Plaignant
L’École nationale de police du Québec et Mme Marie Gagnon, directrice générale
Mis en cause
M. Sébastien Lacroix, journaliste; M. François Beaudreau, éditeur adjoint et l’hebdomadaire L’annonceur
Résumé de la plainte
Mme Marie Gagnon, directrice générale de l’École nationale de police du Québec (ENPQ), porte plainte contre le journaliste Sébastien Lacroix de l’hebdomadaire L’annonceur, relativement à un article paru dans l’édition du 15 décembre 2010, intitulé : « Nominations partisanes : l’École nationale de police du Québec n’y échappe pas ». La plaignante affirme que des informations sont inexactes et dénonce le manque de rigueur dont le journaliste a fait preuve. Elle considère aussi le titre de l’article comme tendancieux et sensationnaliste. Mme Gagnon estime que sa réputation a souffert de cet article et déplore que l’hebdomadaire ait refusé sa demande de rétractation.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
La plaignante s’offusque de ce que le journaliste, Sébastien Lacroix, ait écrit que la directrice générale de l’École nationale de police du Québec figurait parmi les contributeurs du PLQ : « La contribution la plus généreuse provient d’ailleurs de la nouvelle directrice générale […]. De 2003 à 2009, Marie Gagnon a donné un total de 9 156 $ à la caisse du parti, dont 5 750 $ au cours des deux années précédant sa nomination ». Mme Gagnon nie catégoriquement avoir contribué financièrement à un parti politique tant sur le plan provincial que fédéral. Mme Gagnon précise qu’en aucun temps le journaliste n’a tenté de la rejoindre ou un porte-parole de l’École afin de vérifier l’information. L’ENPQ a d’ailleurs publié un communiqué de presse, diffusé à l’ensemble des médias du Québec, pour démentir le contenu de cet article.
Dans leurs commentaires, M. François Beaudreau, éditeur adjoint et M. Sébastien Lacroix, journaliste, expliquent que cet article a été écrit à la suite de l’enquête du journaliste André Noël, du quotidien La Presse, sur les nominations partisanes dans les sociétés d’État. M. Lacroix a suivi la même méthodologie que M. Noël, c’est-à-dire en faisant un croisement entre les informations du site du Directeur général des élections sur les donateurs des différents partis et les nominations du Conseil des ministres du site du bureau du premier ministre du Québec. M. Beaudreau insiste pour dire que les informations, crédibles et fiables, ont été corroborées. M. Beaudreau ainsi que M. Lacroix ajoutent que, dans l’article, il est bien fait mention du risque de confusion lié à l’homonymie, c’est-à-dire deux personnes pouvant avoir le même nom.
Le journal explique aussi que le journaliste n’a pas contacté l’ENPQ ni Mme Gagnon par crainte que l’École ne prenne des dispositions pour empêcher la parution de l’article.
Enfin l’éditeur du journal L’annonceur et son journaliste considèrent que leurs informations sont exactes puisque d’autres personnes, membre du conseil d’administration de l’ENPQ, ont été citées comme ayant contribué à la caisse du PLQ et elles n’ont pas démenti la chose. Le président du CA, M. Daniel MacMahon a rejoint M. Beaudreau, au lendemain de la parution de l’article, et il aurait dit : « en ce qui me concerne et en ce qui concerne le conseil d’administration, on ne bougera pas dans cette affaire ». L’annonceur en conclut que le conseil d’administration n’avait pas l’intention de démentir l’information.
Enfin, le journaliste Sébastien Lacroix et l’éditeur adjoint de L’annonceur concluent : « Nous croyons avoir fait notre travail de la façon la plus professionnelle, impartiale et rigoureuse qui soit […]. »
Aux commentaires de l’hebdomadaire, à l’effet que le journal craignait des mesures pour empêcher la parution de l’article, la plaignante, Mme Marie Gagnon insiste pour dire que « Jamais l’École n’a tenté d’empêcher la parution d’un article ou d’un reportage la concernant. Cependant, elle s’assure de donner sa version des faits aux journalistes demandeurs de façon à ce qu’ils puissent faire leur travail […]. » Elle ne comprend donc pas pourquoi on n’a pas cherché à la rejoindre avant la publication de l’article. Quant à la réaction du président du conseil d’administration, M. McMahon, aussi cité dans l’article de L’annonceur, Mme Gagnon souligne que ce dernier a confirmé avoir contribué à la caisse du Parti libéral ayant été lui-même candidat libéral en 1998, mais, écrit-elle, « il n’a fait aucune mention que le CA n’interviendrait pas et il a dit (à l’éditeur adjoint de L’annonceur) que la directrice générale de l’École demanderait rétractation puisque les affirmations étaient fausses ».
En ce qui concerne le parallèle entre l’article de M. André Noël de La Presse et celui de M. Sébastien Lacroix de L’annonceur, le Conseil constate qu’effectivement, la méthodologie ayant servi à M. Noël pour écrire son article sur les nominations partisanes (« Une place de choix pour de donateurs du PLQ », La Presse, 20 octobre 2010) est la même utilisée par M. Lacroix. La seule différence, et elle est importante, est que M Noël ne cite qu’un seul nom, celui de Michael Sabia, pour qui les risques d’homonymie sont assez bas. M. Lacroix, lui, cite plusieurs noms, dont celui de Marie Gagnon, nom assez répandu au Québec. Lors d’une discussion avec l’éditeur adjoint de L’annonceur, M. Beaudreau, le Conseil a pu vérifier que le journaliste, Sébastien Lacroix, n’a jamais eu de confirmation formelle de quiconque ni de preuve irréfutable comme quoi Marie Gagnon, donatrice au PLQ était bien Marie Gagnon directrice générale de L’ENPQ. Une petite recherche sur le site du Directeur des élections du Québec a permis de constater qu’entre 2000 et 2008, une (ou plusieurs) Marie Gagnon a donné de l’argent et au PLQ et au PQ (dans deux cas, les dons au PQ étaient faits alors que le PLQ était au pouvoir). Quant au risque d’homonymie, il n’est pas si négligeable, comme le laisse entendre le mis en cause. Un bref coup d’œil sur le site du 411 Canada nous indique qu’au Québec, il existe au moins 25 « Marie Gagnon » dans différentes régions de la province et à Montréal, seulement, on compte 115 « M Gagnon » – comme quoi il aurait pu y avoir erreur sur la personne.
Le Conseil est d’avis que le journaliste aurait dû vérifier les données qu’il s’apprêtait à publier auprès de la personne concernée étant donné les risques d’homonymie tels qu’énoncés ci-haut. La discussion avec l’éditeur adjoint, M. Beaudreau, ne nous a pas convaincus que tous les efforts ont été déployés pour faire corroborer les informations ou par l’École ou par des personnes indépendantes et qualifiées pour le faire. Le Conseil retient donc le grief pour information inexacte.
Grief 2 : titre tendancieux
La plaignante déplore le titre tendancieux et sensationnaliste de l’article de M. Lacroix : « Nominations partisanes : l’École nationale de police du Québec n’y échappe pas ».
L’éditeur adjoint, M. François Beaudreau, ainsi que le journaliste, M. Sébastien Lacroix, rétorquent que le titre choisi « devait retenir l’attention du public; il était aussi dûment étayé par le contenu de l’article. Ni le titre, ni le sous-titre ne mentionnaient un seul des noms dont il était question dans le texte. Aussi, faut-il le rappeler que le titre et le sous-titre sont représentatifs du contenu de l’article qui n’a pas été démenti pour la majeure partie, notamment pour les quatre autres personnes nommées ».
Le Conseil constate que le titre ne mentionne pas le nom de Mme Gagnon, la seule des 5 personnes citées dans l’article qui a démenti les informations à son sujet. Le titre respecte donc l’esprit du texte qui suit. Ainsi, le grief pour titre tendancieux n’est pas retenu.
Grief 3 : refus de rétractation
La plaignante, considérant que les informations au sujet de ses contributions au Parti libéral du Québec étaient fausses, a demandé que le journal se rétracte, demande qui lui a été refusée. C’est à la suite de ce refus que l’ENPQ a publié un communiqué de presse niant ces affirmations.
L’éditeur adjoint, M. Beaudreau, rétorque que le journal a accepté de publier intégralement le communiqué de presse de l’ENPQ niant les affirmations de l’article de M. Lacroix au sujet de Mme Gagnon.
Le Conseil considère que le fait de publier le communiqué de presse de l’ENPQ, sans autre commentaire, ne constitue pas une rétractation. Or, ayant retenu le grief pour information inexacte, le Conseil est d’avis que le journal manque à son devoir déontologique en n’apportant pas les correctifs nécessaires. Le guide des Droits et responsabilités du Conseil est précis : « […] les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs […] et ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses ». (DERP, p. 46) Le grief pour refus de rétractation est retenu.
Grief 4 : atteinte à la réputation
La plaignante estime que l’article a causé des dommages importants à sa réputation laissant planer des doutes sur sa compétence.
En ce qui concerne le reproche pour atteinte à la réputation, le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Après analyse de la plainte de Mme Marie Gagnon, le Conseil de presse blâme le journaliste Sébastien Lacroix et l’hebdomadaire L’annonceur, pour information inexacte et refus de rétractation. Cependant, il rejette le grief pour titre tendancieux.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
19 October 2011
Appelant
M. Sébastien Lacroix, journaliste; M. François Beaudreau, éditeur adjoint et l’hebdomadaire L’annonceur
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission en sont venus unanimement à la conclusion qu’il convenait de modifier un élément de la décision rendue en première instance par le comité des plaintes.
La décision de la commission d’appel repose sur la base suivante :
Les membres considèrent que la gravité de la faute commise sur le refus de rétractation mérite un blâme sévère. Le paragraphe 18 de la décision du comité des plaintes devrait se lire comme suit :
« Après analyse de la plainte de Mme Marie Gagnon, le Conseil de presse blâme le journaliste Sébastien Lacroix et l’hebdomadaire L’annonceur, pour information inexacte et les blâment sévèrement pour refus de rétractation. Cependant, il rejette le grief pour titre tendancieux. »
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.