Plaignant
M. Gilles Rhéaume
Mis en cause
M. Martin Patriquin, journaliste; M. Andrew Coyne, journaliste; M. Kenneth Whyte, rédacteur en chef et le magazine Maclean’s
Résumé de la plainte
M. Gilles Rhéaume porte plainte contre MM. Martin Patriquin et Andrew Coyne, tous deux journalistes au magazine Maclean’s, relativement à deux articles parus dans le numéro d’octobre 2010 qui seraient semeurs de préjugés, de racisme et de discrimination contre la nation du Québec. La même revue publie sur sa page couverture une image du Bonhomme Carnaval travesti en bandit de grand chemin, une attaque à un symbole national québécois, selon le plaignant.
Commentaires du mis en cause
Le magazine Maclean’s n’a fourni aucun commentaire à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : manque de rigueur et préjugés
Le plaignant dénonce le titre de l’article du journaliste M. Martin Patriquin, « The most corrupt province – Why does Quebec claim so many of the nation’s potitical scandals? » Même si M. Rhéaume reconnaît que la corruption politique au Québec atteint des niveaux inégalés, rien ne prouve que la province de Québec soit celle qui détient le record en cette matière. Ainsi, le journaliste n’aurait pas fait la preuve de ce qu’il avance et l’article et son titre seraient semeurs de préjugés, de francophobie et de québécophobie.
De la même façon, l’article de M. Andrew Coyne, laissant sous-entendre que les Québécois sont porteurs d’une tradition culturelle favorisant la corruption, tiendrait du mauvais journalisme et du racisme.
Malgré de nombreuses démarches auprès des mis en cause pour leur demander de répondre à cette plainte, aucune explication ou défense n’a été acheminée au Conseil.
L’article de M. Martin Patriquin
Après analyse, le Conseil constate que M. Patriquin s’est limité à recueillir plusieurs points de vue rapportant l’existence d’une série de cas de corruption au Québec, mais n’a jamais démontré le fait que le Québec serait la province la plus corrompue au Canada. Le journaliste ne présente aucune enquête comparative, rigoureuse et exhaustive menée au Canada permettant de comparer le Québec avec les autres provinces. Le seul élément de comparaison qu’évoque M. Patriquin est un commentaire approximatif de l’historien amÉricain, M. Samuel Huntington qui a écrit en 1968 que la province « is perhaps the most corrupt area (in) Australia, Great Britain, United States and Canada ». Le Conseil considère que cet élément d’information est nettement insuffisant pour considérer le Québec comme champion canadien de la corruption.
De plus, M. Patriquin évoque les derniers déboires du gouvernement Charest en les qualifiant de « long line of made-in-Quebec corruption that has affected the province’s political culture at every level ». Cette phrase soutient que la corruption a atteint toutes les sphères de la culture politique québécoise, une affirmation qu’il ne démontre pas.
La majorité des membres du Conseil juge que ces deux affirmations, lourdes de sens, ne sont pas suffisamment étayées par l’auteur, M. Patriquin, et estime, en conséquence, qu’elles témoignent d’un manquement aux impératifs de rigueur en matière journalistique. On est ainsi forcé de conclure qu’elles relèvent de préjugés, d’autant plus condamnables dans les circonstances qu’ils portent préjudice à l’ensemble des Québécois. Le Conseil retient donc à la majorité de ses membres (6/7) ces griefs de manque de rigueur journalistique et d’expression de préjugés contre le journaliste Martin Patriquin.
Un membre (1/7) estime, quant à lui, que la démarche journalistique de Martin Patriquin était conforme aux règles de l’art, puisqu’il a interrogé un large éventail de personnalités politiques, de tous les horizons, en incluant certaines voix discordantes.
La chronique de M. Andrew Coyne
Dans le cas de la chronique de M. Coyne, le Conseil tient d’abord à rappeler que la liberté des commentateurs n’est pas absolue. « Les éditorialistes et les commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques. […] [Ils] ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter […] de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. S’ils peuvent dénoncer avec vigueur les idées et les actions qu’ils réprouvent, porter des jugements en toute liberté, rien ne les autorise cependant à cacher ou à altérer des faits pour justifier l’interprétation qu’ils en tirent. » (DERP, p. 28)
Or, la majorité des membres du Conseil (4/7) constate que le chroniqueur, en plus d’émettre son opinion et ses explications sur le phénomène de la corruption au Québec, présente notamment deux « faits » qui le guident dans son analyse. Dans un premier temps, il reprend à son compte, sans jamais le démontrer, lui non plus, l’affirmation selon laquelle le Québec possède le record de corruption, en écrivant que dans aucune autre province la corruption ne paraît aussi inévitable : « But in no other province does it feel quite so… inevitable ». Le Conseil juge qu’il commet ici la même faute que son confrère, M. Patriquin.
De la même manière, le chroniqueur avance également que les scandales de corruption qui ont frappé le Québec sont « more likely if politicians are operating in a general climate of public acceptance of such activities » (plus probables si les politiciens évoluent dans un contexte où le public accepte de telles activités), une affirmation qui est cette fois-ci visiblement contredite par la réalité, considérant la forte réaction du public au dévoilement des scandales en question.
La majorité des membres du Conseil (4/7) est d’avis que le chroniqueur, par ses affirmations, a également manqué de rigueur journalistique, en véhiculant des faits qui étaient ou bien non prouvés, ou bien carrément contraires à ce qu’on peut observer. Encore une fois, force est de conclure que ces affirmations relevaient de préjugés, qui ont également porté atteinte à la dignité des Québécois.
Par ailleurs, dans le reste de la chronique et malgré le caractère provocateur et pamphlétaire des propos tenus par M. Coyne, le Conseil considère que le chroniqueur demeure dans les limites acceptables de la liberté d’expression reconnue aux journalistes d’opinion. Selon le guide des Droits et responsabilités de la presse, « La chronique, le billet et la critique sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Ils permettent aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre […]. Ces genres accordent en général une grande place à la personnalité de leurs auteurs. C’est leur lecture personnelle de l’actualité, des réalités et des questions qu’ils choisissent de traiter qui est surtout mis en perspective. » (DERP, p. 18)
Trois membres du Conseil (3/7) ont exprimé cependant leur dissidence par rapport au jugement exprimé, par la majorité aux paragraphes, 11, 12 et 13. Selon eux, le chroniqueur Coyne est demeuré dans les limites acceptables de la liberté d’expression reconnue aux journalistes d’opinion puisqu’il présente tout au long de son texte, ses énoncés comme des hypothèses et non des affirmations.
Les titres de la une et de l’article
Puisque le Conseil considère que jamais l’article de M. Patriquin ni aucun autre article du magazine n’apportent la démonstration du fait que le Québec serait la province la plus corrompue du Canada, il retient à l’unanimité (7/7) les griefs pour manque de rigueur journalistique et expression de préjugés contre la direction du magazine Maclean’s pour avoir coiffer la une du magazine et l’article de M. Patriquin d’un titre affirmatif (The most corrupt province) laissant croire à une analyse comparative alors que l’affirmation n’est jamais démontrée et que l’article porte plutôt sur des perceptions.
Grief 2 : atteinte à l’image
Le plaignant, M. Gilles Rhéaume, reproche au magazine Maclean’s d’avoir utilisé et bafoué l’image du Bonhomme Carnaval qu’il considère comme une figure nationale, rassembleuse, un symbole de l’identité québécoise. La revue, sur sa page couverture, a transformé le Bonhomme en bandit de grand chemin.
Le Conseil estime que le magazine Maclean’s a exercé sa liberté rédactionnelle en choisissant le Bonhomme Carnaval en manchette pour représenter les Québécois. Bien qu’on puisse se questionner sur la justesse de ce choix, il s’agissait d’une utilisation caricaturale de ce symbole, servant à illustrer le sujet principal du magazine. Cette pratique ne contrevient pas aux règles déontologiques reconnues. Le Conseil rejette donc le grief pour atteinte à l’image.
Manque de collaboration
Le magazine Maclean’s n’a fourni aucun commentaire à la présente plainte.
Le Conseil de presse tient à insister sur l’importance pour tous les médias, de participer aux mécanismes d’autorégulation qui contribuent à la qualité de l’information et à la protection de la liberté de la presse. Cette collaboration constitue un moyen privilégié de répondre publiquement de leur responsabilité d’informer adéquatement les citoyens.
Le Conseil reproche au Maclean’s, leur manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de M. Gilles Rhéaume.
La majorité des membres (6/7) retient à l’endroit du journaliste, Martin Patriquin, les griefs d’avoir manqué de rigueur journalistique et d’avoir véhiculé des préjugés. Une dissidence est exprimée en faveur du journaliste Martin Patriquin.
Une majorité de quatre membres sur sept retient les mêmes griefs à l’endroit du chroniqueur. Trois membres expriment leur dissidence en faveur de M. Andrew Coyne.
Tous les membres blâment unanimement la direction du Maclean’s pour avoir manqué de rigueur journalistique et avoir véhiculé des préjugés dans le titre du magazine et dans celui de l’article du journaliste. Ils rejettent de plus le grief d’atteinte à l’image d’un symbole représentant le Québec.
Enfin, pour son manque de collaboration, en ne répondant pas à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le magazine Maclean’s.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C17G Atteinte à l’image
- C18C Préjugés/stéréotypes