Plaignant
Centre jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec et Mme Geneviève Jauron, agente d’information
Mis en cause
M. Éric Yvan Lemay, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien Le Journal de Montréal et le quotidien Le Journal de Québec; M. Donald Charrette, directeur de l’information et le portail Canoë etM. Patrick White, rédacteur en chef
Résumé de la plainte
Mme Geneviève Jauron porte plainte contre M. Éric Yvan Lemay, auteur d’un article intitulé, « Yoga pour fonctionnaires. Non ce n’est pas un poisson d’avril », publié le 1er avril 2010, dans Le Journal de Montréal et dans Le Journal de Québec, ainsi qu’une photo parue sur le site Internet de Canoë, le 20 avril 2010. La plaignante dénonce le fait que M. Lemay se soit introduit, sans invitation, dans un groupe de fonctionnaires afin d’assister à des activités de yoga et de relaxation. Elle reproche au journaliste le ton biaisé de l’article de même que son manque de mise en contexte. De plus, elle se plaint de ce que les deux quotidiens ainsi que Canoë aient publié des photos d’employés sans leur consentement.
Analyse
Grief 1 : cueillette d’information inadéquate
La plaignante dénonce le fait que le journaliste se soit introduit, sans invitation, au sein d’un groupe de 300 employés pour assister aux allocutions et aux séances de yoga et de relaxation de la journée de reconnaissance des employés du Centre jeunesse.
Le représentant du mis-en-cause, Me Bernard Pageau, rétorque que le journaliste a pénétré librement à l’intérieur de l’Hôtel de Drummondville sans qu’aucun contrôle soit exercé sur lui et sans qu’aucune question lui soit posée.
Le Conseil estime que le journaliste n’a pas présenté une fausse identité, il ne s’est tout simplement pas identifié au départ. De plus, il s’est promené ouvertement avec son appareil photo. Il a donc profité d’une faiblesse de l’organisation de la journée qui n’a pas bien contrôlé les entrées des participants. Compte tenu du degré d’intérêt public du sujet de l’article et de la très forte probabilité d’un refus en cas de demande d’accès aux ateliers, le Conseil est d’avis que le comportement du journaliste était justifié. Le grief est donc rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre et information incomplète et partiale
Mme Jauron déplore que le journaliste, M. Lemay, qui s’est identifié en après-midi et a sollicité une entrevue avec la direction, ait utilisé un ton arrogant avec le directeur général et « tentait d’orienter les réponses en faisant preuve d’une absence totale d’écoute ». Elle ajoute qu’il a présenté une information incomplète et partiale. Jamais il ne remet la nouvelle dans son contexte même si ce contexte lui a été expliqué à différentes reprises. Il ne souligne pas les objectifs et l’impact de ce genre d’activité sur le développement professionnel des employés.
De son côté, le représentant des mis-en-cause soutient que ce dernier a rapporté les propos du directeur général, M. Bisaillon, expliquant les raisons d’une telle journée. Il soutient que le journaliste a posé des questions directes et sans détour. Il considère que de « dénoncer les dépenses inutiles du gouvernement constitue un exercice d’un grand intérêt public ». Il ajoute cependant que le directeur général s’est plaint au journaliste du ton de l’entrevue qui semblait orientée et a même mis fin abruptement à l’entrevue.
Dans son guide les Droits et responsabilités de la presse, le Conseil précise que : « L’information factuelle rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte, afin de permettre aux citoyens de mieux connaître la société et le monde dans lequel ils vivent, de porter des jugements éclairés sur l’actualité et sur les questions d’intérêt public. » (DERP, p. 14) Il ajoute : « La nouvelle a pour but d’informer le public des faits et des événements nouveaux, significatifs et intéressants qui relèvent de l’intérêt public […] en situant ceux-ci dans leur contexte de signification. » (DERP, p. 15)
Plus loin, le guide déontologique précise : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées […] un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (DERP, p. 26)
Le Conseil doit donc répondre à la question suivante : l’article contesté présente-t-il un traitement équilibré qui reflète l’ensemble de la situation décrite et qui permet d’en saisir le sens?
Dans un premier temps, il est utile de préciser qu’un traitement équilibré ne signifie pas que l’espace accordé aux différentes versions d’un événement soit d’égale importance. Dans le présent cas, le reportage pouvait insister sur la description des activités de la journée, sur les dépenses encourues et sur les réactions critiques de la Ligue des contribuables. Cependant, l’article devait présenter également le point de vue des organisateurs de l’événement. Ce qui a été fait.
Ce point de vue a-t-il été exposé de façon équitable et honnête, sans parti pris ni partialité? Le journaliste présente brièvement ce point de vue en rapportant des propos du directeur général selon lesquels : (1) les intervenants concernés par les activités critiquées sont confrontés à des situations « problématiques » et occupent un emploi « très stressant »; (2) qu’ils doivent d’abord prendre soin d’eux pour pouvoir convaincre leur clientèle de s’occuper de leur santé et (3) qu’il est pertinent d’initier ces travailleurs aux différentes activités physiques (dont le yoga) qu’ils pourront intégrer par la suite à leur mode de vie. Le journaliste rapporte également les propos des organisateurs selon lesquels la dépense engagée par les activités contestées ne représentait « qu’une infime partie (moins de 0,25 %) de la masse salariale de 39 millions $. »
Même si le journaliste n’a pas rapporté toutes les informations transmises par les organisateurs comme l’impact possible de ces activités sur le développement professionnel et la rétention du personnel, le Conseil considère que le journaliste a exercé sa liberté éditoriale et qu’il n’a pas commis de faute professionnelle. Le Conseil rejette donc le grief pour manque d’équilibre et information incomplète et partiale.
Le Conseil constate, par ailleurs, que lors de la cueillette de l’information, le journaliste a adopté une attitude agressive et un ton virulent. Sans y voir ici une faute professionnelle, le Conseil considère néanmoins que, dans le respect des plus hauts standards éthiques de la profession, le journaliste aurait dû adopter un comportement plus sobre et respectueux envers les organisateurs de l’événement.
Grief 3 : atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image
La plaignante déplore que Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et Canoë aient publié des photos des membres du personnel durant le cours de yoga, photos prises par le journaliste sans leur consentement. Si les visages ont été brouillés dans l’édition du Journal de Montréal et du Journal de Québec, Mme Jauron soutient qu’ils ne l’étaient pas dans la version du site Internet Canoë. Et que de toute façon, l’effet de brouillage n’était pas suffisant pour respecter l’anonymat des gens concernés puisqu’ils étaient reconnaissables par leur entourage.
Le représentant du mis-en-cause, Me Bernard Pageau, confirme que les photos ont été publiées dans Le Journal de Montréal et dans Le Journal de Québec, édition du 1er avril 2010, mais que les visages ont été brouillés et qu’ainsi les personnes n’étaient pas reconnaissables. Seul l’animateur de l’atelier n’était pas brouillé. Il n’est pas fait mention de la version Internet de l’article.
Le Conseil constate la volonté des mis-en-cause de respecter l’anonymat des personnes qui apparaissent sur les photos publiées. Pour ce faire, presque toutes les photos montrent des gens de dos ou couchés face contre terre ou des visages brouillés. Dans ces derniers cas et sur le site Internet de Canoë également, le Conseil considère que l’anonymat est protégé puisque les personnes concernées ne peuvent pas être reconnues par le grand public.
En raison des motifs énoncés plus haut, le Conseil rejette les griefs pour atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image.
DÉCISION
Nonobstant le commentaire éthique, relatif au comportement du journaliste, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre de M. Éric Yvan Lemay, des quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec et du portail Canoë, pour cueillette d’information inadéquate, manque d’équilibre, information incomplète et partiale ainsi que pour atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C23L Altercation/manque de courtoisie