Plaignant
Locations Michel Trudel Inc. et M. Michel Trudel, président
Mis en cause
Mme Julie Vaillancourt, journaliste; M. Alain Kémeid, rédacteur en chef; l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. Michel Trudel, par la voie de son avocat, Me Luc Mannella, dépose une plainte, le 2 décembre 2011, contre la journaliste, Julie Vaillancourt, de l’émission « Enquête », de Radio-Canada, relativement à un reportage intitulé : « À l’ombre des projecteurs » et diffusé le 13 octobre 2011. Le plaignant dénonce des informations inexactes, incomplètes et partiales, des sources non crédibles et anonymes et accuse le reportage d’avoir porté atteinte à sa réputation.
Précisons que le reportage porte sur la difficulté des techniciens/machinistes pigistes qui désirent travailler, à l’extérieur des Studios Mel’s, avec leur équipement, pour des producteurs qui ont signé un contrat d’exclusivité avec les Locations Michel Trudel, le plus gros locateur d’équipement cinématographique et locateur des Studios Mel’s, les plus importants du genre au Québec.
Le plaignant a soumis sa plainte en 75 points précis touchants différents aspects du reportage de Mme Vaillancourt. Le Conseil a choisi de regrouper plusieurs de ces points, s’inspirant des thèmes établis par le plaignant, par souci de simplification.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes et incomplètes
Tournage en studio versus à l’extérieur – Le plaignant dénonce le fait que les techniciens interviewés, qui sont machinistes et locateurs d’équipement se plaignent de ne pouvoir travailler dans les Studios Mel’s. Me Mannella soutient qu’il est normal et légal pour son client qui doit payer des frais de location et d’entretien des lieux de ne pas laisser travailler des techniciens « extérieurs » avec leur propre équipement dans les studios. Ils entrent ainsi en compétition avec lui.
Dans sa réponse, M. Alain Kémeid, rédacteur en chef de « Enquête », rappelle que le reportage ne porte pas sur la critique des techniciens de ne pouvoir entrer dans les Studios Mel’s avec leur propre équipement, mais plutôt sur le comportement de Michel Trudel à l’extérieur de ses studios où il semble, là aussi, vouloir étendre son contrôle, selon le reportage.
Selon le Conseil, il semble évident, à l’écoute des intervenants et de la narration de la journaliste, que la problématique se pose lors de tournages à l’extérieur des studios. Mme Vaillancourt l’exprime très clairement : « Au fil des ans, il a étendu ses tentacules à l’extérieur des studios de cinéma et contrôle aussi ce qui se passe en publicité. Il a l’exclusivité de la location d’équipement avec les principales compagnies. En retour, ces compagnies bénéficient de rabais. »
Ainsi, le Conseil considère qu’il n’y a pas d’erreur dans cette partie du grief.
Le mot « labeur » – Me Mannella est choqué par l’utilisation du mot « labeur » quand la journaliste dit : « En cinéma comme en publicité, certains petits joueurs doivent donner une partie de leur labeur pour avoir le droit de travailler ». Il dit qu’il est faux de prétendre que M. Trudel veuille prendre une cote sur leur revenu de travail alors qu’il n’est question ici que de la location d’équipement.
Le Conseil estime que les techniciens dont il est question dans le reportage travaillent avec leur équipement, le tout, tournage et entretien de l’équipement, formant un ensemble. Le mot « labeur » s’applique autant au travail exécuté en tant que machiniste qu’à celui d’entretien, transport, etc. de l’équipement. Il n’est donc pas faux d’utiliser le mot « labeur » dans ce contexte. Le Conseil rejette donc cette partie du grief.
