Plaignant
M. Gàbor Boros et al
Mis en cause
M. Serge Truffaut, journaliste; Mme Josée Boileau, rédactrice en chef etle quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
M. Gàbor Boros, au nom de cinq autres personnes, porte plainte contre le journaliste M. Serge Truffaut du journal Le Devoir, relativement à un éditorial intitulé « Fascisme en Hongrie – La peste », paru le 5 août 2010. Le plaignant considère l’éditorial injurieux, diffamatoire, biaisé et reproche au journaliste son manque de rigueur et d’exactitude. De plus, M. Boros s’offusque de ce que Le Devoir a refusé de publier la réponse du groupe dans la rubrique « Opinion libre ».
Analyse
Grief 1 : propos injurieux et manque d’impartialité
Le plaignant s’offusque des propos du mis en cause qui associe la Hongrie au fascisme, à du délabrement idéologique et à une volonté de brimer les droits élémentaires. Le plaignant accuse l’éditorialiste de comparer le gouvernement hongrois à ceux de Mussolini et d’Hitler. Selon lui, l’article donne l’impression que le gouvernement est tenu responsable de l’avancement de l’extrême droite. Il écrit : « De telles idées préconçues désorientent les lecteurs et créent certains préjugés hâtifs. » De plus, M. Boros et ses collègues rétorquent que les Hongrois vivent dans un pays qui tente de régler des problèmes économiques importants ce qui fait apparaître comme radicales certaines mesures adoptées. Cela dit, il trouve injurieux de dire que la Hongrie est atteinte de la peste.
Dans sa réponse à la plainte, le journaliste, M. Serge Truffaut, se défend d’exagérer et de tenir des propos injurieux. Il dit rapporter des faits déjà constatés par des journalistes d’autres médias de différents pays qui confirment le délabrement politique en Hongrie. Il cite notamment des revues comme Le Nouvel Observateur et The Economist qui vont dans le même sens que lui.
De son côté, la rédactrice en chef du journal, Mme Josée Boileau, appuie M. Truffaut en disant d’abord que c’est le gouvernement en poste qui fait l’objet de l’éditorial et non l’ensemble du peuple Hongrois. Quant à l’impartialité souhaitée par le plaignant, Mme Boileau dit que ce critère ne peut pas s’appliquer puisque « en tant qu’éditorialiste, le journaliste se doit de prendre position ».
Le Conseil a pu prendre connaissance de la teneur d’autres articles publiés sur le même sujet et conclut que, si certains appuient les mesures du gouvernement hongrois, d’autres le critiquent vertement. Le tout est une question d’interprétation. Par ailleurs, même si les comparaisons que fait l’auteur avec des régimes totalitaires semblent dures, elles ne contredisent pas les faits et ne présentent pas un caractère injurieux. Le code de déontologie rappelle que : « Le journalisme d’opinion est une manifestation de la liberté d’expression et de la liberté de presse […]. Le journalisme d’opinion accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire […]. Les sujets et les contenus des éditoriaux relèvent de la discrétion de l’éditeur qui est libre d’établir la politique du média en ces matières. Il est également de son ressort de déterminer à tout moment, l’espace qu’il juge à propos pour prendre position, faire valoir ses points de vue ou exprimer ses critiques. » (DERP, p. 17) Ainsi, le grief pour propos injurieux et manque d’impartialité est rejeté.
Grief 2 : inexactitudes de l’information
Le plaignant affirme que les faits rapportés sont incomplets, exagérés et sans mise en contexte.
Voici quelques exemples :
— Dans son éditorial, M. Truffaut évoque le désir du premier ministre M. Orbàn d’offrir la nationalité hongroise à 5 millions de Hongrois vivant à l’étranger – un geste qu’il qualifie de « délabrement idéologique ». Le plaignant, M. Boros y voit plutôt un geste pour « redonner un sentiment d’identité nationale à une nation bafouée par l’histoire ».
— M. Truffaut, parlant de la réduction du personnel de l’état, écrit : « simultanément à cette boulimie parlementaire, le gouvernement a pris un soin particulier à malmener l’état de manière à le mettre à sa botte. Des centaines et des centaines de cadres ont été renvoyés sans motif, sans préavis, sans compensation financière… » M. Boros, sans nier le fait encore une fois, parle plutôt d’un régime minceur de la fonction publique, imposé par une situation économique difficile.
— L’éditorialiste traite aussi d’une éventuelle politique de ségrégation dans les écoles et les restaurants à l’égard des Roms, ce qui amène l’auteur à écrire : « qu’on veut imiter les racistes du siècle dernier ». Le plaignant ne parle pas de ségrégation, mais compare la situation de la Hongrie à celle de plusieurs pays d’Europe où le racisme sévit et où l’intégration des Roms est difficile.
Encore une fois, la rédactrice en chef répond que l’article de M. Truffaut répond aux exigences de rigueur et d’exactitude souhaitées par le plaignant.
M. Truffaut se défend en citant d’autres articles de différents journaux et revues qui commentent les mêmes événements et qui ont été publiés avant et après son éditorial. Ces articles soulèvent les mêmes questions et plusieurs sont également très critiques des gestes posés par le gouvernement de M. Orbàn.
Le Conseil ne constate aucune erreur d’inexactitude et observe que le plaignant en a davantage contre l’interprétation que M. Truffaut fait des événements et des faits cités. Le grief pour inexactitudes de l’information est rejeté.
Grief 3 : refus d’un droit de réplique
M. Boros se plaint de ce que le journal a refusé de publier un texte de réplique dans la rubrique « Opinion libre » et souhaite que le journal rectifie son tir et apporte des corrections à l’éditorial.
La rédactrice en chef du Devoir précise que le plaignant a fait parvenir une lettre de « rectification » un mois après la publication de l’éditorial, ce qui était à ce moment-là, très loin de l’actualité. De plus, le quotidien avait déjà publié, quelques jours auparavant, une réplique à l’éditorial, signée du chargé d’affaires de l’ambassade de la République de Hongrie.
Le Conseil considère que le devoir de réplique a été respecté en ce qu’on a donné la parole à une personne, en l’occurrence un membre de l’ambassade de la République de Hongrie, qui a critiqué l’éditorial de M. Truffaut. De plus, le Conseil rappelle que : « Le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits ou aux ondes des stations de radios et de télévision […] Les médias […] peuvent refuser de publier certaines lettres […]. » (DERP, pp. 37-38) Le Conseil ne retient donc pas le grief pour refus d’un droit de réplique.
DÉCISION
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Gàbor Boros (et cinq autres personnes) contre l’éditorialiste, M. Serge Truffaut et le quotidien Le Devoir.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C17C Injure