Plaignant
Municipalité de Les Escoumins
Mis en cause
Mme Sonia St-Gelais, journaliste, Mme Claudine Roussel, directrice générale, l’émission « Anges et Démon », la station CHME-FM et M. Georges Giroux, président, l’émission « Info-7 » et la Télévision Régionale Haute-Côte-Nord – TVR7
Résumé de la plainte
La municipalité de Les Escoumins, dans deux plaintes séparées, blâme la journaliste Mme Sonia St-Gelais, la chaîne radiophonique CHME-FM et l’émission « Anges et Démon » ainsi que l’émission « Info-7 », diffusée sur TVR7, relativement à une série de reportages et entrevues diffusés entre les 15 et 23 avril 2010 qui constituerait une campagne de salissage, et qui aurait contribué à miner la crédibilité de la municipalité, ses élus, ses fonctionnaires et ses employés.
Griefs du plaignant
Les reportages et entrevues portaient sur le départ d’une douzaine d’employés de la Ville qui auraient eu maille à partir avec la directrice générale de la Ville qu’on accuse d’entretenir un climat de travail malsain. La plaignante considère que la journaliste n’a aucunement respecté son devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. Elle exige une rétractation et des excuses publiques.
à noter que la plaignante a aussi fait parvenir une mise en demeure à la journaliste et à la station radiophonique CHME-FM afin que cesse toute campagne de salissage à l’égard de la municipalité et de ses employés.
Analyse
Avant d’entrer dans le détail des différents griefs, le Conseil tient à préciser qu’il examinera les deux plaintes conjointement puisque les entrevues qui font l’objet de blâme et qui ont été diffusées sur les ondes de TVR7 sont en fait des extraits des mêmes entrevues diffusées à la radio CHME-FM. Ce sont donc les mêmes griefs que la municipalité de Les Escoumins formule à l’endroit de la station radiophonique et la station de télévision, dans ses deux plaintes.
Grief 1 : partialité et manque d’objectivité
La plaignante considère que la journaliste Mme Sonia St-Gelais et la station radiophonique CHME-FM se sont acharnées sur la directrice générale et le maire de la municipalité de Les Escoumins en diffusant pendant plusieurs jours, une série d’entrevues avec d’ex-employés. Ces personnes disent avoir quitté leur emploi à cause d’un climat de terreur instauré par la directrice générale de la Ville. La journaliste a aussi fait quelques reportages sur des assemblées municipales auxquelles assistaient des citoyens mécontents de la gestion du personnel de la Ville. La municipalité de Les Escoumins estime que l’administration de la Ville a subi du harcèlement psychologique avec un objectif évident de miner sa crédibilité.
La directrice générale de CHME-FM, Mme Claudine Roussel de même que le président de la Télévision Régionale Haute-Côte-Nord, M. Georges Giroux affirment, tous les deux, que le but des reportages n’était aucunement de miner la crédibilité de la municipalité, mais plutôt d’informer la population sur un dossier d’intérêt public. Ils ajoutent que Mme St-Gelais a effectué d’autres recherches auprès d’ex-employés pour étoffer son dossier et que les deux parties ont été traitées de façon équitable.
La mise en cause, quant à elle, insiste pour dire que c’est d’abord un ex-employé qui l’a contactée pour livrer son témoignage en ondes, ce qui l’a incitée à poursuivre sa recherche. Elle n’a donc pas initié ce que la plaignante qualifie de campagne de salissage contre la Ville. Elle ajoute qu’elle a contacté d’autres ex-employés, employés et conseillers de la Ville, mais que ceux-ci ont demandé à garder l’anonymat.
Mme St-Gelais a aussi invité le maire à donner sa version, ce qu’il a fait dans une entrevue de près de 30 minutes, diffusée intégralement quelques jours après le premier reportage. Dans cette entrevue, il invite la journaliste à réinterroger un des ex-employés pour vérifier les « vraies raisons » de son départ, ce que Mme St-Gelais a fait dans les jours qui ont suivi. Par la suite, un conseiller et une employée ont demandé et obtenu d’être entendus en ondes pour défendre la position de la Ville.
Pendant ce temps, la journaliste, dans le cadre de son dossier, a fait état d’une pétition d’une centaine de noms dénonçant la méthode de gestion de la Ville qui a été envoyée au ministère des Affaires municipales. Elle a aussi fait rapport de différentes assemblées municipales auxquelles assistaient des citoyens insatisfaits, toujours sur le même sujet.
Mme St-Gelais considère qu’il était de son devoir de journaliste de revenir régulièrement sur le dossier pour informer ses auditeurs du développement de l’affaire. Mme St-Gelais a aussi eu à composer avec le silence que le maire a imposé à ses employés et à la directrice générale une fois que l’affaire fut rendue publique.