Taxes et cotes sur le travail – Le plaignant dénonce le fait que Mme Vaillancourt ainsi que plusieurs de ses invités affirment que Michel Trudel exige une cote ou impose une taxe allant de 35 à 50 % sur le revenu de la location des équipements des techniciens pigistes travaillant pour des producteurs liés par des contrats d’exclusivité à M. Trudel. Un des exemples cités est le film « Route 132 ». (Le technicien Yanka Pelletier affirme que M. Trudel lui a demandé 35 % de ses revenus de location d’équipement pour pouvoir travailler sur la production.) Michel Trudel nie qu’il exige une cote ou une taxe sur le revenu des techniciens. Il explique qu’il ne fait affaire qu’avec les producteurs à qui il offre un escompte s’ils louent studio et équipement chez lui. Sinon, il revoit l’entente, mais à la hausse. Me Mannella en a particulièrement contre la phrase de la journaliste, Mme Vaillancourt : « Il (M. Trudel) prétend qu’il a touché une cote une seule fois et encore. » Me Mannella dit que cette information est fausse puisque M. Trudel ne fait affaire qu’avec les producteurs et jamais avec les techniciens. Il écrit : « Nous ne voyons donc pas en quoi la pratique de notre cliente d’octroyer au producteur un escompte de volume sur la location d’équipement dont le montant variera justement en fonction du volume d’équipements loués permet de reprocher à notre cliente de taxer les techniciens, alors qu’elle est libre de négocier les conditions de ses contrats. Il déplore aussi que des extraits significatifs de l’entrevue n’aient pas été retenus, ce qui ne rend pas justice à ses explications.
De son côté, Alain Kémeid de l’émission « Enquête », rétorque qu’une entente d’exclusivité entre M. Trudel et le producteur ne devrait pas lier un pigiste technicien puisqu’il n’est pas signataire de ladite entente. De plus, précise M. Kémeid, plusieurs techniciens nous disent que M. Trudel négocie directement avec les techniciens en exigeant 50 %.
Le Conseil constate que dans un des extraits diffusés dans le reportage, parlant de la cote de 50 % exigée par M. Trudel auprès de M. Yanka Pelletier, technicien, M. Trudel dit lui-même : « J’ai rien demandé, M. Pelletier me l’a remis lui-même. » On comprend donc que M. Trudel a quand même fait affaire directement avec M. Pelletier, d’une manière ou d’une autre. De plus, au paragraphe 19 de la plainte soumise par Me Mannella, on peut lire : « […] en raison des ententes d’exclusivité intervenues entre notre cliente et certaines compagnies publicitaires, ces dernières ne peuvent faire affaire avec des techniciens qui leur louent leurs propres équipements. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ces compagnies qui veulent respecter leur entente avec notre cliente demandent aux techniciens qui désirent louer leurs équipements, de conclure d’abord une entente préalable avec notre cliente. » Encore là, on en déduit que les techniciens, soit à la demande du producteur soit à la demande de M. Trudel, lui-même, doivent s’entendre, c’est-à-dire négocier un montant à remettre à M. Trudel pour travailler avec leur équipement.
Quant aux extraits d’entrevue qui n’ont pas été retenus, le Conseil constate, à l’écoute du reportage, que l’explication du fonctionnement de l’entente entre les producteurs et M. Trudel est claire et bien résumée. De plus, après lecture de l’intégralité de l’entrevue de M. Trudel, le Conseil estime que ces extraits n’ajoutent rien de plus à la compréhension du sujet ni n’apportent d’éléments nouveaux. Au contraire, M. Trudel y affirme lui-même faire affaire avec les techniciens. Voici ces extraits :
– Julie Vaillancourt : […] le technicien indépendant doit vous verser cinquante pour cent (50 %) du montant de la location de son propre équipement. Comment ça peut… Comment on explique ça?
– Michel Trudel : Bien, premièrement, je négocie pas avec le directeur de production, l’entente est déjà faite préalablement avec le producteur, avec le propriétaire de la boîte de production. Alors, je vois pas pourquoi je parlerais avec le directeur de production. L’entente est faite, est écrite, est signée. Alors, il y a une entente entre la maison de production et moi à l’effet que j’ai l’exclusivité de fournir tous les équipements. Alors, je vois pas où c’est qu’on pourrait parler d’un cinquante (50 %) à quelque part, j’ai déjà une entente écrit […].
– Et dans un autre extrait non diffusé, M. Trudel ajoute : « Ben, le technicien vient me voir puis on fait des affaires. Puis, si le technicien c’est lui qui m’offre quoi que ce soit, je suis en affaires. »
Ajoutons à cela que Mme Vaillancourt a obtenu de nombreux témoignages de la part de techniciens/machinistes, directeur de photographie, directeur de production qui dénoncent cette pratique d’exiger un montant aux techniciens qui travaillent avec leur équipement. Le Conseil estime que Mme Vaillancourt et l’équipe d’« Enquête » ont fait une recherche approfondie sur le sujet tout en respectant les normes journalistiques et que leurs sources sont crédibles. Ainsi le Conseil croit qu’il n’y a pas d’information inexacte et incomplète dans cette partie du grief.
