Plaignant
Mmes Caroline Jean et Éloïse Gaudreau et MM. Jérôme Boudreault, Simon Tremblay et Samuel Lamarre
Mis en cause
M. Carl Monette, animateur et l’émission « Le Show du matin »; M. Gary Daigneault, animateur et l’émission « Daigneault le midi »; M. Simon Tremblay, journaliste; M. Patrick Demer, directeur général et la station KYK Radio-X Saguenay 95,7 FM
Résumé de la plainte
Mmes Caroline Jean et Éloïse Gaudreau, MM. Jérôme Boudreault, Simon Tremblay et Samuel Lamarre portent plainte contre le journaliste Simon Tremblay (homonyme), Carl Monette, animateur de l’émission « Le Show du matin », Gary Daigneault animateur de l’émission « Daigneault le midi » ainsi que la station radiophonique KYK Radio-X Saguenay 95,7 FM relativement à une série d’émissions diffusées entre le 4 et le 30 mars 2011. Les plaignants dénoncent des informations inexactes et l’utilisation de sources anonymes non vérifiées. Ils accusent aussi les mis en cause d’avoir tenu des propos méprisants et d’avoir entretenu des préjugés. Enfin, ils estiment avoir été victimes d’acharnement et d’intimidation.
Commentaires du mis en cause
MM. Monette, Daigneault, Tremblay et la station KYK Radio-X Saguenay 95,7 FM ont refusé de répondre à cette plainte.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Les plaignants dénoncent le fait que plusieurs propos inexacts portant sur des affiliations, événements, noms, actions et implications d’individus ou de groupes aient été entendus sur les ondes de KYK Radio X-Saguenay. À la suite de la mise en ligne d’une vidéo sur YouTube, intitulée « Pas en mon nom », par le collectif Citoyens pour la démocratie au Saguenay (CDS), présentant des citoyens du Saguenay exprimant leur désaccord avec le maire Jean Tremblay, entre autres, dans le dossier de la prière à l’assemblée municipale, les animateurs Carl Monette, Gary Daigneault et le journaliste Simon Tremblay ont largement commenté à l’antenne un document anonyme intitulé : « Qui est le Collectif pour la démocratie au Saguenay? Pas en notre nom! » Ce document tente d’identifier les individus de la vidéo et de les lier, à l’aide de liens Facebook, à des groupes que le document qualifie « d’extrême gauche ».
Les plaignants relèvent les inexactitudes suivantes. Par exemple, il est faux selon eux de dire que les individus qui figurent dans la vidéo sont membres du collectif Citoyens pour la démocratie au Saguenay (CDS), comme l’ont affirmé les animateurs. De la même manière, il est faux de dire que « plusieurs membres du collectif Citoyens pour la démocratie au Saguenay font parti du collectif Emma Goldman (groupe communiste libertaire) et des Rebelles du Saguenay (organisation féministe) » (Émission « Daigneault le midi »). Autre inexactitude, le CDS ne participe pas à toutes les manifestations dans la région, comme l’ont souvent rappelé les animateurs. M. Éric Dubois, un des porte-parole du CDS, ne serait pas membre du collectif Emma Goldman, contrairement à ce qu’ont affirmé MM. Gary Daigneault et Simon Tremblay lors de l’émission « Daigneault le midi », le 4 mars 2010.
Selon Mme Caroline Jean, une des plaignantes que le Conseil a contactée, les gens qui témoignent dans la vidéo ne sont pas membres du CDS. Ils ont été invités par le CDS à venir donner leur opinion sur les politiques du maire Tremblay, mais leur association s’arrête là. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux travaillent pour des organismes communautaires. Les organismes maintes fois cités en ondes, à savoir le CDS, le Collectif Emma Goldman et le collectif Rebelles du Saguenay, communiquent occasionnellement entre eux, mais n’ont aucun autre lien. Toujours selon Mme Jean, il serait également faux de prétendre que le CDS soit une façade pour un groupe nébuleux d’extrême gauche qui participe à toutes les manifestations dans la région. Quant à Éric Dubois, il est indiqué, dans le document anonyme sur lequel se basent les gens de KYK Radio X, qu’il est « sympathisant » du collectif Emma Goldman, affirmation basée sur le simple fait que M. Dubois est « ami Facebook » avec le collectif. À son émission, l’animateur M. Daigneault ainsi que le journaliste Simon Tremblay vont plus loin et affirment que M. Dubois est membre du collectif Emma Goldman. Mme Jean affirme que cette information est fausse.
