Plaignant
M. Bernard Desgagné
Représentant du plaignant
Mme Jennifer Ditchburn, journaliste; Mme Isabelle Rodrigue, vice-présidente adjointe aux services de langue française et La Presse canadienne
M. Mario Girard, directeur de l’information et le portail Cyberpresse
Résumé de la plainte
M. Bernard Desgagné porte plainte, le 28 septembre 2011, contre Mme Jennifer Ditchburn, journaliste à La Presse canadienne, relativement à un article publié par Cyberpresse, le 27 septembre 2011 et intitulé : « Les conservateurs font témoigner d’ardents détracteurs de la SRC ». M. Desgagné dénonce une information inexacte, un conflit d’intérêts et le refus de la journaliste et du média de se rétracter.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Le plaignant conteste une phrase de l’article de Mme Dichtburn qui écrit : « La société d’État (SRC) se bat pour que ses documents concernant ses activités de création, journalistiques et de programmation demeurent exemptés de la Loi sur l’accès à l’information. » M. Desgagné prétend que le litige en question ne concerne pas l’exemption des documents en vertu de la Loi sur l’accès l’information, mais plutôt le pouvoir de la Commissaire à l’information de déterminer si le refus de la SRC de donner accès à certains documents est bien fondé en vertu des exemptions prévues dans la Loi. En fait, selon le plaignant, Radio-Canada conteste les pouvoirs de la Commissaire dans certains dossiers. M. Desgagné qualifie donc ce passage de l’article de mensonger et croit que Mme Ditchburn veut cacher au public le fait que « Radio-Canada utilise l’argent des contribuables pour contester la validité d’une loi et non pour que ses documents demeurent exemptés de la Loi sur l’accès à l’information ».
La mise en cause, Jennifer Ditchburn, répond qu’elle est tout à fait au courant de la controverse entre Radio-Canada et la Commissaire à l’information. Elle dit avoir suivi ce dossier depuis ses débuts. Mme Ditchburn croit que, même si sa phrase peut être une simplification au profit de la concision, Radio-Canada, elle-même, soutient devant les tribunaux que l’information touchant ses activités en matière de création, journalisme et programmation est complètement exclue de la portée de la Loi et qu’en conséquence la Commissaire n’a pas le pouvoir de l’examiner. La mise en cause cite le président de Radio-Canada, M. Hubert Lacroix qui s’exprimait sur la raison pour laquelle Radio-Canada s’était adressée aux tribunaux : « It is a very important issue for us […]. It’s about interpreting 68.1 which says, Madame, in very clear language that programming, creative and journalistic activities are completely excluded from the Act […] this is the conversation we’ve asked the court of appeal to decide upon, and that is why we went to court […]. » Ainsi, pour elle, le but ultime de la poursuite est clair. La journaliste ajoute qu’elle a écrit sur le même sujet à de nombreuses occasions pour La Presse canadienne et qu’elle expliquait en détail la raison du litige entre la SRC et la Commissaire à l’information, comme le souhaite le plaignant.
Me Patrick Bourbeau, représentant de Cyberpresse, explique que : « Bien qu’au sens strict, le litige concerne effectivement les pouvoirs de la Commissaire en vertu de la Loi, il tire bel et bien son origine du refus de la SRC de divulguer certains documents en invoquant les exemptions énoncées à l’article 68.1 de la Loi […] ». Me Bourbeau estime « qu’il était essentiel à la compréhension du lecteur de lui indiquer que le véritable enjeu du litige n’était pas la compétence de la Commissaire, mais plutôt la portée des exemptions prévues à l’article 68.1 de la Loi ». Il ajoute que la question a été résumée de la même manière dans d’autres médias.
Le Conseil estime que la phrase contestée ne contient pas d’information inexacte. Pour le Conseil, l’article de Mme Ditchburn se veut d’abord un reportage sur l’invitation des conservateurs faite à des détracteurs de la SRC/CBC à venir témoigner devant un comité parlementaire. Le comité étudie entre autres choses la bataille judiciaire menée par la SRC pour garder confidentiels certains documents. Cependant, il aurait été plus précis d’écrire « exemptés par la Loi » au lieu de « exemptés de la Loi ». Le lecteur comprend néanmoins que le litige porte sur l’interprétation donnée aux exemptions prévues à l’article 68.1 de la Loi. D’ailleurs Mme Ditchburn a précisé la teneur du litige dans un article publié sur Cybepresse, la veille, soit le 26 septembre 2011. Elle écrit : « Radio-Canada/CBC doit plaider, devant la Cour d’appel fédérale le 18 octobre prochain pourquoi le Commissaire à l’information du Canada ne devrait pas avoir accès à certains documents. Le litige prend sa source dans l’interprétation d’une section de la Loi sur l’accès à l’information qui exempte Radio-Canada/CBC de l’obligation de divulguer du matériel relatif à ses activités journalistiques, à la création artistique et à la programmation. »
Le Conseil rejette le grief pour information inexacte.