Clause de confidentialité dans les conventions – Me Mannella nie que la clause de confidentialité, dans la convention d’achat de la Société Bertrand Dupuis (technicien et locateur d’équipements) par M. Trudel, soit un moyen pour créer l’impression qu’il existe de la concurrence et plusieurs indépendants. Me Mannella n’apprécie pas que Mme Vaillancourt qualifie d’« étrange » cette clause puisqu’il est fréquent que des parties à une convention désirent conserver la confidentialité. Il ajoute : « on (la SRC) leur annonce via un professeur de l’Université McGill que les clauses de confidentialité seraient fort probablement illégales ».
Ici, le Conseil se réfère à l’opinion de spécialistes rencontrés par l’ombudsman de Radio-Canada, M. Pierre Tourangeau, qui affirment que bien que des clauses de confidentialité soient courantes dans des transactions commerciales, elles s’appliquent généralement à des détails et non à l’ensemble de la transaction. Ainsi les expressions « étrange » de la part de la journaliste ou « étonnante » de la part de M. Janda sont justifiées. Le Conseil note aussi que jamais on ne dit que cette clause est illégale contrairement à ce que prétend Me Mannella. Dans ces conditions, le Conseil ne retient pas cet aspect du grief.
Ristournes aux producteurs – Me Mannella conteste l’affirmation comme quoi M. Trudel donnerait des ristournes en argent aux producteurs. M. Trudel nie catégoriquement la chose en entrevue. Me Mannella ajoute que l’on a omis des extraits de l’entrevue de son client qui auraient expliqué le fonctionnement des ristournes qui sont légales selon la façon qu’on les utilise. De plus, le plaignant soutient que les propos de M. Jacques Blain, producteur, qui affirme avoir reçu des ristournes en argent de la part de M. Trudel, on été déformés par la journaliste. Précisons que M. Blain a envoyé un courriel à M. Trudel au lendemain de la diffusion du reportage, niant ses propos rapportés par la journaliste et tentant de se justifier.
M. Kémeid, rédacteur en chef de « Enquête », explique que la mise en cause a parlé à M. Blain à quatre reprises et n’a jamais vu le courriel envoyé à M. Trudel. M. Kémeid confirme que M. Blain ne voulait pas donner d’entrevue, mais qu’il avait accepté de parler à Mme Vaillancourt au téléphone et que « c’était aussi notre devoir de relater dans l’intérêt du public, les conversations qu’il a tenues. La démarche est conforme à nos normes et pratiques journalistiques. »
Le Conseil constate que, dans son reportage, Mme Vaillancourt rapporte que trois autres producteurs, qui préféraient garder l’anonymat, ont confirmé ce que disait M. Blain. L’ombudsman de Radio-Canada dit avoir entendu les échanges entre la journaliste Mme Vaillancourt et M. Jacques Blain et que celle-ci a rapporté fidèlement ses propos. Le Conseil rappelle que le journalisme d’enquête : « vise à mettre en lumière ce qui sous-tend certaines activités, affaires, problématiques ou certains événements et phénomènes sociaux laissés dans l’ombre, soit en raison de leur complexité, soit par leur caractère obscur, voire secret. Pour se faire, le journaliste se consacre à la recherche et à la collecte d’éléments de preuves, de témoignages et d’informations qui permettront de donner au grand public un éclairage supérieur sur des enjeux politiques, économiques et sociaux majeurs et sur des questions d’intérêt public, ce que la couverture événementielle ou les reportages et les analyses conventionnelles n’abordent pas. » (DERP, pp. 15-16)
Le Conseil note aussi une certaine confusion dans l’argumentaire de Me Mannella. Dans l’entrevue de M. Trudel, celui-ci nie avoir donné des ristournes aux producteurs; mais Me Mannella, dans sa plainte, au paragraphe 49, vient confirmer que la pratique des ristournes existe bel et bien : « Il va s’en dire que les propos de Mme Vaillancourt portent à croire que le versement des ristournes permettrait à notre cliente d’influencer l’industrie alors qu’elle fait état que, dans les années 1990, cette pratique était généralisée chez tous les locateurs d’équipement ». Ainsi, si la pratique est généralisée, il n’est peut-être pas faux d’affirmer que M. Trudel s’y adonne.
