Plaignant
M. Victor Levant
Mis en cause
M. François Cardinal, journaliste; M. Mario Girard, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Victor Levant porte plainte contre le journaliste, M. François Cardinal, du quotidien La Presse, relativement à un éditorial paru le 12 juin 2010, intitulé : « Une accusation justifiée ». M. Levant met en doute la fiabilité d’une source d’information citée par le journaliste. De plus, il considère les propos de M. Cardinal comme tendancieux et irresponsables.
Analyse
Grief 1 : la non-fiabilité des sources
à l’occasion d’un éditorial portant sur le décès d’un poupon à la suite d’une attaque par un chien Husky, le plaignant reproche au journaliste, François Cardinal, de n’avoir cité qu’une seule source concernant la dangerosité des chiens Husky, l’association amÉricaine des victimes de chiens, DogsBite. M Levant estime que DogsBite est un organisme peu fiable dont le seul but est de promouvoir une loi pour contrôler sinon bannir les races de chiens considérés comme dangereux. M. Levant est outré de ce que le journaliste cite DogsBite qui qualifie les Huskies de « crib snatchers » (croqueurs de berceaux). Il prétend que la directrice de l’association a même retiré de son site toute référence à cette expression. Selon le plaignant, M. Cardinal aurait dû se référer à des organismes beaucoup plus sérieux et dont la réputation n’est plus à faire comme le Center for Disease Control amÉricain, pour ne citer que celui-là.
La direction de La Presse, par la voix de son avocat, Me Patrick Bourbeau, soutient que la référence du journaliste, DogsBite, est une association qui « publie des études du Center for Disease Control ainsi que des statistiques détaillées sur les attaques de chiens aux états-Unis. On estime que M. Cardinal a agi de manière tout à fait responsable en se basant sur les données publiées par cette association pour soutenir son opinion ».
Après une recherche auprès d’organismes tels l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, le Club canin canadien, le Temperament Test Associates canadien et d’autres, le Conseil peut affirmer que l’Association amÉricaine des victimes de chiens, DogsBite n’est pas un organisme très connu ici au Canada. Personne, parmi les gens consultés, a dit connaître l’association non plus que son site Internet. Cela dit, dans un article de la revue Maclean’s sur le même sujet du décès de l’enfant à Saint-Barnabée-Sud, la journaliste Anne Kingston fait elle aussi référence à DogsBite et cite la fondatrice Colleen Lynn. De plus, le site Internet de DogsBite met lui-même en ligne des études que le plaignant, M. Levant, semble trouver crédibles puisqu’il nous les a fait parvenir pour étayer son propos.
Quant à l’expression « crib snatcher », le Conseil a effectivement trouvé, sur le site Internet de DogsBite, une référence à cette expression dans un article du journal Star Tribune de Minneapolis, Minnesota, répertorié par DogsBite. Le site fait d’ailleurs fréquemment référence à des articles et des études publiés un peu partout aux états-Unis. Il est donc faux de dire que l’association DogsBite a fait disparaître toute allusion à cette expression comme le prétend le plaignant. Le chien Husky a la réputation d’être un chien doux et gentil, mais une étude amÉricaine et canadienne démontre que sur une période d’un peu plus de 20 ans, le chien Husky vient au 7e rang des chiens responsables d’attaques sur un enfant, sur un total de 111 races de chiens
Le Conseil considère que M. Cardinal a effectué son travail dans les règles de la pratique journalistique en citant un organisme qui reprend des études statistiques sérieuses et crédibles, pour appuyer son propos. Le grief pour fiabilité des sources est rejeté.
Grief 2 : partialité
Le plaignant, M. Victor Levant, est en désaccord avec l’opinion du journaliste selon laquelle l’accusation d’homicide involontaire portée contre la mère du poupon est justifiée. M. Levant écrit : « Le texte de Cardinal est chargé de teintes d’une vendetta personnelle. Son seul argument a été celui de condamner une jeune mère tel un monstre soumis injustement au regard du monde entier. » L’argument du plaignant est que la mère ne pensait pas qu’il arriverait quoi que ce soit, car les fatalités dues aux Huskies sont extrêmement rares.
Me Patrick Bourbeau, qui représente La Presse et son journaliste, qualifie l’opinion de M. Cardinal de mesurée et d’étoffée. Selon lui, comme nous sommes devant un éditorial, le journaliste a exprimé un point de vue sur le degré de responsabilité de la mère, point de vue avec lequel le plaignant n’est pas d’accord. La Presse rejette les accusations de partialité envers M. Cardinal qui a droit à ses opinions, d’autant plus qu’il est éditorialiste. Il invite d’ailleurs M. Levant à exprimer son point de vue sur la question, dans la rubrique « Forum » du journal.
Dans un premier temps, le Conseil estime que le but de l’éditorial de M. Cardinal n’était pas de partir en guerre contre la race des chiens Husky comme tel, mais plutôt de réfléchir sur la responsabilité de laisser un jeune enfant de 21 jours, seul, en présence de chiens. Et là-dessus, le Conseil a vérifié auprès de nombreuses sources comme le Club canin canadien, le Canadian Husky club, le Center for Disease Control amÉricain, la directrice du Manoir Kanisha qui héberge et fait l’élevage de nombreuses races de chiens depuis plus de 40 ans et tous, sans exception, sont formels : on ne doit jamais, sous aucune condition, laisser un enfant (et ce, jusqu’à 5 ou 6 ans) seul avec un chien, peu importe la race.
Dans cet esprit, le journaliste écrit : « La chose (l’attaque du chien) n’est pas certaine, pas même probable, mais elle est certainement prévisible. » L’opinion de M. Cardinal là-dessus reflète celle de tous les spécialistes à qui le Conseil a parlé. Ainsi, l’auteur, sans condamner la mère, est d’avis que « l’accusation d’homicide involontaire, basée sur l’incapacité de la mère « à fournir les choses nécessaires à l’existence » de son enfant semble donc pleinement justifiée […] ». Le Conseil ne voit pas là de vendetta personnelle, mais une opinion basée sur une recherche adéquate et formulée dans le cadre d’un éditorial. Dans son guide de déontologie, le Conseil rappelle que : « Le journalisme d’opinion est une manifestation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse […] Le journalisme d’opinion accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. » (DERP, p. 17)
Le Conseil reconnaît donc que le journaliste, François Cardinal, en émettant une opinion ne commettait pas de faute professionnelle puisqu’il est un journaliste d’opinion (éditorialiste). Le grief pour partialité est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Victor Levant contre le journaliste François Cardinal et le quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C13A Partialité
Date de l’appel
19 October 2011
Appelant
M. Victor Levant
Décision en appel
Après examen. les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, la commission rejette l’appel et ferme le dossier cité en titre.