Plaignant
Syndicat de la rédaction du Soleil etM. Baptiste Ricard-Châtelain, président; Syndicat de l’Information du Nouvelliste etM. Pierre Carrier, président;Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse et M. FrédÉric Murphy, président; M. Gilles Filiatrault et Mme Claude Côté
Mis en cause
M. Raymond Tardif, éditeur adjoint et le quotidien Le Soleil; M. Mario Girard, directeur de l’information et le quotidien La Presse; M. Denis Bouchard, éditeur adjoint et rédacteur en chef et le quotidien Le Quotidien; M. Stéphan Frappier, rédacteur en chef et le quotidien Le Nouvelliste
Résumé de la plainte
À la suite de la publication d’une publicité occupant la presque totalité de la une du quotidien Le Soleil, dans les éditions du 26 juillet et du 16 août 2010, M. Baptiste Ricard-Châtelain, président du syndicat de la rédaction, blâme le quotidien pour avoir fait fi de l’étanchéité de la rédaction, pour avoir berné les lecteurs et pour avoir porté atteinte à la réputation et à la crédibilité des employés de l’information du journal. Le plaignant s’offusque de ce que le journal ait forcé des journalistes graphistes à travailler sur ces publicités afin d’assurer la plus grande ressemblance avec la vraie une du quotidien. Enfin, le plaignant dénonce le fait que la même publicité ait été publiée à la une de tous les quotidiens de Gesca portant ainsi atteinte aux droits des lecteurs et journalistes de partout au Québec.
Griefs du plaignant
MISE AU POINT
Depuis le dépôt de la plainte de M. Ricard-Châtelain, 4 autres parutions du même genre ont été publiées (soit les 13 septembre, 13 octobre, 9 novembre et 6 décembre 2010) et les plaintes des syndicats de l’information des quotidiens Le Nouvelliste et La Presse de même que deux plaintes de lecteurs, M. Gilles Filiatrault et Mme Claude Côté, se sont ajoutées à celle du syndicat de la rédaction du Soleil.
Analyse
Grief 1 : utilisation de la une pour des fins publicitaires
Le plaignant déplore que le quotidien Le Soleil ait publié à six reprises des publicités à la une de son journal, allant, selon lui, à l’encontre des règles de déontologie journalistique. Les publicités seraient insérées dans l’espace rédactionnel et elles seraient conçues dans l’intention de berner les lecteurs. Les numéros se trouvent à être entourés d’une jaquette publicitaire (expression empruntée au mis en cause) de quatre pages. La première page de cette jaquette publicitaire qui occupe la place de la une est constituée aux trois quarts d’une publicité pour les véhicules Chrysler, Jeep, Dodge et RAM. La publicité est surmontée de la vitrine du journal comprenant son logo, quelques titres en manchette. Un bandeau indiquant « Votre édition complète à l’intérieur » a été ajouté dans les dernières éditions. Le plaignant conclut que cette jaquette se trouve à dissimuler au lecteur les trois quarts de la vraie une du journal au profit d’une publicité. Le constat est clair : le quotidien a vendu sa une à un annonceur.
Pour le syndicat de la rédaction du Soleil, la une doit informer le lecteur en un coup d’Œil des faits saillants de l’actualité de la journée. La manŒuvre a porté atteinte aux droits des lecteurs ainsi qu’à la réputation et à la crédibilité des employés du journal.
Me Patrick Bourbeau, qui représente les quotidiens de Gesca, précise que, dans le cas qui nous intéresse, on ne peut parler de véritable une. Le mis en cause utilise plutôt l’expression « jaquette » qu’il définit comme une enveloppe extérieure du quotidien. De plus, cette « jaquette » n’est pas numérotée, la numérotation ne débutant qu’à partir de la vraie une. Pour la direction du journal, la une demeure intouchée.
Me Bourbeau rappelle qu’il revient à l’éditeur de définir la politique en matière de publicité et de décider où elle va. Cette politique et son application doivent évoluer et s’arrimer aux habitudes des consommateurs et aux nouveaux outils publicitaires. Il cite des cas semblables aux états-Unis où des quotidiens comme le New York Times, le Los Angeles Times ou le USA Today ont placé de la publicité en première page.
Dans un premier temps, le Conseil considère qu’il importe peu de déterminer si la page contestée est une véritable « une » formée essentiellement d’une publicité ou plutôt d’une « jaquette publicitaire » chapeautée par un segment journalistique. Les principes déontologiques en vigueur au Québec précisent qu’« Il relève de la prérogative de l’éditeur d’établir la politique d’un organe d’information en matière de publicité. » (DERP, p. 31) Ceci signifie plus concrètement qu’il appartient à l’éditeur de déterminer le volume et la position du contenu publicitaire publié dans ses éditions. Cette question relève de la politique commerciale de l’éditeur et sera jugée par le public.
Le grief de l’utilisation de la une pour des fins publicitaires est donc rejeté.
Grief 2 : le mélange des genres
M. Baptiste Ricard-Châtelain, au nom du syndicat de la rédaction du Soleil, déplore que la direction du journal ait omis d’établir une distinction nette entre l’information et la publicité à la une du journal. Le plaignant estime que les lecteurs ont été bernés, car on est porté à penser, au premier coup d’Œil, que le slogan publicitaire est en fait la manchette du journal. M. Ricard-Châtelain dénonce aussi le fait que rien, sur la une du journal, n’indique qu’il s’agit là d’une publicité. Le bandeau disant : « Votre édition complète à l’intérieur » confirme au contraire qu’il est loin d’être évident pour le lecteur de faire la distinction entre la publicité et l’information journalistique. Même s’il est conscient que des grands quotidiens amÉricains tels le New York Times, le USA Today ou le Los Angeles Times utilisent ce procédé, le plaignant précise que dans ces journaux, le mot « advertisement » y apparaît en haut de la publicité et que de toute façon, les journaux amÉricains ne sont pas nécessairement soumis aux mêmes règles éthiques et déontologiques.
De son côté, Me Patrick Bourbeau, représentant de Gesca, insiste pour dire que le contenu publicitaire n’influence pas la politique rédactionnelle du journal. Il y a un mur étanche entre la salle de rédaction et le service des ventes. La fameuse fausse une est en fait une jaquette, sorte d’enveloppe externe du quotidien et que pour le lecteur moyen, il est sans équivoque qu’il s’agit d’un contenu publicitaire et non pas d’un quelconque contenu rédactionnel. Le bandeau indiquant « Votre édition complète à l’intérieur » vient éliminer tout doute à cet égard. Me Bourbeau justifie le recours à une telle forme de publicité par le fait que plusieurs grands quotidiens amÉricains tels le New York Times, le Los Angeles Times ou le USA Today l’utilisent et qu’il faut moderniser l’approche publicitaire.
Le mis en cause estime aussi qu’il s’agit ici d’un produit purement publicitaire et non pas journalistique. « Il appert clairement de la reproduction des jaquettes qui font l’objet de la Plainte qu’il ne s’agit nullement d’actes et de produits journalistiques, mais plutôt d’un produit purement publicitaire. » La publication de la jaquette est une décision à caractère exclusivement commerciale portant sur un contenu publicitaire et ainsi, pour Gesca, le Conseil n’a pas à se prononcer sur la question.
Le Conseil rappelle qu’il est de l’obligation de l’éditeur d’établir « […] une distinction nette entre l’information et la publicité sur tous les plans : contenu, présentation, illustration. Tout manquement à cet égard est porteur de confusion auprès du public quant à la nature de l’information qu’il croit recevoir. Non seulement les médias doivent-ils identifier clairement les textes et les émissions publicitaires, mais ils doivent les présenter dans une forme qui les distinguent de façon manifeste, par leur mise en page ou leur mise en ondes, des textes et des émissions qui relèvent de l’information journalistique ». (DERP, p. 31)
Après avoir examiné tous les cas soumis à son attention, le Conseil conclut que l’éditeur s’est acquitté des ses obligations en distinguant clairement le contenu publicitaire du contenu journalistique dans les pages contestées. Il est clair que, outre la manchette en haut de page, il s’agit bien d’une publicité. Dans tous les cas, les titres relèvent carrément du slogan publicitaire : « Les modèles les plus HOT de l’été », « Les nouvelles couleurs d’automne », « L’événement Pole position Dodge », le tout dans une présentation de type publicité (camions sur fond de soleil levant ou sur fond de drapeau de course automobile) et non pas d’article de journal. Même s’il semble y avoir une certaine harmonie de couleur entre la manchette du haut et la publicité, il est difficile de voir comment le lecteur peut se méprendre sur la nature publicitaire de ce contenu. De plus, dans presque tous les cas, une bande, située en bas de page, indiquant les marques Chrysler, Jeep, Dodge et RAM, donne vraiment à la une, un look publicitaire. Seule exception, Le Nouvelliste de Trois-Rivières où l’expression « Pole position » de la publicité se rapproche du contenu journalistique qui fait allusion au Grand Prix de la région. Mais ce même slogan est utilisé dans d’autres quotidiens Gesca, la même journée, sans qu’il n’y ait aucun lien avec l’actualité. C’est donc un hasard.
Ainsi, le grief pour mélange des genres est rejeté.
Par contre, le Conseil estime que l’ajout de l’expression « Votre édition complète à l’intérieur » serait insuffisant pour dissiper toute confusion et que dans des situations où il y aurait un risque réel de confusion entre le contenu publicitaire et journalistique, les éditeurs devraient superposer l’étiquette « Publicité » dans un endroit bien en vue, comme le font plusieurs éditeurs amÉricains.
Grief 3 : incitation au mélange des genres
Le président du Syndicat de la rédaction du Soleil, M. Baptiste Ricard-Châtelain ainsi que le président du Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse, M. FrédÉric Murphy dénoncent le fait que la direction de leur quotidien respectif ait forcé des journalistes graphistes, qui font partie de la même unité syndicale que les journalistes à la rédaction, à « travailler sur ces publicités afin d’assurer la plus grande ressemblance avec la vraie une du quotidien » ou « à faire de la publicité déguisée ou indirecte dans l’exécution de ses tâches ».
Quant à Me Patrick Bourbeau, il insiste pour dire qu’il existe un mur étanche entre la salle de rédaction et le service commercial « qui ne saurait en aucun cas et pour aucun motif être percé ».
Le Conseil a contacté la journaliste graphiste du quotidien Le Soleil, Mme Louise Pépin. Celle-ci nie avoir été forcée de travailler à agencer les manchettes à la publicité. Elle n’a pas eu à harmoniser la couleur ou la typographie à la publicité. Elle a conçu la manchette de ces numéros comme elle le fait habituellement et aucune directive de la direction ne l’a obligée à changer sa méthode de travail. Le seul inconvénient fut de créer deux unes pour le même numéro. De la même manière, le journaliste graphiste de La Presse, M. Jacques-Olivier Bras confirme lui aussi qu’il n’a reçu aucune directive l’obligeant à faire de la publicité déguisée. Comme Mme Pépin, il a travaillé à concevoir le bandeau manchette, comme il le fait d’habitude, sans toucher à la publicité qu’il n’a vue d’ailleurs qu’à la dernière minute.
Dans ces circonstances, le Conseil constate qu’il n’y a pas eu de directive de l’éditeur incitant les journalistes à rapprocher le contenu journalistique du contenu publicitaire et à favoriser un mélange des genres. Il considère, par ailleurs, que la demande de la direction d’harmoniser la manchette journalistique de la première page avec celle de la page intérieure (la vraie une selon le plaignant) ne constitue aucunement une faute pouvant introduire une confusion. Le grief pour incitation au mélange des genres est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte du Syndicat de la rédaction du Soleil contre la direction du quotidien. La décision est valable pour tous les autres plaignants dans ce dossier.
Analyse de la décision
- C20A Identification/confusion des genres
- C21D Information déguisée en publicité
- C21G Indépendance des services d’information et de publicité