Quant aux extraits d’entrevue non diffusés dans le reportage, le Conseil est d’avis qu’ils reprennent une idée déjà expliquée c’est-à-dire l’offre d’un escompte que fait M. Trudel aux producteurs qui louent studio et équipement chez lui. De plus, le temps alloué à chaque reportage exige des choix dans les extraits d’entrevue, choix éditorial qui revient au journaliste et au réalisateur. Le Conseil considère donc qu’il n’y a pas d’information inexacte ou incomplète dans cette portion du grief.
Peur des représailles – Me Mannella dénonce le fait que l’on accuse son client de faire de l’intimidation auprès de ceux qui le critiquent, ce que nie catégoriquement Michel Trudel. Me Mannella déclare que « la peur des représailles » qui est dénoncée par plusieurs sources anonymes n’est pas étayée dans le reportage.
M. Alain Kémeid répond qu’au contraire, le reportage rapporte les propos d’une personne qui a non seulement demandé l’anonymat, mais s’est désistée d’une entrevue qu’elle avait accordée, en ces mots : « J’avoue ne pas avoir pesé suffisamment les tenants et aboutissants qu’un tel enregistrement pourrait avoir sur moi, ma famille, ma société et ma carrière […]. J’ai dû me rétracter par peur de représailles sérieuses. »
Le Conseil considère que le témoignage écrit par la personne interviewée démontre bien la crainte qu’ont plusieurs intervenants du milieu à dénoncer les pratiques de M. Trudel. De plus, l’ombudsman de Radio-Canada, Pierre Tourangeau, a vérifié, dans la recherche de la journaliste, que plus d’une vingtaine de personnes « lui ont confié craindre ou avoir subi de l’intimidation ». Par ailleurs, quand Me Mannella dit que la peur des représailles n’est pas étayée, le Conseil se réfère à la déclaration de M. Yanka Pelletier qui dit être désormais « barré » à la suite de son expérience sur le tournage du film « Route 132 » et considère que c’est un exemple très concret du genre d’intimidation ou de représailles dont il est question. Le Conseil estime que la recherche de Mme Vaillancourt est exhaustive, dans la mesure du possible, et qu’il n’y a donc pas lieu de retenir cette partie du grief pour information inexacte.
Productions américaines – Me Mannella reproche à la journaliste d’avoir cité un producteur américain insatisfait (qui préférait garder l’anonymat) qui dit que : « entre toutes les villes de cinéma en Amérique du Nord, Montréal est son dernier choix, bien après Toronto ou Vancouver ». Me Mannella ajoute que ce producteur ne fait aucun reproche à son client. M. Trudel, quant à lui, insiste pour dire qu’au contraire, ces producteurs sont heureux de faire affaire avec lui.
M. Kémeid rétorque que le témoignage cité en onde va dans le même sens qu’un deuxième rapporté qui se dit agacé par le manque de concurrence dans le domaine de location d’équipement à Montréal.
Selon le Conseil, il est possible que les producteurs américains insatisfaits ne se soient pas plaints directement à M. Trudel et qu’ils se soient plutôt adressés à Mme Vaillancourt. Le Conseil est d’avis que le plaignant n’a pas prouvé l’inexactitude qu’il impute à la journaliste. Le Conseil rejette donc également cette partie du grief pour information inexacte.
Les Studios de Saint-Hubert – Dans un dernier point sur ce grief, Me Mannella revient sur une entente notariée dans le cas d’anciens studios de cinéma à Saint-Hubert, appartenant à M. Trudel et mis en vente par ce dernier, entente qui prévoit que les acheteurs éventuels ne pourront jamais exploiter l’édifice à des fins de cinéma ou de télévision. Le plaignant dénonce le fait qu’on se serve de cet exemple pour démontrer le désir de son client d’empêcher toute compétition. D’autant plus, dit-il, que, encore une fois, dans un extrait d’entrevue non diffusé, M. Trudel explique que sa décision n’est pas finale et que pour l’instant, il n’a pas d’acheteur. « Quand j’aurai un acheteur, on verra les négociations ».
