Plaignant
M. Sébastien Goulet
Mis en cause
M. Mario Dumont, animateur; M. Éric Duhaime, journaliste et le réseau VTélé
Résumé de la plainte
M. Sébastien Goulet dépose une plainte contre le journaliste Éric Duhaime et l’animateur Mario Dumont, du réseau V Télé, relativement à une émission diffusée le 16 décembre 2010. Le plaignant déplore que l’on ait déformé les propos du député de Mercier, Amir Khadir, propos rapportés par la journaliste de La Presse, Mme Katia Gagnon, le 7 juin 2006 dans un article intitulé : « Amir Khadir n’écarte pas la théorie du complot ». M. Goulet dénonce, chez les mis en cause, l’inexactitude et le ton partial visant à discréditer M. Khadir.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Dans sa plainte, M. Sébastien Goulet soutient que le journaliste Éric Duhaime et M. Mario Dumont, animateur, ont tous deux affirmé que M. Khadir était partisan de la thèse du complot en ce qui concerne les attentats du 11 septembre 2001. M. Dumont affirme : « Pour lui (Amir Khadir) le 11 septembre, c’est un complot » et Éric Duhaime de répondre : « C’est un complot de la CIA ».
Or, en se référant à l’article de Mme Katia Gagnon où les propos de M. Khadir sont rapportés, le plaignant indique que ce que M. Khadir a dit est plutôt : « […] la version officielle quant aux attentats du 11 septembre (acte terroriste d’Oussama ben Laden) tient la route, mais que vu les antécédents du gouvernement américain en matière de manipulation, le doute s’impose et une enquête indépendante est nécessaire. » M. Goulet conclut que l’on a déformé de façon grossière les propos du chef de Québec Solidaire.
Le directeur des affaires juridiques du réseau V, Me Mark Sorella, affirme qu’il n’y a eu aucune déformation des propos de M. Khadir. Quand ce dernier déclare : « Il est à tout le moins raisonnable de penser qu’il peut y avoir eu conspiration », ça signifie, selon lui, que M. Khadir n’écarte pas la possibilité d’un complot relativement aux attentats du 11 septembre. Me Sorella ajoute qu’un journaliste de Radio-Canada, Florent Daudens a rapporté les mêmes propos dans un article publié sur le site Internet de la SRC, le 15 décembre 2008. Enfin, il affirme que le principal intéressé, M. Khadir, n’a jamais nié ces paroles.
À la lecture de l’article de Mme Katia Gagnon de La Presse, qui rapporte les propos de M. Amir Khadir, le Conseil constate que jamais on n’y affirme de façon catégorique que M. Khadir est d’accord avec la théorie du complot. Au contraire, l’auteur y apporte beaucoup de nuances, par exemple :
— « Moi je pense qu’il faut être extrêmement prudent (sur l’idée que les Américains pourraient être impliqués dans les attentats). Et je pense que la prudence primordiale c’est de ne pas rejeter du revers de la main ces théories-là, de demander une enquête sérieuse […]. »
— « Amir Khadir, lui, n’accorde pas nécessairement foi à ces théories du complot. D’ailleurs, si une grande enquête internationale était instituée, elle conclurait probablement que le 11 septembre est bel et bien un acte de terrorisme organisé par Oussama ben Laden croit-il. »
— « Il est à tout le moins raisonnable de penser qu’il peut y avoir eu conspiration […] Sachant ce qui s’est produit dans le passé, on a le devoir d’aller fouiller, dit le Dr Khadir. »
On est donc loin d’une affirmation catégorique voulant que les attentats du 11 septembre soient une conspiration américaine. Le journaliste de Radio-Canada, cité par Me Sorella, rapporte les propos suivants de M. Khadir : « Il est à tout le moins raisonnable de penser qu’il peut y avoir eu conspiration », et ajoute : « Il notait toutefois que les résultats d’une telle enquête concluraient sûrement qu’Oussama ben Laden était l’instigateur des attentats, à son avis ». Il s’agit là d’une nuance importante.
Le Conseil considère que dans l’émission de Mario Dumont on a dénaturé les paroles de M. Khadir. Le Conseil s’est aussi entretenu avec le député de Mercier qui confirme qu’il n’a jamais affirmé qu’il croyait à la théorie du complot. Il ajoute que, pour lui, il est « excessivement improbable qu’un pays s’inflige une telle punition ». Mais, se basant sur les demandes légitimes des familles des victimes des attentats de faire la lumière sur les événements, M. Khadir se dit d’accord avec une telle démarche. Il ajoute qu’il n’a jamais réagi aux propos de MM. Dumont et Duhaime, car il avait d’autres dossiers plus urgents qui le retenaient.
Le Conseil estime que les journalistes ont manqué de rigueur en déformant le contenu de l’article de Mme Katia Gagnon et en faisant dire à M. Khadir qu’il croit au complot américain. Cette inexactitude porte une atteinte sérieuse au droit du public à l’information en introduisant cette erreur dans la sphère médiatique, considérant de plus, que cette erreur a été reproduite et multipliée. Ainsi, le grief pour information inexacte est retenu.
Grief 2 : partialité
M. Sébastien Goulet déplore le fait que les journalistes font de la « surenchère de ton » manifestement pour discréditer M. Khadir. À son émission, M. Dumont et le journaliste Éric Duhaime tentent de démontrer à l’aide d’exemples que M. Khadir a un passé trouble et qu’il « n’est populaire que parce que les Québécois ignorent ce passé ». Le plaignant juge que le ton des journalistes est partial.
Me Mark Sorella, directeur des affaires juridiques du réseau V répond que M. Dumont est journaliste et éditorialiste et que son émission a justement pour mandat de soulever la discussion et la réflexion chez les téléspectateurs. Me Sorella rappelle aussi que M. Khadir a été l’invité de M. Dumont le lendemain de l’émission contestée par le plaignant. Il considère donc qu’il n’a pas lieu de parler de manque d’impartialité. Ajoutons cependant qu’il n’a pas été question de la théorie du complot dans cette dernière entrevue.
Le Conseil est d’avis que les journalistes font effectivement du journalisme d’opinion : M. Dumont à titre de journaliste/éditorialiste et son collègue M. Duhaime qui participe à une émission d’opinions. Ainsi, il est normal que leurs propos soient teintés de leurs opinions qu’ils peuvent exprimer avec une grande liberté. Le guide de déontologie du Conseil de presse précise que : « Le journalisme d’opinion accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. » (DERP, p. 17) Ainsi, le grief pour partialité est rejeté.
Décision
Après analyse de la plainte de M. Sébastien Goulet, le Conseil de presse blâme MM. Mario Dumont et Éric Duhaime du réseau V, pour inexactitude. Cependant, il rejette le grief pour partialité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
Date de l’appel
19 October 2011
Appelant
M. Éric Duhaime, journaliste
Décision en appel
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent et conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier est fermé.