Devant les affirmations catégoriques des plaignants et l’absence de réfutation de la part des mis en cause, le Conseil estime que les animateurs MM. Monette et Daigneault et le journaliste M. Tremblay ont véhiculé de fausses informations. Ce faisant, ils ont contrevenu au code de déontologie du Conseil qui stipule que « Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. […] Elle est […] synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, de respect des personnes et des groupes, des faits et des événements. » (DERP, p. 21) Le grief pour informations inexactes est retenu.
Grief 2 : non-vérification de source anonyme
Le document anonyme, « Qui est le Collectif pour la démocratie au Saguenay? Pas en notre nom! », obtenu par courriel, est signé du pseudonyme « Pierre-Jean-Jacques », une personne non identifiée à laquelle les animateurs et le journaliste ont donné beaucoup de crédibilité. Ce document tente d’identifier les individus de la vidéo et de les lier, à l’aide de liens Facebook, à des groupes que le document qualifie « d’extrême gauche ». Les plaignants croient qu’il est grave de porter des jugements aussi sévères sur des personnes à partir d’un document anonyme. Ils y voient là un manque de rigueur et une tentative de manipulation de l’opinion publique.
Après l’audition des extraits des émissions concernées, le Conseil constate que les animateurs MM. Monette et Daigneault et le journaliste M. Tremblay ne questionnent jamais le sérieux de ce document. Ils ne s’interrogent jamais sur l’auteur « Pierre-Jean-Jacques » pas plus qu’on ne tente de trouver le ou les véritables auteurs du document qui portent des jugements sévères et parfois erronés sur des individus. Ils n’ont, de toute évidence, fait aucune recherche sur l’auteur du document ni sur la véracité des affirmations qui y sont faites. Au contraire, les mis en cause louangent le document et son présumé auteur Pierre-Jean-Jacques et traite le tout comme s’il s’agissait d’une source d’information fiable :
– « Un bon dossier détaillant toutes les implications des membres ».
– « Un dossier d’enquête incroyable ». « On va engager Pierre-Jean-Jacques ».
– « Pour avoir vu le document, c’est très étoffé et très élaboré ». (propos entendus à l’émission « Le Show du matin », le 4 mars 2011)
Le Conseil considère que les mis en cause ont contrevenu à l’article 2.1.7 du code de déontologie qui se lit comme suit : « Il est par ailleurs important qu’ils [les journalistes et les médias] fassent preuve d’esprit critique, tant à l’égard de leurs sources que des informations qu’ils en obtiennent […]. Les professionnels de l’information doivent identifier leurs sources d’information afin de permettre au public d’évaluer la crédibilité et l’importance des informations que celles-ci transmettent. Ils doivent également prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de leurs sources et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent […]. L’utilisation de sources anonymes doit être justifiée et demeurer exceptionnelle. Quelle que soit la provenance des informations – autorités, spécialistes ou témoins de situations ou d’événements –, les médias et les journalistes doivent s’assurer que l’anonymat requis par des sources ne constitue pas un subterfuge pour manipuler l’opinion publique […]. Les médias et les journalistes doivent éviter d’invoquer des sources fictives ou de se retrancher derrière des sources anonymes. » (DERP, p. 32) Le grief pour non-vérification de source anonyme est retenu.
Grief 3 : propos méprisants et préjugés
Les plaignants dénoncent l’attitude des animateurs MM. Monette et Daigneault et du journaliste Simon Tremblay qui tentent de discréditer le mouvement de citoyens de Saguenay. « KYK Radio emploie de manière péjorative et erronée les termes d’anarchisme et de féminisme […] contribuant ainsi à stigmatiser les collectifs. KYK tente d’associer, dans un but de discrédit public, les gens du CDS à l’extrême gauche […]. Ils créent un climat de peur autour des collectifs Emma Goldman et Rebelles du Saguenay qu’ils qualifient d’obscur et de mystérieux. Le ton, l’emphase et la répétition mis sur certains mots contribuent à propager du mépris » envers les différents groupes.
Le Conseil a procédé à l’écoute de plusieurs extraits des différentes émissions et a constaté que malgré le fait qu’il s’agit d’émissions de variétés à contenu informatif, rien ne leur permet de tenir des propos méprisants, d’entretenir des préjugés ou de ridiculiser tous ces mouvements de citoyens. Voici des exemples de propos entendus :
a) « C’est un collectif poubelle. Vous ne valez rien. Tout ce que vous voulez, c’est faire jaser de vous autres, point. Et qu’on vous donne de l’attention point. C’est tout. (Émission « Le Show du matin », le 7 mars 2011)
b) « Moi à votre place, je déménagerais tellement en Russie, à Cuba, vous seriez mauditement mieux là-bas […]. Déménagez ailleurs […]. Vous ne vous sentirez pas bizarre quand vous aurez du poil partout et vous allez sentir le tabac chiqué et vos rastas […]. » (Émission « Le Show du matin », le 22 mars 2011)
En ce qui concerne le journalisme d’opinion, le code précise que « La liberté d’opinion de l’éditorialiste et du commentateur n’est pas absolue; la latitude dont ceux-ci jouissent doit s’exercer dans le respect des valeurs démocratiques et de la dignité humaine. Les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelle dans l’évaluation des évènements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leur jugement et leurs critiques. » (DERP, p. 28) De plus, le guide du Conseil est formel : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Ils doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » (DERP, p. 41)
Dans notre société, rien n’interdit à des citoyens d’être membres ou de militer pour tel ou tel groupe, qu’il soit de gauche ou de droite, et chacun a le droit d’être traité dignement. Selon le Conseil, déclarer sur les ondes « Vous ne valez rien » démontre un mépris évident. Les propos tenus à l’antenne de KYK Radio par les animateurs Monette, Daigneault et le journaliste Tremblay stigmatisent les gens de gauche, sont gratuits et ne font qu’entretenir des préjugés à l’endroit de citoyens militants. Le grief pour propos méprisants et préjugés est retenu.
Grief 4 : acharnement
Les plaignants dénoncent l’acharnement systématique des animateurs Carl Monette, Gary Daigneault et du journaliste Simon Tremblay envers la campagne du Collectif pour la démocratie au Saguenay et aussi contre les Collectifs Emma Goldman et Rebelles Saguenay. Pendant un mois, la radio KYK Radio X a entretenu une campagne haineuse que les plaignants considèrent comme de l’intimidation. Par exemple, toutes les apparitions publiques des personnes impliquées dans ce dossier ont donné lieu à des attaques répétées de la part des animateurs de la station. À un point tel que les membres du CDS ont décidé de se taire et de refuser toute entrevue de peur d’être discrédités à l’antenne.
Selon Mme Caroline Jean à qui le Conseil a parlé, KYK Radio X est revenu sur le sujet du CDS, des groupes de gauche et du document anonyme, au moins à une dizaine de reprises. Dans les extraits d’émissions analysées par le Conseil, pas moins de vingt minutes étaient consacrées à chaque fois à ce sujet. Le sujet de la prière à l’Hôtel de Ville de Saguenay est un dossier chaud qui a fait la manchette à plusieurs reprises dans la région. KYK Radio X était tout à fait justifiée d’aborder le sujet à plusieurs reprises. La question suivante mérite cependant d’être posée : a-t-elle abusé de son pouvoir de radiodiffuseur en exprimant des jugements accusateurs sur les mêmes groupes et les mêmes individus à une fréquence aussi élevée et d’une manière aussi systématique? Le média mis en cause a-t-il dépassé les limites de sa liberté d’expression et porté injustement atteinte aux droits des individus ainsi attaqués? Le Conseil répond oui à ces deux questions et considère que KYK Radio X a fait preuve d’acharnement puisque l’intérêt public ne justifiait pas de revenir aussi souvent et d’une telle manière sur le sujet. De plus, le Conseil y voit là une forme d’abus de pouvoir que le guide Droits et responsabilité de la presse condamne : « Le public est en droit de s’attendre à ce qu’ils (les animateurs) n’abusent pas de leur fonction ni de leur latitude pour imposer leurs points de vue personnels et écarter ceux qui n’y correspondent pas. Sans recourir à l’autocensure, les animateurs doivent éviter de se laisser guider par leurs préjugés, leurs intérêts personnels ou leurs inimitiés. » (DERP, p. 29) Le grief pour acharnement est donc retenu.
Refus de collaborer
La station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM n’a fait parvenir aucune réplique à la plainte.
Le Conseil reproche à la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient la plainte de Mmes Caroline Jean et Éloïse Gaudreau et MM. Jérôme Gaudreau, Simon Tremblay et Samuel Lamarre et blâme MM. Carl Monette, Gary Daigneault, Simon Tremblay et la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM, pour information inexacte, non-vérification de source anonyme, propos méprisants et préjugés ainsi que pour acharnement.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C17C Injure
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24A Manque de collaboration