Grief 2 : conflit d’intérêts
M. Desgagné accuse la journaliste Mme Ditchburn, La Presse canadienne et Cyberpresse d’être en conflit d’intérêts dans la façon d’expliquer le litige qui oppose Radio-Canada et la Commissaire à l’information du Canada. M. Desgagné laisse entendre que Radio-Canada « refuse depuis longtemps de fournir à des demandeurs d’information certains documents qui ne sont manifestement pas couverts par l’exemption prévue dans la Loi, en particulier l’entente secrète qui lie Radio-Canada à la société Gesca, propriété de l’influente famille Desmarais ». Le plaignant pense que la Commissaire obligerait Radio-Canada à la divulguer et c’est donc là la raison pour laquelle Radio-Canada s’acharne à contester la Loi. En ne mentionnant pas que Radio-Canada conteste la Loi, le plaignant croit que Mme Ditchburn et La Presse canadienne font le jeu de La Presse et de Radio-Canada et tentent de dissimuler cette « entente secrète » entre Radio-Canada et Gesca propriétaire de La Presse et Cyberpresse. M. Desgagné voit, dans le monde de l’information, « une collusion où les gens savent très bien se protéger entre eux plutôt que de protéger le droit du public à l’information ».
Mme Ditchburn réplique que ses articles de La Presse Canadienne sont publiés dans plusieurs journaux autres que ceux de Gesca, par exemple Le Devoir, Yahoo, le Winnipeg Free Press, CTV et ces médias n’ont rien à voir avec la fameuse « entente secrète ». La mise en cause est formelle : la direction de l’information de La Presse Canadienne est complètement indépendante de ses clients ou propriétaires. La journaliste estime que le plaignant n’apporte aucune preuve de collusion entre les reporters ou les entreprises de presse.
Par ailleurs, M. Marc Pichette, directeur des relations publiques de Radio-Canada, que le Conseil a rejoint, affirme que cette fameuse entente est en fait un contrat d’échange de visibilité ou de collaboration entre Radio-Canada et le magazine Voilà, dans les premières années du magazine. Toujours selon M. Pichette, l’entente en question n’a jamais été secrète et a même fait l’objet de communiqués de presse au moment où elle a été conclue. De plus, le document aurait déjà été libéré à la suite d’une demande d’accès à l’information il y a quelque temps. Il ajoute que cette entente n’existe plus depuis plusieurs années.
Le Conseil considère beaucoup plus probante la version des mis en cause selon laquelle ni La Presse Canadienne, ni Cyberpresse ne se sont placées dans une situation de conflit d’intérêts en publiant l’article contesté. Le plaignant n’apporte aucun fait concret à l’appui de sa thèse ni ne démontre l’existence d’une entente ou d’une collusion entre la SRC et Gesca.
Le grief pour conflit d’intérêts est rejeté.
Grief 3 : refus de rétractation
Le plaignant a demandé à La Presse Canadienne et à Cyberpresse de se rétracter et de rectifier les faits en ce qui concerne le litige impliquant Radio-Canada et la Commissaire à l’information du Canada. M. Desgagné s’offusque du refus de M. Mario Girard, directeur de l’information de Cyberpresse de donner suite à sa demande. Il écrit : « Je suis étonné de voir que Mme Ditchburn et La Presse canadienne ont décidé premièrement de ne pas publier de correctifs concernant l’article dont je me suis plaint. Je croyais […] leur offrir ainsi une porte de sortie devant une faute qui m’apparaissait évidente. Mais elles ont plutôt décidé de persister dans l’erreur. »
Comme le grief pour information inexacte a été rejeté, le Conseil estime qu’il n’y a pas lieu, pour La Presse Canadienne et Cyberpresse, de se rétracter.
Le grief pour refus de rétractation est par conséquent rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse rejette du Québec la plainte de M. Bernard Desgagné contre la journaliste Jennifer Ditchburn, La Presse canadienne et le portail Cyberpresse, pour les griefs d’information inexacte, conflit d’intérêts et refus de rétractation.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C19A Absence/refus de rectification
- C22G Appartenance du journaliste
Date de l’appel
20 December 2012
Appelant
M. Bernard Desgagné
Décision en appel
Les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent et conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier est fermé.