Le Conseil constate, dans un premier temps, que cette clause de non-concurrence existe bel et bien dans l’acte notarié, tel que montré à l’écran dans le reportage. De plus, dans le texte de l’entrevue intégrale de M. Trudel, la journaliste fait remarquer à M. Trudel que l’agent d’immeuble qui s’occupe du dossier « prend bien soin de préciser à n’importe qui, qui l’approche, que ça ne pourra jamais être des studios de télé (ou de cinéma) ». Dans un extrait non diffusé de l’entrevue, Mme Vaillancourt demande à M. Trudel :
– Julie Vaillancourt : […] Donc, quelqu’un qui voudrait faire du cinéma ne pourra jamais vous approcher et vous faire une offre, c’est dit d’emblée par votre vendeur?
– Michel Trudel : Donc ce sera quelqu’un d’autre qui fait pas de cinéma ou de télévision. Quelqu’un peut faire de la télévision, venir me voir, puis me l’acheter, puis je ferai une entente d’équipement avec lui aussi. Tout est possible.
Ainsi, le Conseil ne voit pas d’information inexacte ou incomplète dans cette partie du grief.
Le Conseil rejette tous les points du grief pour informations inexactes et incomplètes.
Grief 2 : informations partiales
Me Luc Mannella se plaint de ce que le reportage ne présente pas de point de vue différent et n’a pas retenu des extraits de réponse explicative dans l’entrevue de M. Trudel. Me Mannella critique le fait qu’on rapporte seulement les propos de techniciens/locateurs d’équipement sans qu’on entende les autres techniciens. Le plaignant dénonce aussi le recours à un seul expert en droit pour discuter des clauses de confidentialité et de non-concurrence dans les différentes offres d’achat qui sont discutées. Me Mannella écrit : « […] la présentation de l’opinion d’un seul expert, qui ne connaît pas le point de vue de nos clients, ne reflète pas l’exhaustivité des points de vue […] ». Enfin, le plaignant déplore que nulle part dans le reportage, il est fait mention du fait que M. Trudel n’est pas propriétaire, mais locataire des Studios Mel’s et qu’il paye « des millions » en taxes municipales pour l’immeuble qu’il loue.
Dans un premier temps, le Conseil constate que l’objectif du reportage est de dénoncer la situation vécue par des techniciens qui désirent travailler avec leur propre équipement sur des lieux de tournage. Le problème ne se pose pas auprès des autres techniciens. Il est donc normal que les sujets interviewés soient essentiellement des techniciens/locateurs d’équipement. De la même manière, le sujet porte exclusivement sur le travail des techniciens à l’extérieur des Studios Mel’s et donc les informations quant aux obligations financières de M. Trudel par rapport aux locaux des studios ne sont pas pertinentes.
D’autre part, en ce qui concerne le choix d’un seul analyste pour les différents contrats de vente ou d’achat, le Conseil estime que M. Richard Janda est un spécialiste extérieur et jouit donc d’une neutralité dans ce dossier. Rien n’obligeait la journaliste à présenter un éventail représentant « l’exhaustivité des points de vue ».
De façon générale, dans le reportage, M. Trudel a l’occasion de débattre de toutes les questions soulevées et de donner son point de vue. Le Conseil est d’avis que l’équilibre, dans un reportage, n’exige pas nécessairement de présenter un nombre égal d’opinions ou de temps à l’antenne.
En ce qui a trait aux extraits d’entrevue de M. Trudel qui n’ont pas été retenus, le Conseil a pu constater que dans les différents points soulevés, les extraits choisis rendaient justice à l’opinion de M. Trudel et ceux qui étaient rejetés apportaient en général, peu d’information nouvelle ou répétaient ce que l’invité avait déjà expliqué. D’ailleurs le montage d’une entrevue est la prérogative du journaliste et du réalisateur. Dans son code de déontologie il est précisé que : « […] la façon de traiter un sujet, de même que le moment de la publication et de la diffusion des informations relèvent de la discrétion des médias et des journalistes […]. L’information livrée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et subit un traitement journalistique suivant divers modes appelés genres journalistiques. » (DERP, p. 13)
Le Conseil considère que la journaliste a respecté les normes déontologiques en vigueur et dans le choix de ses invités et dans celui des extraits d’entrevue. Le grief pour informations partiales est rejeté.
