Plaignant
M. Ray Tomalty
Mis en cause
M. Henry Aubin, journaliste, M. Brian Kappler, éditorialiste en chef, M. Raymond Brassard, directeur de la rédaction et le quotidien The Gazette
Résumé de la plainte
La plainte de M. Ray Tomalty vise une chronique de M. Henry Aubin, parue dans le quotidien The Gazette, le 19 décembre 2009. Le plaignant critique l’article qui contiendrait des affirmations fallacieuses et inexactes au sujet de l’impact de nos choix quotidiens sur l’environnement. Il reproche également au quotidien d’avoir refusé de publier sa lettre de réplique aux propos de M. Aubin.
Griefs du plaignant
M. Ray Tomalty porte plainte contre M. Henry Aubin, journaliste, et contre le quotidien The Gazette, pour avoir publié des affirmations fallacieuses et inexactes au sujet de l’impact de nos choix quotidiens sur l’environnement. Le plaignant reproche également à la direction du quotidien d’avoir refusé de publier sa lettre de réplique aux propos du journaliste. La chronique de M. Aubin est parue dans l’édition du 19 décembre 2009, sous le titre : « Green myths – Some things we do to protect the environnement do more damage than good ».
Selon M. Tomalty, la chronique prétendrait erronément que certaines choses que nous faisons pour protéger l’environnement font plus de dommages que de bien. L’article contiendrait des prétentions fallacieuses et inexactes concernant nos choix quotidiens, comme l’utilisation de l’éthanol, l’achat d’ampoules fluorescentes compactes, la consommation de nourriture produite localement, l’utilisation de l’autobus au lieu de sa voiture et le dépôt des bouteilles de verre dans le bac de recyclage.
En réaction à cette chronique, le plaignant aurait rédigé une lettre, faisant ressortir que, même si ces exemples présentent des côtés négatifs, ils font plus de bien que de mal à l’environnement. M. Tomalty aurait, en même temps, identifié certaines erreurs ou informations fallacieuses dans le texte du journaliste. Il dit avoir ensuite révisé sa lettre, à la suggestion de l’éditorialiste en chef, M. Brian Kappler. Ce dernier aurait accepté cette version révisée, pour ensuite changer d’idée et la rejeter, sans lui donner de bonne raison ou lui permettre de la soumettre à nouveau.
M. Tomalty détaille alors les multiples démarches qu’il a dû effectuer auprès de l’éditorialiste en chef et, en son absence, auprès d’un de ses collègues. On lui aurait signifié que son texte était trop long et qu’il contenait des propos insultants à l’endroit de M. Aubin, notamment que sa chronique était l’exemple flagrant d’un article de mauvaise qualité [shoddy writing]. On lui aurait alors demandé de soumettre une version plus courte (750 mots) et d’y faire certaines modifications, ce qu’il aurait fait. Il aurait ensuite appelé M. Kappler, pour apprendre que sa lettre de réplique révisée serait publiée, mais aurait reçu un courriel ultérieurement, lui indiquant le contraire.
Ne voulant pas laisser tomber l’affaire, le plaignant dit avoir fait d’autres propositions, mais sans réponse. Il aurait alors téléphoné au journal pour apprendre qu’on ne voulait plus publier sa lettre, mais sans lui dire exactement pourquoi. L’éditorialiste lui aurait plutôt répondu d’écrire une lettre aux lecteurs de 150 mots, qu’il pourrait publier dans la section du courrier des lecteurs. L’éditorialiste aurait ajouté qu’étant donné le délai – et il reconnaissait qu’il était entièrement de sa faute – que ça n’en valait probablement plus la peine [not worth the candle].
