Plaignant
Mme Marie-Michelle Poisson et M. Mohamed Lotfi Laraki
Mis en cause
M. Carl Monette, animateur; l’émission « Le Show du matin »; M. Patrice Demers, directeur général et la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM
Résumé de la plainte
Mme Marie-Michelle Poisson et M. Mohamed Lotfi portent plainte contre M. Carl Monette, animateur de l’émission « Le Show du matin » ainsi que la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM relativement à une émission diffusée le 11 mars 2011. Les plaignants accusent la station et son animateur de non-respect de la vie privée et dénoncent des propos à caractères racistes.
Commentaires du mis en cause
Le mis en cause et la station KYK Radio X-Saguenay ont refusé de répondre à cette plainte.
Analyse
Grief 1 : non-respect de la vie privée et manque de mise en contexte
Mme Poisson et M. Lotfi estiment que M. Monette n’a pas respecté les obligations déontologiques qui lui incombent en matière de respect de la vie privée en diffusant sur les ondes le message de la boîte vocale personnelle de leur résidence.
Le Conseil souhaite, dans un premier temps, replacer le débat dans son contexte. La plaignante, Mme Marie-Michèle Poisson est présidente du Mouvement laïque québécois qui s’oppose au maire de la ville de Saguenay, M. Jean Tremblay. Ce dernier milite activement pour le maintien de la prière et des symboles religieux au conseil municipal. Il poursuit sa lutte malgré un jugement du Tribunal des droits de la personne qui donnait raison au Mouvement laïque québécois. Par ailleurs, la station de radio KYK-FM appuie publiquement et participe à la campagne de financement du maire Tremblay pour contester ce jugement.
Le Conseil estime que la voix d’une personne enregistrée dans un message d’accueil d’un système téléphonique personnel constitue une composante de sa vie privée. Les auteurs de ces types de messages ne s’attendent pas à ce qu’ils soient diffusés publiquement dans les médias. La diffusion publique de cette voix, sans autorisation de la personne concernée, ne peut être justifiée que si l’intérêt public l’exige.
Le Conseil rappelle que : « Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de la réputation […] Lorsque des faits, des évènements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne […] La règle qui doit guider les médias et les professionnels de l’information dans leur traitement de ces affaires consiste à ne révéler que ce qui est d’intérêt public. » (DERP, p. 42). En regard de l’intérêt public à diffuser de l’information, le guide de déontologie du Conseil stipule que « La nouvelle a pour but d’informer le public des faits et des événements nouveaux, significatifs et intéressants qui relèvent de l’intérêt public, c’est-à-dire qui sont porteurs de conséquences pour la population et la société, en situant ceux-ci dans leur contexte de signification. »
Dans le présent cas, le Conseil constate qu’en ne faisant aucune mise en contexte à la diffusion en ondes du message d’accueil du système téléphonique personnel de Mme Poisson, l’animateur n’a pu démontrer l’intérêt public à cette diffusion. Que l’animateur et son invité s’interrogent sur les personnes qui défendent la position de la laïcité est légitime. Il aurait été d’intérêt public de se demander également si ces opposants défendaient la même position envers toutes les religions, s’ils étaient cohérents dans leurs pratiques, etc. Or, le Conseil constate que l’animateur et son invité ont effleuré des aspects de la vie privée de Mme Poisson et M. Lotfi (leur relation, leur origine ethnique et leur religion), sans présenter une mise en contexte minimale qui aurait démontré l’intérêt public à diffuser le message du répondeur et à aborder ces questions délicates. À cet égard, le grief pour non-respect de la vie privée est rejeté, mais le grief pour manque de mise en contexte est retenu.
Grief 2 : attitude raciste
Les plaignants, Mme Poisson et M. Lotfi dénoncent l’insistance de l’animateur M. Carl Monette et son invité, le maire Jean Tremblay, à souligner « à grands traits » l’identité arabo-musulmane de M. Lotfi. Les plaignants ajoutent : « tous deux s’adonnent à une série de spéculations, de suppositions et d’insinuations qui induisent au racisme ».
Le Conseil a relevé quelques extraits de l’émission ayant trait à l’origine de M. Lotfi :
– Maire : « … je ne sais pas si c’est le mari de Mme Poisson, un monsieur Mohamed…
– C. Monette : On a le message du répondeur de Mme Poisson.
– Maire : Lui il a signé le manifeste (contre la prière à l’hôtel de ville) avec M. Dufour, mais je ne peux pas vous dire c’est qui ce monsieur-là. Je sais qu’il s’appelle Mohamed.
– C. Monette : Je peux vous faire entendre l’extrait du répondeur quand on a voulu communiquer avec Mme Poisson. Encore là, on veut le préciser, c’est pas question d’être raciste, car là, on dirait qu’on peut pu rien dire…
– Maire : Non, on dit qu’il s’appelle Mohamed et il a signé le document et on a le droit de poser des questions… »
Le Conseil estime que les commentaires diffusés étaient à la limite de l’acceptable. À cet égard, le Conseil rappelle : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés […] Il n’est pas interdit aux médias de faire état des caractéristiques qui différencient les personnes ou les groupes. Cependant, cette mention doit être pertinente et d’intérêt public, ou être une condition essentielle à la compréhension et à la cohérence de l’information. En tout temps, et en toute situation, les reporters, commentateurs et éditorialistes doivent s’obliger aux plus hauts standards professionnels en cette matière. » (DERP, p. 41)
Le Conseil estime que d’avoir insisté sur le prénom de M. Lotfi, plaçait l’animateur et son invité dans une position délicate qui pouvait amener, chez l’auditeur, une perception de racisme. Dans le présent cas, le Conseil considère que les propos de l’animateur et de son invité n’ont pas dépassé la limite permise par la déontologie journalistique et que de retenir ce grief équivaudrait à faire à l’animateur et à son invité un procès d’intention, ce que le Conseil s’est toujours refusé à faire. Le Conseil rejette le grief pour attitude raciste est rejeté.
Refus de collaborer
La station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM n’a fait parvenir aucune réplique à la plainte.
Le Conseil reproche à la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse retient partiellement la plainte de Mme Marie-Michèle Poisson et M. Mohamed Lotfi contre M. Carl Monette, animateur et la station KYK Radio X- Saguenay 95,7 FM pour manque de mise en contexte.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme la station KYK Radio X-Saguenay 95,7 FM.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C16D Publication d’informations privées
- C18D Discrimination
- C24A Manque de collaboration