est pas requis pour une information légitime du public.
Selon le représentant des mis-en-cause, la publication de cette photographie était justifiée par l’intérêt légitime du public, reposant sur une question d’actualité, celle du magasinage de Noël et de l’achalandage dans les magasins. Me Pageau mentionne que la photographie montre un endroit public, où plusieurs personnes sont impliquées dans une activité de magasinage, et affirme que, dans ce cas-ci, aucune permission n’avait à être obtenue des individus qui figurent sur la photo.
Il ajoute que la photographie ne montre pas seulement une personne, mais un groupe de personnes. Sur ce point, Me Pageau se réfère à une décision de la Cour suprême, de 1998, Aubry c. éditions Vice-Versa inc. indiquant que, lorsque plusieurs personnes apparaissent sur une photo, sans être particularisées, le consentement des personnes en cause n’est pas requis.
Finalement, Me Pageau estime que, même si un consentement était requis, la proximité du photographe était telle que les personnes ne pouvaient ignorer sa présence. Il s’agirait donc d’un consentement implicite, compte tenu de cette promiscuité.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a fourni aucune réplique.
Analyse
M. Stéphane Tremblay porte plainte contre le photographe Karl Tremblay pour avoir publié, à son insu et sans son consentement préalable, une photographie où il apparait en compagnie de sa mère, à la une de l’édition du 21 décembre 2009 du quotidien Le Journal de Québec, sous le titre « Magasinage de Noël – rien ne freine les ardeurs ».
Grief 1 : atteinte à la vie privée
M. Tremblay déplore que Le Journal de Québec ait publié à son insu et sans qu’il n’ait fourni de consentement, à la une de l’édition du 21 décembre 2009, une photographie de lui et de sa mère.
Le plaignant affirme également que le directeur de l’information lui aurait confirmé qu’une autorisation préalable était nécessaire.
Le représentant des mis-en-cause, Me Bernard Pageau, présente trois arguments pour justifier le comportement du média.
(a) Le sujet de la photo, l’achalandage dans les magasins pendant la période des fêtes, constitue une information légitime pour le public et, en vertu du Code civil du Québec, il n’était pas nécessaire d’obtenir le consentement du plaignant.
(b) La photo montre un groupe de personnes non particularisées, ce qui exemptait le média d’obtenir le consentement du plaignant, en vertu du jugement Aubry c. éditions Vice-Versa inc. (1998) de la Cour suprême du Canada.
(c) Si un consentement était requis, la proximité du photographe du Journal de Québec était telle que les sujets ne pouvaient ignorer la prise de vue et qu’un consentement implicite peut en être inféré, compte tenu de cette proximité.
En ce qui concerne l’attitude de la presse à l’égard du respect du droit à la vie privée, le guide de déontologie du Conseil de presse, les Droits et responsabilités de la presse (DERP), affirme que : « Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de la réputation. Le public, pour sa part, a le droit d’être informé sur ce qui est d’intérêt public et la presse le devoir de l’en informer. » DERP, p. 42
Le DERP mentionne également que : « Lorsque des faits, des événements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne. » DERP, p. 42
Après examen, le Conseil conclut qu’il ne partage pas l’ensemble des points de vue exposés par les mis-en-cause.
L’achalandage dans les magasins pendant la période des fêtes constitue un sujet d’intérêt public qui justifie la publication de photos illustrant cette réalité. L’intérêt public porte sur l’achalandage des magasins et non sur la présence spécifique d’un citoyen qui n’a jamais autorisé la publication de son image à la une d’un quotidien. Ainsi, pour le Conseil, dans ce cas précis, le principe d’intérêt public n’autorisait pas le média à publier la photo du plaignant sans son consentement.
Le Conseil ne partage pas, non plus, la thèse du consentement implicite. M. Tremblay a très bien pu ne jamais voir le photographe et ne jamais consentir implicitement à l’enregistrement, encore moins à la publication de son image.
Par ailleurs, le Conseil considère que l’étalage de produits électroniques (Wii), en vente dans le magasin, constitue l’élément central de la photo publiée. Bien que M. Tremblay soit identifiable sur la photo et qu’il n’y occupe pas une place négligeable, son image n’en constitue pas pour autant l’objet principal, mais davantage son objet secondaire.
L’importance secondaire de l’image de M. Tremblay dans la photo justifie-t-elle sa publication sans consentement? Dans un tel contexte, comment équilibrer le droit de M. Tremblay au respect de sa vie privée avec la liberté de presse et le droit du public à l’information?
Dans la recherche de cet équilibre des droits, et puisque l’intérêt public ne justifiait pas, dans le cas présent, la publication de l’image du plaignant sans son consentement, le Conseil considère que, compte tenu du nombre limité de personnes identifiables, le consentement aurait été nécessaire avant de publier la photographie mise en cause. En ne respectant pas cette obligation, Le Journal de Québec commettait une faute déontologique.
En raison des motifs énoncés ci-haut, le grief est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient, à la majorité (3 sur 5), la plainte de M. Stéphane Tremblay, à l’encontre du photographe M. Karl Tremblay et du quotidien Le Journal de Québec, pour atteinte à la vie privée.
Deux membres du comité expriment leur dissidence et considèrent que le consentement du plaignant n’était pas obligatoire. Selon eux, les mis-en-cause n’ont pas commis de faute déontologique en publiant l’image du plaignant sans son consentement bien que son autorisation aurait été préférable.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo