Plaignant
Kahnawàke Economic Development Commission et M. John Bud Morris, directeur général
Mis en cause
M. Sébastien Ménard, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction et le quotidien Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. John Morris porte plainte contre le journaliste, Sébastien Ménard, du Journal de Montréal, relativement à trois articles publiés entre le 31 août et le 1er septembre 2010, intitulés : « Les éoliennes du gambling à Kahnawake », « C’est une énergie verte – John Bud Morris » et « Citoyens divisés ». M. Morris accuse le journaliste et le quotidien d’avoir publié des informations inexactes, d’entretenir des préjugés et d’avoir manifesté une démarche journalistique partiale.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Selon M. John Morris les inexactitudes publiées dans les articles de M. Sébastien Ménard concerneraient les quatre sujets suivants : (1) la participation des casinos virtuels au financement du projet des éoliennes (2) le statut de l’Île de Man (3) la connaissance du projet par le maire de Saint-Cyprien et (4) la position des citoyens face au projet.
Selon le plaignant, il est faux de dire que le projet d’éoliennes soumis par la communauté autochtone de Kahnawà:ke sera financé en partie « par des millions provenant de casinos virtuels » jugés illégaux par Loto-Québec. Selon M. Morris, le financement auquel fait référence M. Ménard provient de la compagnie Continent 8 qui fournit des technologies Internet, des produits et services pour l’industrie mondiale de jeu en ligne et qui n’exploite aucun casino virtuel. Cette firme offre des technologies avant-gardistes et assure aux entreprises des installations sécuritaires et fiables à partir desquelles elles peuvent accueillir leurs opérations en ligne.
Le Conseil considère qu’il aurait été préférable que le journaliste spécifie, dès le début de son reportage, que les millions provenant de casinos virtuels desservis par l’entreprise Continent 8 finançaient indirectement le projet des éoliennes. Cependant, le Conseil constate que le journaliste explique avec suffisamment de détails les liens financiers entre la communauté et l’entreprise dans la suite de l’article. Ces précisions viennent dissiper toute possibilité de confusion. Cette partie du grief est donc rejetée.
Par ailleurs, M. Morris critique le journaliste pour avoir écrit que Continent 8 opérait des casinos. À la lecture des articles contestés, le Conseil observe que jamais le journaliste n’a écrit une telle affirmation. Cette partie du grief est rejetée.
Deuxièmement, le plaignant déplore que le journaliste qualifie de paradis fiscal, l’Île de Man, île sur laquelle la compagnie Continent 8 est basée. M. Morris considère que l’Île de Man a maintenant conclu des ententes pour échanges d’informations avec les États-Unis, le Canada et plusieurs pays européens qui n’en font plus un paradis fiscal.
Le Conseil a pu constater que depuis 2005, l’Île de Man a signé des accords d’échanges de renseignements à des fins fiscales avec plus d’une vingtaine de pays, dont le Canada. L’Île de Man n’est certainement plus le paradis fiscal qu’elle a déjà été. Cependant, les commentateurs économiques sont partagés sur l’efficacité de ces mesures et le respect des pays signataires du code de l’OCDE. La situation étant floue, la décision du journaliste de parler de l’Île de Man comme d’un paradis fiscal, comme l’estiment plusieurs commentateurs, est défendable. Par ailleurs, il est tout à fait véridique de dire que la fameuse île est le paradis du jeu en ligne; une grosse partie de l’économie de l’île repose sur le jeu en ligne. Le Conseil considère donc que M. Ménard n’est pas fautif quand il écrit : « Ce paradis fiscal situé entre l’Irlande et la Grande-Bretagne est une des juridictions les plus « attrayantes » de la planète pour les sites de jeu en ligne ». Cet élément du grief est rejeté.
M. Morris conteste également l’affirmation du journaliste selon laquelle le maire de Saint-Cyprien-de-Napierville n’était pas au courant du projet d’éoliennes soumis à Hydro-Québec consistant à construire des éoliennes sur le territoire de sa municipalité. Le projet piloté par une firme britannique a d’abord été présenté à la municipalité de Saint-Cyprien-de-Napierville, mais les parties ne se sont pas entendues. Le promoteur s’est alors tourné vers les Mohawks qui se sont dits intéressés. La « soumission a été présentée à Hydro-Québec avec l’étiquette autochtone sans même que le maire de Saint-Cyprien n’en soit informé » écrit le mis en cause. M. Morris dit qu’au contraire, la compagnie avait avisé le maire de ses discussions avec les Mohawks.
Le Conseil s’est entretenu avec la directrice générale du conseil municipal de Saint-Cyprien-de-Napierville, Mme Nancy Trottier et le maire de la ville, M. André Tremblay. Les deux nous ont confirmé ne pas avoir été mis au courant du projet d’éoliennes des Mohawks sur leur territoire avant son dépôt à Hydro-Québec. Le maire a précisé que le promoteur lui avait mentionné qu’il contacterait les autochtones, mais il ignorait qu’il y avait eu entente. Il est donc vrai de dire que : « La soumission a été présentée à Hydro-Québec avec l’étiquette autochtone sans même que le maire de Saint-Cyprien n’en soit informé ». Cet élément du grief est rejeté.
Enfin, le plaignant insiste pour dire que contrairement à ce que M. Ménard aurait écrit, ce ne sont pas tous les citoyens qui s’opposent au projet d’éoliennes et que plusieurs des opposants ne sont pas motivés par des raisons environnementales, mais manifestent une opposition par manque d’information.
Le Conseil constate que dans son article intitulé : « Les citoyens sont divisés », le journaliste Sébastien Ménard n’écrit pas que tous les citoyens s’opposent au projet des autochtones. Il n’écrit pas non plus que les opposants ne sont animés que par des motifs environnementaux puisqu’il rapporte également des motifs économiques. Le Conseil observe également que l’article interroge aussi des fermiers satisfaits du projet qui pensent en tirer des profits. Le Conseil considère que le journaliste a respecté les normes journalistiques en exposant correctement les motivations des citoyens. Il n’y a donc pas d’erreur sur cet aspect du grief.
Le grief pour informations inexactes est donc rejeté.
Grief 2 : sensationnalisme et préjugés
Le plaignant dénonce l’utilisation du drapeau des Warriors (Mohawk Warrior Society) en première page du journal pour illustrer l’article de M. Ménard. Le drapeau n’aurait aucun lien avec la Commission de développement économique qui pilote ce projet. Selon M. Morris, cette utilisation du drapeau des Warriors, qui rappelle plutôt les confrontations armées de la crise d’Oka, est totalement inappropriée, empreinte de sensationnalisme et entretient des préjugés chez de nombreux Québécois concernant la nation mohawk.
Le Conseil est d’avis que le choix du drapeau de la Mohawk Warrior Society pour illustrer l’article de M. Ménard n’est pas justifié. Cette image, qui couvre une bonne partie de la première page du quotidien, sème la confusion chez le lecteur et encourage les préjugés à l’endroit de la nation iroquoise. Le guide de déontologie du Conseil est très précis à cet égard : « Les médias et les journalistes doivent respecter l’intégrité et l’authenticité de l’information dans la présentation et l’illustration qu’ils en font sur supports visuels et sonores. Ils doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et évènements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. » (DERP, p. 30) Le Conseil considère que le quotidien a opté pour le sensationnalisme et n’a pas respecté les normes journalistiques de déontologie dans ce cas. Les griefs pour sensationnalisme et pour avoir véhiculé des préjugés sont retenus.
Grief 3 : partialité
Le plaignant déplore le fait que le journaliste M. Sébastien Ménard ait tenté par tous les moyens de le piéger. Il estime que « ses questions étaient orientées de manière à me faire dire ce qu’il voulait entendre ».
Le Conseil considère que le plaignant n’a pas présenté de démonstration de son grief et constate, au contraire, que dans son article, le journaliste a cité et expliqué, à deux reprises, le point de vue de M. Morris quant au financement de son projet d’éoliennes et au statut de la compagnie Continent 8. Le Conseil ne voit pas en quoi le journaliste aurait piégé le plaignant. Le grief pour partialité est rejeté.
Refus de collaborer
Le Journal de Montréal n’a pas souhaité répondre à la plainte de M. John Bud Morris en raison de leur retrait du Conseil de presse depuis juin 2010.
Le Conseil reproche au Journal de Montréal son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Après analyse de la plainte de M. John Bud Morris, le Conseil de presse retient contre le journaliste Sébastien Ménard et Le Journal de Montréal les griefs pour sensationnalisme et pour avoir véhiculé des préjugés. Cependant, les griefs pour informations inexactes et pour partialité sont rejetés.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le Journal de Montréal.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C18C Préjugés/stéréotypes