Plaignant
M. Paul-Edmond Lalancette
Mis en cause
M. Jacques Beauchamp, animateur; Mme Lucie Benoit, réalisatrice et l’émission « Maisonneuve en direct – La tribune »
Mme Christiane Charette, animatrice; M. Bruno Guglielminetti, réalisateur et l’émission « Christiane Charette » et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. Paul-Edmond Lalancette porte plainte contre la Société Radio-Canada et deux de ses animateurs, pour avoir fait preuve de partialité dans le choix des invités aux émissions « Maisonneuve en direct – La tribune » et « Christiane Charette ». Le plaignant déplore que, lors des discussions avec les invités, les animateurs mis en cause n’aient présenté qu’un point de vue féministe, sans présenter celui des personnes qui défendent les droits des hommes.
Griefs du plaignant
Griefs à l’encontre de M. Jacques Beauchamp, animateur de l’émission « Maisonneuve en direct – La tribune » :
M. Paul-Edmond Lalancette porte plainte contre M. Jacques Beauchamp, animateur de l’émission « Maisonneuve en direct – La tribune », ainsi que contre la Société Radio-Canada, pour avoir fait preuve de partialité dans le choix de leurs invités.
Diffusée le 30 juillet 2009, l’émission mise en cause avait pour sujet la question : « Sexiste, la publicité québécoise? ». Selon le plaignant, alors que ce sujet concerne tout autant les hommes que les femmes, on a interviewé une représentante des groupes de femmes sans avoir invité, pour donner un autre point de vue, un porte-parole des groupes qui viennent en aide aux hommes.
Le plaignant explique que, lors de cette émission, « on a interviewé Madame Jeanne Maranda, une représentante des groupes de femmes, qui en a profité pour formuler des généralisations sur les hommes dans l’exercice du pouvoir et sur la violence. Il y avait bien deux autres invités, soient (sic) un sociologue et un spécialiste en histoire de la consommation, mais ils n’ont pas répliqué aux propos exagérés à l’égard des hommes, de Madame Maranda. » M. Lalancette considère que le sujet abordé ne justifiait pas d’inviter une féministe, mais si on décidait de le faire, « l’absence de parti pris exigeait qu’on invite une personne qui défend les droits des hommes pour répliquer, au besoin, ou exprimer l’autre côté de la médaille ».
Griefs à l’encontre de Mme Christiane Charette, animatrice de l’émission du même nom :
La plainte de M. Paul-Edmond Lalancette, contre contre Mme Christiane Charette et la Société Radio-Canada, concerne une entrevue diffusée le 12 novembre 2009, qui portait sur le documentaire « La domination masculine ». L’animatrice aurait elle aussi fait preuve, dans ce cas, de partialité.
Selon le plaignant, lors de cette émission, on a interviewé Mme Monique Simard qui est intervenue dans le documentaire réalisé par M. Patric Jean et qui a donné le point de vue de l’idéologie qu’elle défend. De plus, Mme Simard en aurait profité pour justifier le fait que, lors d’une séparation, les juges octroient la garde des enfants à la femme dans la majorité des cas. Par contre, personne n’était là pour donner le point de vue opposé.
Le plaignant explique : « Sur un sujet concernant tout autant les hommes que les femmes, plutôt que d’inviter une personne spécialiste dans l’analyse de […] documentaires qui aurait informé les auditeurs sur les forces et faiblesses du film, on a interviewé une féministe. De ce fait, on n’a pas respecté le principe d’équité, car si on tenait à avoir le point de vue du féminisme, il y avait lieu d’avoir aussi celui des personnes qui défendent les droits des hommes. »
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Martine Lanctôt, directrice, traitement des plaintes et
affaires générales, au sujet de la plainte contre M. Beauchamp et la SRC :
La directrice affirme qu’elle a répondu le 2 décembre 2009 à cette plainte, déposée précédemment par M. Lalancette auprès de l’ombudsman de Radio-Canada. à la suite de quoi l’ombudsman a fait une révision qui a été publiée le 18 décembre 2009. Mme Lanctôt indique que ces deux documents se retrouvent dans le dossier déposé par le plaignant devant le Conseil de presse et que les mis-en-cause n’ont rien à ajouter.