Le Conseil constate que la journaliste, Mme Sonia St-Gelais, ne s’est pas lancée dans une campagne de salissage et d’acharnement contre la municipalité de Les Escoumins. Ce sont les ex-employés qui ont demandé à être entendus et non pas la journaliste qui les a incités à le faire. Elle est revenue en ondes sur le sujet chaque fois qu’elle et la station radiophonique CHME-FM ont jugé qu’il était de l’intérêt public d’informer les auditeurs des nouveaux développements. De plus, toutes les parties ont pu s’exprimer en ondes, et ce, plus d’une fois.
Le Conseil rappelle que : « Le journalisme d’information a pour but de renseigner le public sur les faits, les événements, les phénomènes qui ont cours dans la société et dans le monde en général, ainsi que sur toute question d’intérêt public […]. Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relève de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. Il leur appartient aussi de déterminer les genres journalistiques qu’ils utilisent pour le traitement des informations recueillies. » (DERP, p.14)
Le Conseil n’y voit donc pas d’acharnement ni de campagne de salissage. Ainsi, le grief pour partialité et manque d’objectivité est rejeté.
Grief 2 : déséquilibre de l’information
La plaignante, la municipalité de Les Escoumins, prétend que la mise en cause n’a jamais effectué d’enquête exhaustive ni cherché à obtenir de l’information de la part de la municipalité afin de vérifier le bien-fondé des allégations de l’ex-employé, avant la diffusion du premier reportage. Elle dit que Mme St-Gelais a simplement informé la directrice générale, Mme Chantal Otis, qu’un gros dossier concernant la Ville allait sortir sur les ondes prochainement. La journaliste aurait refusé de révéler la nature du dossier avant sa diffusion; elle a dit qu’elle solliciterait les réactions de la Ville par la suite. La plaignante soutient que Mme St-Gelais a refusé d’entendre les informations que Mme Otis était prête à lui offrir à condition de connaître le sujet du dossier.
Dans ses commentaires, la direction de la station CHME-FM soutient que la journaliste, à la suite de la première rencontre avec l’ex-employé de la Ville, a fait d’autres recherches auprès d’ex-employés afin d’étoffer son dossier.
La journaliste Sonia St-Gelais confirme, à son tour, qu’elle a communiqué avec la directrice générale de la Ville pour s’assurer d’« avoir sa réaction suite à un dossier important concernant la Ville » qui allait sortir prochainement sur les ondes. Elle affirme que son but premier, en la contactant, était de « s’assurer que chaque partie puisse s’exprimer librement et apporter des éclaircissements ».
Le Conseil est d’avis que les deux parties dans cette affaire ont eu largement l’occasion de se faire entendre et d’exprimer leur point de vue. Rien n’obligeait la journaliste à présenter toutes les opinions dans la même émission. Dans les jours qui ont suivi la première entrevue avec l’ex-employé de la Ville, le maire et des employés de la Ville ont eu l’occasion de donner leur version des faits. Le guide de déontologie du Conseil est clair : « La façon de traiter un sujet, de même que le moment de la publication et de la diffusion des informations relèvent de la discrétion des médias et des journalistes. » (DERP, p. 13)
Ainsi, le grief pour déséquilibre de l’information est rejeté.
Grief 3 : information inexacte
Dans sa plainte, la municipalité de Les Escoumins rappelle que lors d’une séance du conseil de la Ville, Mme St-Gelais a affirmé que Mme Shirley Kennedy, journaliste au Journal Haute Côte-Nord, lui aurait dit que le maire, M. Laurencelle lui aurait imposé la rédaction et la publication d’un texte dans lequel il redressait les faits et réfutait les accusations entendues en ondes. Cette affirmation de la mise en cause aurait contribué à salir la réputation du maire de Les Escoumins.
Mme Kennedy a nié formellement avoir fait une telle déclaration à Mme St-Gelais et le Journal Haute Côte-Nord a sommé cette dernière de s’excuser. Mme St-Gelais a reconnu avoir fait une erreur et s’est excusée publiquement dans les pages du journal.
Cette situation n’a pas été rapportée dans les reportages diffusés sur les ondes de CHME-FM ni sur TVR7. Par contre, la plaignante considère que cet épisode vient contribuer à salir la réputation de la municipalité et en fait donc l’objet d’un grief dans sa plainte. étant donné que Mme St-Gelais a reconnu avoir commis une faute et s’est excusée publiquement, le Conseil ne retient pas le grief pour information inexacte.
Grief 4 : refus de copie de matériel journalistique
La plaignante affirme avoir demandé à la station radiophonique CHME-FM et à sa directrice générale, Mme Claudine Roussel, une copie intégrale de toutes les entrevues, reportages et bulletins de nouvelles diffusés entre les 15 et 23 avril 2010, demande qui lui a été refusée « sans plus d’explications ».
Mme Claudine Roussel, après avoir consulté le CRTC, la FPJQ et ses conseillers juridiques, a refusé de transmettre les copies d’émissions demandées. Faisant face à une mise en demeure, Mme Roussel craint que la Ville ne se serve de ces enregistrements lors d’une poursuite éventuelle. Par ailleurs, la même demande a été faite par la plaignante à la direction de la Télévision Régionale Haute-Côte-Nord. Dans ce cas-ci, la direction de TVR7, même si elle n’était pas tenue de le faire, a accepté de fournir le matériel en spécifiant que ce sont des entrevues qui ont toutes été réalisées par la radio CHME-FM.
Le Conseil, de la même manière que le CRTC et que de la FPJQ, estime que rien n’oblige la station radiophonique à remettre des copies des entrevues, reportages ou autre matériel journalistique à la municipalité. Les médias sont libres d’agir à leur guise.
Conséquemment, le grief pour refus de transmettre une copie du matériel journalistique n’est pas retenu.
Grief 5 : poursuite de « la campagne de salissage »
Afin de mettre fin à ce qu’elle qualifie de « campagne de salissage à l’égard de la municipalité, ses élus et ses employés », la Ville de Les Escoumins a envoyé des mises en demeure aux ex-employés qui se sont exprimés en ondes ainsi qu’à la journaliste Sonia St-Gelais et à la station CHME-FM. Cette mise en demeure les enjoint à cesser toute déclaration ou tout reportage diffusant des « informations fausses ou calomnieuses à l’endroit de la municipalité ».
Pour Mme Claudine Roussel, directrice générale de CHME-FM, cette mise en demeure fait peur et équivaut à museler et intimider la journaliste, Mme St-Gelais, ainsi que la station radiophonique. Depuis la réception de la mise en demeure, Mme Roussel avoue marcher sur des œufs et affirme qu’on ne parle plus du dossier à l’antenne.
Même son de cloche de la part de Mme St-Gelais qui dit que depuis la mise en demeure, malgré des développements dans cette affaire, elle a décidé de ne plus traiter de la question par crainte de poursuite.
Dans son guide de déontologie, le Conseil est formel : « Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de rechercher et de collecter les informations sur les faits et les événements sans entrave ni menace ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier, le choix de ce sujet et sa pertinence relèvent de leur jugement rédactionnel. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. » (DERP, p. 9)
Comme énoncé précédemment, le Conseil ne considère pas que la couverture des événements mentionnés corresponde à une campagne de harcèlement contre la Ville. Il croit que les événements qui se sont déroulés à la Ville de Les Escoumins sont d’intérêt public et les citoyens méritent d’être justement informés. Ainsi, demander que cesse la diffusion des informations sur ce sujet équivaut à imposer une censure; une tendance que le Conseil observe de plus en plus et qu’il déplore. Ainsi, le grief pour poursuite de « la campagne de salissage » est rejeté.
Grief 6 : rétractation et excuses publiques
Dans sa plainte, la municipalité de Les Escoumins exige que la journaliste Mme St-Gelais et la station CHME-FM reconnaissent avoir fait des interventions injustifiées, non fondées et déraisonnables et s’excusent publiquement et à la radio, à la télévision et dans le journal local, de façon à rétablir les faits et la réputation de la municipalité et ses employés.
Dans ce cas précis, comme le Conseil a jugé qu’il n’y avait ni partialité ni information inexacte dans les reportages ci-haut mentionnés, le grief pour rétractation et excuses publiques n’est pas retenu.
Grief 7 : atteinte à la réputation
La plaignante reproche à la journaliste Sonia St-Gelais d’avoir orchestré une campagne de salissage à l’endroit le la municipalité de manière à miner la crédibilité de celle-ci, ses élus, ses employés et ses fonctionnaires. Elle ajoute que la journaliste est intervenue pour ridiculiser et mettre en doute la capacité des élus et fonctionnaires de la municipalité à administrer et à gérer cet organisme public et de ce fait à miner leur crédibilité et leurs compétences.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation, la diffamation, le libelle ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décision en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
DÉCISION
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte déposée par la municipalité de Les Escoumins contre la journaliste Mme Sonia St-Gelais, la station radiophonique CHME-FM et la station Télévision Régionale Haute-Côte-Nord – TVR7.
De plus, le Conseil de presse s’inscrit contre le comportement de plus en plus fréquent de la part de groupes ou d’organisations d’envoyer des mises en demeure dans le but de museler et d’intimider les médias.
Analyse de la décision
- C07A Entrave à la diffusion/distribution
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C19A Absence/refus de rectification