Le plaignant dit s’être adressé au Conseil de presse dans l’espoir que l’organisme inviterait The Gazette à publier sa lettre de réplique révisée que M. Kappler avait déjà accepté de publier.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de M. Brian Kappler, éditorialiste en chef :
M. Kappler considère que cette plainte est infondée. Selon lui, la chronique de M. Aubin ne présentait aucun élément trompeur ou ne contenait aucune erreur factuelle. Plusieurs points abordés par M. Aubin auraient été rapportés incorrectement ou pris hors contexte par M. Tomalty dans sa première lettre et, par la suite, dans sa version abrégée. M. Kappler relève aussi que M. Tomalty mentionne, dans sa plainte, qu’il l’aurait assuré de la publication, telle quelle, de sa deuxième version.
L’éditorialiste en chef répond : « Cependant, ma pratique courante, laquelle je partage avec tous les rédacteurs en chef avisés, est d’exprimer au plus une intention générale de publier un texte, et jamais tel quel. Tous les textes doivent être édités. » Quoi qu’il en soit, The Gazette avait le droit, selon lui, de décider ce qui devrait être publié dans ses pages d’opinions. « Il ne serait pas convenable pour nous, écrit-il, de donner des mots, que ce soit 2000, 750, peu importe le nombre, à un lecteur qui assaille le journal pour des déclarations que nous n’avons jamais faites. »
M. Kappler explique que lorsqu’il a parlé à M. Tomalty pour accuser réception de sa deuxième version, il n’avait pas encore lu celle-ci. Présumant que M. Tomalty avait raccourci son texte et retiré des détails imprécis, il avait indiqué que, dans ce cas-ci, The Gazette publierait probablement la lettre. Toutefois, ce n’était pas une promesse. Lorsqu’il en a lu le texte et réalisé que les problèmes de la première version se trouvaient encore présents dans la deuxième, il a décidé de « se laver les mains du projet » et en a alors fait part à M. Tomalty, par téléphone.
Commentaires de M. Raymond Brassard, directeur de la rédaction :
Le directeur de la rédaction explique que la position de The Gazette est que tous les journaux sont libres de publier ou de refuser de publier toute lettre ou tout texte d’opinion soumis. Selon les restrictions d’espace, son journal essaie dans la mesure du possible d’accommoder l’opinion des lecteurs sur des sujets d’intérêt public.
M. Raymond Brassard indique que, comme le soulignait M. Kappler, The Gazette croyait que de sérieux problèmes existaient au niveau de l’interprétation par M. Tomalty de la chronique du 19 décembre, de M. Henry Aubin. Et le 19 janvier, ces problèmes persistaient encore dans la réponse de M. Tomalty. Le directeur de la rédaction fait également observer qu’on était à ce moment un mois plus tard, et donc, longtemps après la parution de la chronique de M. Aubin. Le sujet avait ainsi perdu beaucoup d’intérêt pour le lecteur moyen.
Selon le directeur de la rédaction, M. Kappler a fait un effort raisonnable pour accommoder M. Tomalty, même si la « politique de soumission » de The Gazette indique clairement que le journal ne peut accepter toutes les soumissions.
Réplique du plaignant
Le plaignant fait observer que la réponse de M. Kappler indique qu’il n’y a pas d’erreur factuelle dans l’article de M. Aubin. Ce à quoi M. Tomalty rétorque que s’il n’y avait pas eu d’erreur, il n’y aurait aucun fondement à sa lettre de réplique à M. Aubin, ni au refus de publication par The Gazette, et qu’il reviendra au Conseil de presse d’en décider.
M. Tomalty insiste sur le fait qu’il faudra une lecture prudente et soigneuse des documents soumis par les parties, parce qu’ils ont fait l’objet de recherches poussées de sa part. Le plaignant rappelle sa propre formation professionnelle, c’est-à-dire qu’il est détenteur d’un doctorat en Gestion des ressources et planification urbaine, et qu’il est chercheur sur les questions environnementales et urbaines depuis 20 ans, avec plus de 70 projets de recherche professionnelle à son actif.