Dans sa réponse à la plainte de M. Lalancette auprès de l’ombudsman de la SRC, Mme Lanctôt indiquait : « Vous reprochez à l’équipe de « La tribune » d’avoir fait preuve de partialité en interviewant seulement Mme Jeanne Maranda sur ce sujet et aucun porte-parole de groupe masculiniste. » La directrice rappelait alors que Mme Maranda n’était pas la seule invitée et que l’animateur avait aussi interviewé Mme Denyse Côté, sociologue et professeure à l’Université du Québec en Outaouais, et M. Patrick Beaudoin, vice-président chez Cossette et professeur d’histoire de la consommation. Selon Mme Lanctôt, il y avait donc trois points de vue et trois perspectives différentes, et le témoignage de M. Beaudoin, publicitaire et spécialiste de l’histoire de la consommation, apportait un éclairage particulièrement intéressant sur le sujet. Le choix des invités était donc, selon la directrice, tout à fait pertinent et équilibré.
Dans sa réponse à M. Lalancette, Mme Lanctôt expliquait aussi que les émissions de la Première Chaîne de la SRC reçoivent plusieurs personnalités aux opinions diverses : « Ainsi, le psychologue et sexologue Yvon Dallaire, reconnu comme étant un masculiniste, a pris la parole derrière nos micros à trois occasions différentes au cours de l’année 2009, entre autres à l’édition du 6 octobre de l’émission « Christiane Charette ». » La directrice concluait en invitant le plaignant à demander à l’ombudsman de Radio Canada de revoir le dossier s’il n’était pas satisfait de cette réponse.
Commentaires de Mme Isabelle Albert, directrice de la Première Chaîne, au sujet de la plainte contre Mme Charette et la SRC :
La directrice de la Première Chaîne soumet au Conseil que la plainte de M. Lalancette ne porte pas sur un « acte » ou un « produit » journalistique et donc, ne relève pas de la juridiction du Conseil de presse.
Selon Mme Albert, l’animatrice Christiane Charette n’est pas une journaliste et l’émission qu’elle anime n’est pas une émission d’information. Elle ajoute que c’est la position que la SRC avait prise par le passé, dans le dossier D2007-11-022. Selon elle, « le segment mis en cause relève du commentaire dans un talk-show radiophonique généraliste ».
La directrice conclut que, dans les circonstances, Radio-Canada n’entend pas répondre à la plainte et demande au Conseil de presse de la déclarer irrecevable.
Réplique du plaignant
Réplique du plaignant aux commentaires de Mme Martine Lanctôt, au sujet de la plainte contre M. Beauchamp et la SRC :
Le plaignant relève que, dans sa réponse, Mme Lanctôt écrit qu’il reproche à l’émission « La tribune » d’avoir fait preuve de partialité en interviewant seulement Mme Jeanne Maranda sur ce sujet et aucun porte-parole de « groupe masculiniste ». M. Lalancette soutient cependant que ce n’est pas ce qu’il a écrit.
Reprenant les termes exacts de sa plainte, il insiste pour préciser qu’il ne fait partie d’aucun groupe masculiniste et que son objectif n’était pas qu’il y ait nécessairement un représentant d’un de ces groupes à l’émission. Selon lui, il y a plusieurs groupes au Québec qui se préoccupent des problèmes que rencontrent les hommes et il est plus que temps que l’on invite leurs porte-paroles à exprimer leur point de vue. Ceci permettrait « aux auditeurs de relativiser celui qu’on entend, depuis plusieurs décennies, de la part de certaines féministes qui présentent la réalité à travers la lorgnette de leur idéologie », explique-t-il.
Réplique du plaignant aux commentaires de Mme Isabelle Albert, au sujet de la plainte contre Mme Charette et la SRC :
En guise de réplique, le plaignant rappelle un extrait de la réponse qu’il a reçue un peu plus tôt, à une plainte similaire déposée auprès de l’ombudsman de la SRC, qui indiquait : « Les émissions comme celle de Christiane Charette se caractérisent par un mélange des genres, c’est-à-dire qu’elles font à la fois du divertissement, de la chronique culturelle et de l’information. »
Le plaignant en conclut que, si elles font aussi de l’information, ces émissions « doivent se conformer aux responsabilités de la presse au Québec ».
Analyse
M. Paul-Edmond Lalancette reproche à la Société Radio-Canada et aux deux animateurs mis en cause d’avoir fait preuve de partialité dans le choix de leurs invités, aux émissions « Maisonneuve en direct – La tribune » et « Christiane Charette ». Le plaignant déplore aussi que, lors des discussions avec ces invités, les animateurs n’aient présenté qu’un point de vue féministe, sans présenter aussi celui des personnes qui défendent les droits des hommes.
Avant d’examiner la plainte, le Conseil a considéré l’opinion de la directrice de la Première Chaîne, selon qui le segment de l’émission « Christiane Charette » mis en cause n’est pas recevable parce qu’il « relève du commentaire dans un talk-show radiophonique généraliste ». Le Conseil s’est donc arrêté à la question de la nature journalistique de cet extrait d’émission.
La jurisprudence du Conseil indique que « lorsqu’un employé effectue en ondes des fonctions assimilables à celles d’un journaliste (entrevue, information, commentaires), il est réputé agir dans une fonction journalistique, et il est alors considéré à ce titre dans la portion d’émission consacrée à cette fonction ». (D2003-12-024)
Après vérification, le Conseil a estimé que le segment de l’émission « Christiane Charette » visé par la plainte correspondait, dans son contenu, à ce qu’il définit comme un « produit journalistique » et, dans sa démarche, à ce qu’il considère comme un « acte journalistique ». S’inscrivant en faux contre la position de la directrice de la Première Chaîne, le Conseil considère donc comme recevable la plainte contre ce segment d’émission.
Comme les deux plaintes provenaient du même plaignant, visaient le même média et impliquaient des griefs de même nature, le Conseil a procédé à l’examen de ces deux plaintes dans un même ensemble.
Grief 1 : partialité et manque d’équilibre
Le plaignant reproche aux mis-en-cause d’avoir fait preuve de partialité dans le choix des invités à leurs émissions. De plus, lors des discussions avec ces invités, les animateurs auraient manqué à l’équilibre dans la présentation des points de vue exprimés.
Dans le cas de « Maisonneuve en direct – La tribune », l’émission avait pour sujet la question : « Sexiste, la publicité québécoise? ». Selon le plaignant, alors que ce sujet concerne tout autant les hommes que les femmes, on aurait interviewé une représentante des groupes de femmes sans inviter, pour donner un autre point de vue, un porte-parole des groupes qui viennent en aide aux hommes. Il explique : « on a interviewé Madame Jeanne Maranda, une représentante des groupes de femmes, qui en a profité pour formuler des généralisations sur les hommes dans l’exercice du pouvoir et sur la violence. Il y avait bien deux autres invités, soient (sic) un sociologue et un spécialiste en histoire de la consommation, mais ils n’ont pas répliqué aux propos exagérés à l’égard des hommes de Madame Maranda ». Selon le plaignant, le sujet abordé ne justifiait pas d’inviter une féministe, mais si on décidait de le faire, « l’absence de parti pris exigeait qu’on invite une personne qui défend les droits des hommes pour répliquer, au besoin, ou exprimer l’autre côté de la médaille ».
La porte-parole des mis-en-cause répond que Mme Maranda n’était pas la seule invitée et que l’animateur avait aussi interviewé Mme Denyse Côté, sociologue et professeure à l’Université du Québec en Outaouais, ainsi que M. Patrick Beaudoin, vice-président chez Cossette et professeur d’histoire de la consommation. Selon Mme Lanctôt, il y avait ainsi trois perspectives et trois points de vue différents. Le choix des invités était donc, selon elle, tout à fait pertinent et équilibré. Dans la réponse à une plainte identique que M. Lalancette avait préalablement adressée à la SRC, Mme Lanctôt faisait valoir que le psychologue et sexologue Yvon Dallaire, reconnu comme étant un masculiniste, avait pris la parole derrière les micros de Radio-Canada à trois occasions différentes, au cours de l’année 2009.
Dans le cas de l’émission « Christiane Charette », le plaignant reproche aux responsables d’avoir fait preuve de partialité dans le choix de l’invitée parce que, pour faire la présentation du documentaire « La domination masculine », ils ont fait appel à une féministe plutôt qu’à une personne spécialisée dans l’analyse de documentaires. Le plaignant déplore aussi qu’en ne présentant que le seul point de vue de Mme Monique Simard, les mis-en-cause n’ont pas respecté le principe de l’équilibre de l’information.
Au sujet de la liberté rédactionnelle reconnue aux journalistes et aux médias, le guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil indique que : « L’information livrée au public fait nécessairement l’objet de choix et subit un traitement journalistique […] la façon de présenter et d’illustrer l’information, relève du jugement rédactionnel et demeure une prérogative des médias et des professionnels de l’information. » DERP, p. 13
Le guide DERP du Conseil indique aussi que : « L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix [qui] ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. » DERP, p. 22
Les obligations d’un média consistent alors, selon le Conseil, à s’assurer du traitement équilibré d’un sujet dans l’ensemble de sa production, durant une période donnée, et que ce traitement reflète la réalité proportionnellement à l’importance relative des points de vue.
En ce qui concerne l’émission « Maisonneuve en direct – La tribune », après analyse et audition de l’émission en question, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes. En vertu de la liberté rédactionnelle qui leur est reconnue, l’animateur et les responsables de l’émission pouvaient choisir le sujet de l’émission, l’angle de traitement, les invités ainsi que les questions à poser à chacun. Même s’ils pouvaient, comme l’aurait souhaité le plaignant, inviter une personne qui défend les droits des hommes, ils avaient également la liberté d’inviter d’autres personnes pour apporter un éclairage différent à la question proposée. En pratique, l’audition de l’émission permet de conclure que la diversité des points de vue a été respectée.
Comme aucun manquement n’a été constaté sur ces aspects, le grief pour partialité et manque d’équilibre n’est donc pas retenu contre l’émission « Maisonneuve en direct – La tribune ».
En ce qui a trait à l’émission « Christiane Charette », après examen, le Conseil constate que les mis-en-cause n’ont jamais annoncé, en début d’émission, une discussion ou un débat sur la question de la domination masculine en tant que telle. L’introduction du sujet par l’animatrice indique plutôt que ce documentaire fait appel à beaucoup de Québécois; qu’en l’absence du réalisateur, c’est une participante du film, Mme Monique Simard, qui serait là pour parler du film, de son propos et des raisons qui ont amené, finalement, le réalisateur à refuser de venir à Montréal.
De l’avis du Conseil, l’angle de traitement du sujet était clairement défini en début d’émission par l’animatrice, soit la présentation du documentaire avec une participante. Comme l’objectif de l’émission n’était ni de faire un débat sur la question de la « domination masculine » ni de faire une analyse spécialisée du documentaire, en vertu de leur liberté rédactionnelle, les mis-en-cause pouvaient légitimement choisir l’invitée qu’ils désiraient accueillir en ondes, à la condition de ne pas contrevenir aux principes d’impartialité.
En regard de leur devoir d’assurer un traitement équilibré à un sujet, lors de l’évaluation du présent grief, le Conseil a tenu compte du fait que d’autres avis représentant le point de vue des hommes ont également été exprimés sur les ondes de la SRC à la même période. En conséquence, le Conseil estime que le principe d’équilibre a été respecté.
Le grief pour partialité et de manque d’équilibre, contre l’émission « Christiane Charette », n’est donc pas retenu.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Paul Edmond Lalancette contre M. Jacques Beauchamp, animateur de l’émission « Maisonneuve en direct – La tribune », de même que contre Mme Christiane Charette, de l’émission du même nom, ainsi que contre la Société Radio-Canada, aux motifs de partialité et de manque d’équilibre.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité