Plaignant
Mme Susan Kiepprien
Mis en cause
Mme Marie-Ève Bourgoing-Alarie, journaliste; M. Alain Bernard, éditeur et l’hebdomadaire L’Hebdo journal
Résumé de la plainte
Mme Susan Kiepprien porte plainte contre Mme Marie-Ève Bourgoing-Alarie, journaliste à L’Hebdo journal, relativement à un article intitulé « Deux Trifluviens au cœur de la Palestine » et publié le 5 novembre 2010. L’article rapporte les propos de deux enseignants ayant participé au Forum social mondial sur l’éducation qui se tenait en Cisjordanie. Mme Kiepprien qualifie de mensongères les informations contenues dans l’article de même que le ton partial, de celui-ci, allant jusqu’à des propos discriminatoires et haineux. La plaignante souhaite que la journaliste se rétracte dans un article ultérieur.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
La plaignante se dit choquée par l’article de la journaliste, Mme Marie-Ève Bourgoing- Alarie, qu’elle juge truffé de mensonges. Mme Kiepprien s’en remet à Honest Reporting Canada (qui se définit comme un organisme qui veut « assurer une couverture juste et exacte d’Israël dans les médias canadiens ») pour relever les erreurs mensongères contenues dans l’article de L’Hebdo journal. Le site Honest Reporting Canada dénonce l’article qui donne « l’impression horrifiante que l’État d’Israël est un régime d’apartheid brutal et impitoyable qui attaque sans discernement et qui opprime les Palestiniens, qui prive les Palestiniens d’éducation, qui élève la jeunesse pour la violence physique, qui colonise illégalement et violemment les territoires palestiniens… »
La journaliste considère que Honest Reporting Canada est un organisme partisan et ne croit donc pas « devoir argumenter sur chaque accusation ». Pour elle, les affirmations sont celles des deux enseignants (MM. Dumas et Landry) qu’elle a interviewés et sont bien identifiées entre guillemets pour marquer la citation et les distinguer du reste de l’article.
Le Conseil a étudié les propos rapportés par la journaliste qui font l’objet de la contestation.
– M. Dumas parle du mur érigé en Cisjordanie par Israël comme « d’un régime d’apartheid ». Cette expression pour qualifier ce mur de 700 km de long n’est pas nouvelle et a même été utilisée par des Israéliens de gauche. Honest Reporting Canada rétorque en disant « qu’Israël est un état démocratique qui donne les pleins droits à tous ses citoyens ». Le Conseil y voit là une question d’opinion débattue par deux parties diamétralement opposées et non pas une information inexacte.
– Le professeur M. Dumas est aussi cité disant que les Palestiniens sont attaqués et bombardés par les Israéliens (affirmation vaste et générale qui est exacte). De plus, il souligne qu’un grillage a dû être érigé dans les rues d’Hébron, pour éviter les roches, l’eau bouillante et les détritus jetés par les colons israéliens. Or, ce phénomène est reconnu et d’ailleurs, plusieurs articles et photos y ont été consacrés. Il n’y a donc pas lieu de parler d’inexactitude cette fois non plus.
– L’article fait mention de jeunes Palestiniens privés d’éducation de qualité, affirmation que rejette Honest Reporting Canada disant que c’est le gouvernement palestinien qui est responsable de l’éducation des Palestiniens dans les territoires. Or, il est reconnu que les jeunes Palestiniens sont l’objet de discrimination dans plusieurs écoles, à Jérusalem en particulier. Encore là, pas d’affirmation inexacte.
– Enfin, à la phrase : « l’armée israélienne est très importante là-bas. Les jeunes, une fois sortis de l’école secondaire, doivent faire leur service militaire : trois ans pour les garçons, deux pour les filles », il est facile de vérifier que l’information est exacte. En Israël, le service militaire est obligatoire. Les garçons y passent trois ans et les filles 22 mois. Ici aussi aucune information inexacte.
Sur toutes ces questions, l’organisme Honest Reporting Canada répond par des commentaires tels que : « L’armée israélienne est la plus morale au monde » ou encore, « Israël cherche la paix, mais est obligé de se préparer à la guerre en raison de ses voisins génocidaires ». Jamais il n’est démontré que les informations publiées, dans l’article, sont inexactes et jamais on n’y apporte de correctifs. Le grief pour informations inexactes est rejeté.
Grief 2 : déséquilibre
La plaignante déplore que, dans la version électronique de son article, la journaliste ait incorporé un lien vers le blogue d’un des deux professeurs interviewés, blogue qu’elle juge à saveur très propalestinienne et anti-israélienne. Elle reproche, de plus, à la journaliste d’avoir présenté le seul point de vue propalestinien des deux enseignants. Mme Kieppiern s’offusque de ce que la journaliste n’ait pas pris la peine de mettre en parallèle les agissements du Hamas ni les agressions palestiniennes envers les Israéliens. La plaignante écrit : « Mme Alarie a tout simplement utilisé un journal public pour diffuser les opinions et actions d’un groupe profondément anti-israélien et possiblement antisémite. C’est un reportage à sens unique et totalement biaisé. »
Pour la journaliste, la référence au blogue, d’un des professeurs, propose un complément d’information et ne constitue aucunement un appui aux propos qu’on y retrouve. Le Conseil partage ce point de vue.
Par ailleurs, pour la journaliste, l’article dénoncé est avant tout le récit d’un témoignage : « Ils ont raconté ce qu’ils ont vu et il a été rapporté comme tel », et que son texte « n’avait pas la prétention d’une analyse approfondie. »
Le Conseil observe que L’Hebdo journal a décidé de relater le récit de voyage de deux professeurs en Palestine et d’exposer leurs impressions générales sur les relations entre Israël et la Palestine. Considérant que l’angle choisi était le récit de ces deux professeurs et non un article de fond sur le conflit israélo-palestinien, l’atteinte d’un équilibre systématique ne constituait pas une obligation déontologique. Dans son guide de déontologie, le Conseil stipule que « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que des questions d’intérêt public traités, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. » (DERP, p. 14) Le grief pour déséquilibre est donc rejeté.
Cependant, le Conseil tient à émettre un commentaire éthique, voulant qu’il eût été souhaitable, étant donné la nature délicate du sujet que la journaliste mentionne qu’il existait d’autres points de vue sur la situation commentée par les deux professeurs. Cette précision aurait pu se réaliser par divers moyens : mise en perspective par le média lui-même, entrevue complémentaire avec une personne présentant un autre point de vue, etc. Cet équilibre de traitement ne devait pas nécessairement se réaliser dans le même exemplaire du journal.
Grief 3 : propos haineux et discriminatoires et partialité
Mme Susan Kiepprien soutient que la journaliste encourage l’antisémitisme et la haine des Juifs. Dans l’article, qui se lit comme suit : « La population trifluvienne peut suivre le mouvement (BDS) en s’abstenant notamment d’acheter les produits dont le code-barre débute par « 729 » (Israël), les produits de beauté Ahava et les vins en provenance du plateau du Golan. » Selon la plaignante, la journaliste en appelle au boycottage des produits israéliens, en décrivant la mission du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), un mouvement antigouvernement israélien, tout en indiquant comment la population peut adhérer au mouvement. Selon la plaignante, « il est donc facile de penser que le journal et la journaliste soutiennent le mouvement et que c’est un appel à la mobilisation ».
La journaliste, Marie-Ève Bourgoing-Alarie, se défend d’en appeler au boycottage des produits israéliens puisque le mot « peut », dans la phrase, apporte une nuance importante. Selon la mise en cause, ce n’est pas un appel à la mobilisation puisque sa phrase suit celle-ci : « MM. Dumas et Landry lancent un appel au boycott des produits provenant d’Israël ». De plus, soutient-elle, le mouvement existe déjà.
Il n’appartient pas au Conseil de se prononcer sur l’aspect discriminatoire ou non du boycott des produits israéliens, ni sur le bien-fondé d’un tel mouvement. Le Conseil estime cependant qu’il était d’intérêt public d’informer les lecteurs de l’existence du mouvement BDS et de ses modalités d’action. Le grief pour propos haineux et discriminatoires est donc rejeté.
En regard du grief de partialité, la majorité des membres (4/7) est d’avis que la phrase dénoncée aurait pu être placée entre guillemets, ou autrement exprimée pour ainsi indiquer au lecteur que les propos provenaient des professeurs et non du journal, évitant ainsi l’apparence de partialité et établissant clairement la neutralité du journal par rapport au mouvement de boycott. Le grief pour partialité est retenu.
Trois membres du Conseil (3/7) ont cependant exprimé leur dissidence par rapport au jugement exprimé par la majorité, considérant que la phrase dénoncée ne présentait aucune apparence de partialité.
Grief 4 : refus de rectification
La plaignante demande qu’un autre reportage soit publié, dans le même journal, pour corriger les présumées inexactitudes.
Ni le journal L’Hebdo journal, ni la journaliste Mme Alarie n’ont commenté ce grief.
Étant donné qu’il n’a pas relevé d’information inexacte dans l’article contesté, le Conseil considère que L’Hebdo journal n’avait pas à présenter une rectification. Le grief pour refus de rectification est rejeté.
Décision
En regard de ce qui précède, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de Mme Susan Kiepprien contre la journaliste, Mme Marie-Ève Bourgoing-Alarie et l’hebdomadaire L’Hebdo Journal.
La majorité des membres (4/7) retiennent à l’endroit de la journaliste le grief pour partialité.
Les membres rejettent, à l’unanimité, les griefs d’informations inexactes, de déséquilibre, de propos haineux et discriminatoires et de refus de rectification.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C18D Discrimination
- C19A Absence/refus de rectification