Grief 3 : sources inadéquates
Le plaignant met en doute l’opinion de M. Richard Janda, expert en concurrence, parce qu’il a examiné les contrats d’achat de la société Bertrand Dupuis de même que celui des studios de Saint-Hubert sans, dit-il : « que tous les faits les entourant soient portés à sa connaissance. Son opinion d’expert, ajoute Me Mannella, est contestable d’un point de vue juridique. D’autant plus que M. Janda n’est ni avocat, ni notaire et donc ne peut pas émettre une opinion juridique ». Le plaignant s’oppose aussi à ce qu’on ait recours à des sources anonymes surtout lorsqu’il est question d’intimidation et de représailles. Me Mannella écrit : « L’intérêt public milite davantage en faveur d’une certaine transparence et découverte de la vérité plutôt qu’en faveur de l’anonymat derrière lequel s’abrite la SRC ».
M. Alain Kémeid, rédacteur en chef de l’émission « Enquête », répond que, dans le cas de M. Janda, les compétences du professeur de l’Université McGill sont reconnues dans le domaine et il estime que son opinion pouvait être mise de l’avant dans le reportage. Pour ce qui est des sources anonymes, M. Kémeid ajoute : « Nous avons eu suffisamment de sources ayant manifesté leurs craintes pour que nous jugions important d’en faire état […]. Nous n’avons pas à justifier et encore moins à dévoiler nos sources […] ce reportage est basé sur plusieurs sources différentes qui corroborent les propos des techniciens qui ont eu le courage de parler publiquement. »
Le Conseil a vérifié le CV de M. Richard Janda, professeur à la faculté de droit de l’Université McGill. Le professeur enseigne le droit des sociétés, le droit administratif, le droit de la concurrence, le contrôle gouvernemental des affaires et la réglementation du transport aérien. Il a aussi travaillé auprès des juges Le Dain et Cory de la Cour suprême du Canada, il a aussi été directeur du Centre d’études des industries réglementées à l’Université McGill. Le Conseil estime qu’à ce titre, M. Janda a toute la compétence voulue pour commenter les deux contrats qui lui ont été soumis. Comme la journaliste a montré les deux contrats à l’antenne, il est évident que M. Janda a pu en prendre connaissance; quant au contexte entourant les négociations, il ne change en rien les clauses écrites dans les contrats. Par ailleurs, nulle part dans le reportage il n’est dit que M. Janda émet une opinion « juridique ». Le Conseil croit que le professeur d’université émet « son » opinion en tant qu’expert de la Loi sur la concurrence, ce à quoi il a parfaitement droit.
En ce qui a trait aux sources anonymes, lorsqu’il est question d’intimidation et de représailles, on peut facilement penser que les témoignages seront difficiles à obtenir et dans les cas où les personnes acceptent de parler, il est fréquent qu’elles le fassent de façon anonyme. La lettre d’un témoin qui s’est désisté du reportage est, à cet égard, très éloquente. « J’avoue ne pas avoir pesé suffisamment les tenants et aboutissants qu’un tel enregistrement pourrait avoir sur moi, ma famille, ma société et ma carrière […]. J’ai dû me rétracter par peur de représailles sérieuses ». Il est essentiel que les journalistes puissent avoir recours à des témoignages anonymes pour expliquer une situation autrement impossible à démontrer. Le Conseil rappelle que : « La confidentialité des sources d’information des médias et des journalistes est essentielle à la liberté de la presse et au droit du public à l’information. » (DERP, p. 11)
Le grief pour sources inadéquates est rejeté.
Grief 4 : atteinte à la réputation
Me Mannella estime que le reportage de Mme Vaillancourt manque totalement de rigueur et cause un important préjudice à son client. « Les informations rapportées partiellement et de manière sournoise et partiale sèment la controverse au sein du milieu cinématographique et porte la clientèle de notre client à remettre en cause ses relations d’affaires ». De plus, Me Mannella considère que le reportage d’« Enquête » a été à la source d’un article de Mme Nathalie Pétrowski du journal La Presse, paru le 2 novembre 2011, article qui lui aussi nuit à son client.
En ce qui concerne le reproche pour atteinte à la réputation, le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Michel Trudel contre la journaliste Julie Vaillancourt de l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada pour les griefs d’informations inexactes et incomplètes, informations partiales et sources inadéquates.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité