Plaignant
Mme Marie-Claude Malette
Mis en cause
M. René Vézina, journaliste; M. Stéphane Paquet, éditeur adjoint et rédacteur en chef et Le journal Les Affaires
Résumé de la plainte
La plaignante, Mme Marie-Claude Malette, reproche au mis en cause, M. René Vézina, chroniqueur rattaché au groupe Transcontinental, et au journal Les Affaires, d’avoir participé à une campagne publicitaire de la Régie des rentes du Québec. Elle y voit un conflit d’intérêts qui, selon elle, entache la crédibilité du journaliste, puisqu’il y aurait incompatibilité entre le fait de représenter la Régie des rentes du Québec et celui d’être journaliste économique. La campagne publicitaire, dont la diffusion s’est étendue du 17 janvier au 25 février, se déclinait sous plusieurs formes : capsules vidéos sur le site web de la Régie des rentes du Québec (de même que sur le site web youtube.com), publicité télévisée, imprimée et radiophonique.
Analyse
Grief 1 : conflit d’intérêts
Mme Malette reproche à M. Vézina de s’être placé dans une situation où, en raison de sa participation à une campagne publicitaire de la Régie des rentes du Québec, il perdait l’indépendance requise pour exercer son métier de journaliste sans conflit d’intérêts, ou à tout le moins, sans apparence de conflit d’intérêts.
Le rédacteur en chef du journal Les Affaires, qui répond en lieu et place de M. Vézina, rejette, quant à lui, ces accusations, arguant que le « chroniqueur n’a pas écrit sur la Régie des rentes depuis la diffusion des messages d’intérêt public diffusés à la télévision ». Il fait également valoir que les « capsules » en question ne peuvent être assimilées à de la publicité ou à de la promotion, puisqu’elles « traitent de l’importance de bien planifier sa retraite » et qu’à ce titre, ce « sont des messages d’intérêt public ». Il ajoute que la Régie des rentes « ne vend rien », et remet donc en question la pertinence « [d’] assimiler cette campagne sociétale à une campagne purement publicitaire vantant un produit commercial ».
Le guide des Droits et responsabilités de la presse stipule que les médias et les journalistes doivent « éviter toute situation qui risque de les faire paraître en situation de conflits d’intérêts, ou donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers ou quelque pouvoir politique, financier ou autre. […] Tout laxisme à cet égard met en péril la crédibilité des organes de presse et des journalistes, tout autant que l’information qu’ils transmettent au public. […] Même si l’information transmise respecte les critères d’intégrité et d’impartialité, il importe de souligner que l’apparence de conflit d’intérêts s’avère aussi préjudiciable que les conflits d’intérêts réels. » (DERP, pp. 24-25)
De l’avis du Conseil, les journalistes doivent conserver leur totale indépendance devant tout organisme public même si ce dernier défend l’intérêt public. Les lecteurs sont en droit de s’attendre à ce que les médias et les journalistes présentent une information critique, et qu’ils maintiennent à l’égard de tous pouvoirs la distance nécessaire à cette fin. Dans le présent cas, M. René Vézina est un chroniqueur économique qui s’intéresse particulièrement aux questions touchant la planification financière, et donc, comme le souligne lui-même le rédacteur en chef des Affaires, « le contenu des capsules aurait très bien pu faire l’objet de chroniques de René Vézina dans Les Affaires ». Le public du journal Les Affaires pourrait souhaiter la publication d’analyses indépendantes et critiques sur les cotisations et les primes de la Régie des rentes du Québec. Dans les circonstances, M. Vézina peut-il garantir qu’il serait en mesure de produire des analyses indépendantes et critiques sur les cotisations et les primes de la Régie des rentes du Québec, par exemple, après avoir participé à cette campagne publicitaire et en avoir reçu une rémunération? Le Conseil ne le croit pas.
Il importe ici de répondre précisément à l’argument, invoqué par le mis en cause dans sa réplique, selon lequel le fait que la Régie des rentes du Québec soit un organisme au service de l’intérêt public rendrait cette association plus acceptable, puisqu’il n’y aurait pas d’incompatibilité entre sa mission sociale et celle du journaliste. Or, cette adéquation laisse supposer que la notion d’intérêt public est objective et universelle, ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette distinction importante était d’ailleurs au cœur d’une décision récente du Conseil dans le dossier D2010-11-046 (Ordre des denturologistes c. Éditions Protégez-Vous), où le mis en cause avait fait valoir que l’Ordre des dentistes défendait l’intérêt public, au même titre que Protégez-Vous, et donc que le magazine pouvait légitimement confié la rédaction d’un de ses Guides pratiques à ces derniers.
Or, la notion d’intérêt public, par essence, est extrêmement subjective et dépend de toute une série de jugements de valeur. C’est ainsi que différents groupes peuvent défendre des idées, adopter des positions ou proposer des politiques très différentes, voire contradictoires, tout en se réclamant de l’intérêt public, et que les gouvernements prétendent tous gouverner en fonction de l’intérêt public, malgré les différences importantes entre leurs politiques. Sans compter qu’il peut bien sûr exister un écart significatif entre la mission et les actions d’une même organisation. Voilà pourquoi il est absolument primordial que les médias et les journalistes s’assurent de garder une saine distance à l’égard de tout organisme, groupe, parti politique ou gouvernement, qui, certes, peuvent légitimement prétendre se faire les défenseurs de l’intérêt du public, mais doivent néanmoins faire l’objet d’un regard critique de la part des journalistes. Cette étanchéité absolue est l’une des conditions essentielles pour assurer la confiance du public envers la qualité de l’information qui lui est transmise.
Ainsi, le Conseil estime qu’une telle association, entre un journaliste et un organisme gouvernemental, est effectivement de nature à entacher la crédibilité d’un journaliste dans sa capacité à exercer un jugement libre et un sens critique. Il ne suffit évidemment pas qu’un journaliste se sente lui-même à l’abri d’une telle influence pour effacer les risques de dérive : d’abord parce que l’apparence de conflit d’intérêts, aux yeux du public, est en elle-même extrêmement dommageable, mais aussi parce qu’il existe une possibilité bien réelle que les journalistes n’aient pas eux-mêmes conscience de l’emprise qu’une telle situation peut avoir sur leur indépendance.
Il importe également de préciser ici qu’un conflit d’intérêts n’est pas moins condamnable parce qu’il ne se serait encore jamais concrétisé : que M. Vézina n’ait jamais, depuis la diffusion des publicités, écrit sur la Régie des rentes ne fait pas en sorte que la faute serait « en suspens », jusqu’à preuve du contraire. Car un conflit d’intérêts peut très bien se manifester par une forme d’autocensure, laquelle est évidemment indétectable, sans pour autant que ses effets soient moins préjudiciables pour le droit du public à l’information.
Par ailleurs, on doit également prendre en considération que le fait que M. Vézina ait été rémunéré pour participer à la campagne publicitaire en question, une information que la Régie des rentes a confirmée, vient renforcer l’intensité du conflit d’intérêts, et par extension, la gravité de la faute.
Le grief pour conflit d’intérêts est donc retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de Mme Marie-Claude Mallette et blâme le journaliste René Vézina, ainsi que le journal Les Affaires, pour conflit d’intérêts.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C07B Devoir de réserve
- C22C Intérêts financiers