M. Tomalty reprend ensuite chacun des cinq « mythes » et fait un exposé détaillé des raisons scientifiques qui démontreraient qu’il s’agit d’affirmations inexactes et fallacieuses.
Il ajoute qu’il a soumis à M. Kappler une version révisée de son article et qu’il a répondu à ses diverses accusations d’avoir insulté M. Aubin et de l’avoir présenté sous un faux jour. Comme il avait répondu à tous ses arguments, le plaignant a présumé que M. Kappler les avait acceptés, puisqu’il n’en a pas fait mention lors du refus de publication de sa première lettre de réplique.
Le plaignant invoque ensuite le principe d’équilibre et d’impartialité affirmé par le Conseil, voulant que les organes de presse et les journalistes aient « le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements ». Selon lui, sa lettre en réponse à l’article de M. Aubin démontrait que sa chronique ne rencontrait pas les critères d’équilibre et d’impartialité : cette information était fallacieuse, citait des informations dont M. Aubin aurait dû connaître l’absence de fiabilité, omettait de citer des sources pour d’autres « alarming claims » qui auraient pu influencer la volonté des lecteurs à adopter un comportement responsable; et elle était tout simplement erronée sur plusieurs aspects importants. Sa lettre de réplique aurait pu rectifier le dossier sur ces enjeux de haute importance.
M. Tomalty aborde alors la question du droit invoqué par l’éditorialiste de The Gazette de décider de ce qui sera publié, invoquant sa responsabilité sociale de permettre aux lecteurs de répliquer aux positions prises dans le journal. Sans quoi, un journal serait plus apparenté, selon lui, à un organe d’un parti qu’à un instrument de débat démocratique.
Au sujet du moment de publication, le plaignant trouve insultant les arguments des mis-en-cause invoquant « le long délai » écoulé entre la parution de la chronique et celle de la publication de la lettre de réponse pour en refuser la publication, et ce, surtout après que M. Kappler ait admis que ce « délai » après la soumission de la première lettre était entièrement de sa faute.
Le plaignant termine en indiquant être consterné par la façon dont M. Kappler a traité toute cette affaire.
INFORMATIONS SUPPLéMENTAIRES
Au moment de l’analyse du dossier, le chroniqueur a fourni, à la demande du Conseil, des informations supplémentaires sur un des aspects controversés de la plainte, soit celui du recyclage du verre. Voici l’essentiel des informations de M. Aubin :
Comme il l’indique dans sa chronique, la compagnie (Groupe Tiru) qui fait la collecte du verre sur l’île de Montréal paie une autre compagnie pour reprendre le verre (plus précisément, la compagnie collectrice paie le coût du transport du verre jusque chez la compagnie réceptrice). En bref, la compagnie collectrice (Tiru) ne vend pas son verre aux autres compagnies.
La compagnie qui reçoit la grande majorité du verre (Unical Inc. de Longueuil) dit qu’elle utilise actuellement tout son verre. Elle l’utilise notamment pour fabriquer du verre neuf, des abrasifs (pour jet de sable) et de la fibre de verre. Toutefois, le « robuste » marché actuel n’existait pas durant presque toute l’année 2009, au moment où la chronique a été rédigée. L’impact de la récession sur les manufacturiers faisait que le marché pour le verre recyclable était maigre. La compagnie qui effectuait la collecte (Tiru) indique qu’elle n’avait pas de débouché pour environ 80 % du verre, et elle était forcée de le stocker sur sa propriété, créant ainsi des montagnes de verre.
En règle générale, le verre qui va à Drummondville (Saint-Nicéphore) ou à d’autres lieux d’enfouissement provient des déchets et non des bacs de recyclage. Le chroniqueur indique qu’il lui est impossible de confirmer qu’en 2009 un excédent de verre a été envoyé à Drummondville ou ailleurs. La compagnie effectuant la collecte affirme qu’elle n’a envoyé au dépotoir aucun verre excédentaire durant la récession de 2009. Et le chroniqueur reconnaît alors qu’il ne peut pas prouver le contraire.
Plusieurs mois plus tard, soit le 10 juin 2010, le chroniqueur publie, à la fin de sa chronique du jour, la précision suivante
« Postscript: I wrote last fall that putting bottles and other glass items in curbside recycling containers might be a wasted effort because much of the glass wound up in dumps. The market for used glass is now strong, and the main recipient of Montreal Island’s glass, Unical Inc., says it can’t get enough of it. So stuff that recycling bin or bag with all the glass you can. » (« Post-scriptum : J’ai écrit l’automne dernier que de placer des bouteilles et d’autres objets de verre dans le bac de recyclage pouvait l’être en pure perte parce qu’une grande partie de ce verre finissait au dépotoir. Le marché du verre est maintenant solide et le principal destinataire du verre sur l’île de Montréal, Unical Inc dit qu’il en manque. Par conséquent, remplissez votre bac ou votre sac de tout le verre que vous pouvez. »)
Analyse
M. Tomalty formule deux griefs : le chroniqueur aurait écrit un article fallacieux, comportant plusieurs erreurs factuelles et l’éditorialiste en chef aurait privé injustement le plaignant d’une occasion de répondre à M. Aubin, dans les pages de The Gazette.
Grief 1 : inexactitude de l’information
Le plaignant reproche au chroniqueur Henry Aubin d’avoir écrit un article comportant plusieurs erreurs factuelles qui pourraient décourager les lecteurs de prendre des mesures appropriées pour protéger l’environnement. Selon M. Tomalty, la chronique prétendrait erronément que certaines choses que nous faisons pour protéger l’environnement font plus de dommages que de bien. Les prétentions inexactes concerneraient l’utilisation de l’éthanol, le dépôt des bouteilles de verre dans le bac de recyclage, la consommation de nourriture produite localement, l’achat d’ampoules fluorescentes compactes et l’utilisation de l’autobus au lieu de la voiture.
L’éditorialiste en chef, du journal, répond que la chronique de M. Aubin « ne présentait aucun élément trompeur ou ne contenait aucune erreur factuelle, et ce, en tous points ».
Utilisation de l’éthanol : Selon le plaignant, contrairement à ce que prétend M. Aubin, l’utilisation de l’éthanol fait à base de maïs n’est pas recommandée par le mouvement environnementaliste. Le mouvement ne considèrerait les politiques qui encouragent la production et l’utilisation de cet additif que comme des subsides industriels aux producteurs de maïs qui font du lobby pour obtenir des gouvernements l’adoption de politiques d’encouragement à la production d’éthanol à base de maïs. Le plaignant cite alors un coordonnateur de Greenpeace Canada, affirmant que l’éthanol présente peu ou pas d’avantages en raison de l’énergie et des pesticides exigés pour la culture du maïs.
Après examen, le Conseil constate que M. Aubin n’écrit pas que l’éthanol est actuellement préconisé par le mouvement environnementaliste comme un bon substitut pour l’essence, mais qu’on l’a déjà prétendu. Ce que le texte de la chronique indique exactement c’est : « It was originally billed as a benign substitute for gasoline. Studies have since shown that […] ». (à l’origine, il était présenté comme un substitut avantageux de l’essence. Des études ont révélé, depuis, que […]) ». Une recherche sur le sujet permet de constater qu’il y a moins de 5 ans encore, des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley publiaient : « […] that new technologies now in development promise to make ethanol a truly green » fuel with significantly less impact that gasoline » . Aux yeux du Conseil, cet exemple confirme que cette idée a déjà fait l’objet de publication très sérieuse par des chercheurs spécialistes en science environnementale. Il n’y a donc pas inexactitude dans ce qu’écrit le journaliste. Le grief n’est pas retenu sur cet aspect.
Le recyclage du verre : Selon le plaignant, le chroniqueur prétendrait faussement a) que la compagnie qui fait la collecte des bouteilles que nous déposons dans le bac de recyclage doit payer une autre compagnie pour l’en débarrasser; b) qu’il est moins cher de fabriquer du verre directement à partir du sable et, qu’en conséquence; c) nos vieilles bouteilles finiraient souvent dans un dépotoir aussi éloigné que celui de Drummondville.
Au sujet du recyclage du verre, ce que le texte de la chronique indique exactement dans sa partie contestée est : « Another myth is recycling glass. We cheerfully place bottles and jars in our recycling boxes with the assumption that they will be broken up, reheated and turned into new bottles and jars. Wrong again. It is generally not profitable to turn old glass into new. The company that picks up your recyclables has to pay other companies to take it off its hands. It’s cheaper to make new glass from sand, so your old bottles often end up in a distant landfill. Glass is heavy, so trucking it to disposal sites as far as Drummondville generates a lot of greenhouse gas. (Un autre mythe est celui du recyclage du verre. Nous déposons sans hésitation nos bouteilles et nos pots dans les bacs à recyclage en présumant qu’ils vont être brisés, refondus et transformés en de nouvelles bouteilles et de nouveaux pots. Faux encore une fois. Il n’est généralement pas avantageux de transformer du vieux verre en du nouveau. La compagnie qui recueille vos déchets recyclables doit payer d’autres compagnies pour l’en débarrasser. Il revient moins cher de fabriquer du verre à partir du sable et, donc, vos vieilles bouteilles finissent souvent dans un centre d’enfouissement lointain. Comme le verre est lourd, son transport à des sites de traitement aussi éloignés que Drummondville génère beaucoup de gaz à effet de serre.) »
Le plaignant dit avoir vérifié auprès du Centre d’écologie urbaine de Montréal et du Centre d’expertise sur les matières résiduelles, où les experts de la question affirmaient n’avoir jamais entendu parler de ces pratiques à Montréal et les mettre en doute. La firme Rebuts Solides Canadiens inc., la spécialiste du verre de l’entreprise aurait répondu à ce sujet, qu’il est faux de prétendre que la compagnie de recyclage paie des gens pour la débarrasser du verre; ils séparent plutôt les bouteilles, le papier et l’aluminium de l’ensemble des matériaux recyclables et les revendent à d’autres compagnies qui utilisent les matériaux récupérés dans leur processus de production. Selon elle, il serait économiquement insensé de séparer le verre des autres matières pour l’envoyer ensuite au dépotoir, puisqu’ils perdraient de l’argent. Par conséquent, elle pense que le transport à distance dont parlait M. Aubin concernait le verre avarié, c’est-à-dire le verre non recyclable comme, par exemple, celui provenant des ampoules électriques brisées.
Après plusieurs consultations et vérifications, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes au sujet de chacun des éléments identifiés par le plaignant :
Sur le fait que la compagnie qui fait la collecte des bouteilles doit payer une autre compagnie pour la débarrasser du verre, le Conseil note que le chroniqueur lui a fourni le nom de la compagnie en question et celui de la personne ressource auprès de laquelle il avait recueilli son information. L’information ayant été validée, cet aspect du grief est rejeté.
Sur l’affirmation qu’il est moins cher de fabriquer du verre directement à partir du sable : certaines des sources consultées par le Conseil estiment que lorsqu’on prend en compte l’évitement des gaz à effet de serre, l’énergie utilisée lors de la fabrication, l’utilisation de l’eau et sa pollution, de même que les résidus miniers engendrés, le recyclage du verre représenterait des gains substantiels sur le fait d’en créer du nouveau. Il est à noter aussi que le verre des bouteilles recyclées ne servirait pas automatiquement à la fabrication de nouvelles bouteilles.
Toutefois, comme il s’agit d’un calcul extrêmement complexe tenant compte de plusieurs facteurs, notamment des milieux, du processus de production et des pertes, et de la conjoncture économique, il n’est pas certain que le calcul était avantageux au moment de la rédaction de la chronique visée par la plainte. Cet aspect du grief est donc rejeté.
Sur le fait que nos vieilles bouteilles finiraient souvent dans un dépotoir aussi éloigné que celui de Drummondville : dans les informations supplémentaires qu’il a fournies au Conseil, le chroniqueur indique qu’en règle générale, le verre qui va à Drummondville ou à d’autres lieux d’enfouissement est du verre provenant des déchets et non des bacs de recyclage. Il ajoute qu’il lui est impossible de confirmer qu’en 2009 un excédent de verre a été envoyé à Drummondville ou ailleurs. Pour sa part, la compagnie effectuant la collecte affirme qu’elle n’a envoyé au dépotoir aucun verre excédentaire durant la récession de 2009. Et le chroniqueur reconnaît alors qu’il ne peut pas prouver le contraire.
Devant les témoignages recueillis par le plaignant et confirmés par les recherches du Conseil, et considérant l’incapacité pour le chroniqueur de démontrer son affirmation, le Conseil retient le grief sur ce dernier aspect.
Nourriture produite localement : Selon le plaignant, l’affirmation du chroniqueur à ce sujet est superficielle à plusieurs égards : ce dernier prétendrait que les avantages de la consommation de nourriture produite localement est un mythe parce que la nourriture pour alimenter le bétail pourrait venir d’outremer, ou que l’énergie en carburant utilisée pour chauffer les bâtiments pourrait dépasser l’énergie du transport de la nourriture provenant des « pays ensoleillés ». Le plaignant expose deux raisons à l’appui de son grief.
D’abord, la promotion de la consommation de produits locaux est préconisée pour plusieurs raisons, incluant l’encouragement aux petits agriculteurs, quand la capacité des aliments à résister au transport n’est pas un enjeu. Ainsi, la question de l’économie d’énergie ne serait qu’un des avantages potentiels de la production alimentaire locale, et ne la faire reposer que sur ce seul facteur est un peu trompeur. Ensuite, la différence en énergie consommée pour les produits locaux et les produits importés dépend essentiellement des distances parcourues par les produits alimentaires, des ressources et de l’énergie exigées pour les produire ainsi que du mode de transport. Par conséquent, si l’affirmation du journaliste est vraie dans certains cas, elle n’est pas vraie tout le temps.
En retournant au texte de la chronique, on constate que la position du journaliste prise à ce sujet est : « But now it turns our that local food is not necessarily so virtuous after all. » Le journaliste exprime l’opinion voulant que maintenant, la consommation d’aliments d’origine locale ne s’avère pas nécessairement un comportement si vertueux, si recommandable, après tout.
Selon le Conseil, le contexte du journalisme d’opinion permettait à son auteur une lecture personnelle de l’actualité, des réalités et des questions qu’il choisissait de traiter. Le chroniqueur avait donc le droit d’exprimer un jugement différent de celui du plaignant sans pour autant commettre un manquement à l’exactitude. Le grief est donc rejeté sur cet aspect.
Ampoules fluorescentes : Selon le plaignant, l’information du chroniqueur voulant qu’elles contiennent du mercure est exacte, mais affirmer qu’elles sont mauvaises pour l’environnement est faux. Le plaignant fait alors une démonstration pour expliquer en quoi leur utilisation est préférable : réduction de consommation d’électricité et des gaz à effet de serre, réduction du mercure rejeté dans l’environnement par les centrales au charbon, etc., et le fait que les ampoules fluorescentes contiennent très peu de mercure.
Ici encore, selon le Conseil, l’affirmation du chroniqueur n’est pas inexacte, mais simplement moins complète que celle du plaignant. Le chroniqueur ne dit pas qu’il faudrait revenir en arrière. Il affirme que le déversement de mercure dans l’environnement peut avoir pour effet de menacer la nappe phréatique. Dans une chronique d’opinion, le journaliste pouvait présenter sa lecture personnelle des faits, même si elle n’était pas aussi complète que celle du plaignant, sans qu’elle ne représente pour autant une information inexacte. Le grief est donc rejeté sur cet aspect.
Transport en commun : Le cinquième grief porte sur l’affirmation du chroniqueur voulant que les autobus crachent plus de gaz à effet de serre, par passager par mille, que les voitures. Le plaignant relève que la source des informations de M. Aubin est l’agence américaine U.S. Environmental Protection Agency. Il identifie alors quatre omissions dans l’information publiée.
Après avoir relevé que le plaignant indique que les autobus devraient être plus efficients, et que les gouvernements devraient s’occuper des systèmes de transport en commun en difficulté, le plaignant complète : « Unfortunately, this is less likely to happen if newspaper columnists contribute to the comforting but false belief that the cars are an environmentally acceptable choice for urban travel. (Malheureusement, il est peu probable que ceci arrive si les chroniqueurs des journaux perpétuent la confortable, mais fausse croyance que les voitures sont un choix acceptable pour le transport urbain.) »
L’examen de cette dernière partie de la chronique de M. Aubin permet de relever les observations suivantes : en regard de l’idée que les autobus sont toujours plus « verts » que les voitures, le chroniqueur indique que la réalité est plus compliquée. Il constate que les données de l’agence américaine induisent qu’une voiture moyenne utiliserait moins d’énergie par passager par mille que l’autobus. Il rappelle aussi que la semaine précédente, un long article du National Post concluait que les utilisateurs feraient aussi bien de conduire, mais le chroniqueur ajoute immédiatement que c’est absurde. Il explique que l’autobus roulera et émettra ses gaz à effet de serre, que l’on soit ou non à bord, mais que si la voiture demeure au garage, elle n’en émettra pas. Il conclut alors que la planète est moins affectée quand on prend l’autobus. Il complète en suggérant l’utilisation de plus petits autobus en période de faible achalandage et de trolleybus qui fonctionnent à l’électricité, faisant ressortir l’abondance de cette ressource au Québec et son impact réduit en gaz à effet de serre.
Après examen des arguments du plaignant et de l’article mis en cause, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes: une lecture attentive de la section sur le transport en commun indique que, malgré ce qu’affirme le plaignant, le journaliste ne perpétue pas « la fausse croyance que les voitures sont un choix acceptable pour le transport urbain ». Au contraire, il la dénonce en concluant qu’il faut utiliser l’autobus, et il suggère même des solutions pour lutter contre les gaz à effet de serre. Cette partie du grief est donc rejetée.
Le Conseil retient donc le grief pour inexactitude de l’information sur le second élément soit celui du traitement du verre.
Le Conseil a aussi noté que le chroniqueur avait pris le soin de publier, à la fin d’une de ses chroniques récentes, une mise au point au sujet du recyclage du verre en rapport avec l’inexactitude constatée.
Grief 2 : refus d’un droit de réplique
Le plaignant reproche à la direction du quotidien d’avoir refusé de publier ses lettres de réplique aux propos du journaliste.
Sur la base du principe général de la liberté rédactionnelle reconnue aux professionnels de l’information, le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits ou aux ondes des stations de radios et de télévision. Cependant, la presse a le devoir d’en favoriser l’accès à ses lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. DERP, p. 37
Après analyse, le Conseil constate que les mis-en-cause ont tenté de favoriser l’accès à l’opinion du plaignant. Même si aucune entente n’a été possible à cet effet, le Conseil n’y voit pas de manquement à la déontologie et le grief pour refus d’un droit de réplique est rejeté.
Décision
Pour l’ensemble de ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Ray Tomalty contre le journaliste M. Henry Aubin et le quotidien The Gazette, au motif de refus d’un droit de réplique, mais retient la plainte sur le seul motif d’inexactitude de l’information concernant le recyclage du verre.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte