Plaignant
L’Oeuvre Léger et Me Judith Pinsonneault
Mis en cause
Mme Caroline D’Astous, journaliste; M. Patrick White, éditeur et le Huffington Post Quebec
Résumé de la plainte
L’Oeuvre Léger, par l’entremise de Me Judith Pinsonneault, a déposé une plainte le 24 février 2012, contre Caroline D’Astous, journaliste pour le site Internet Huffington Post Quebec, relativement à un article intitulé « Pourquoi L’Oeuvre Léger a-t-elle perdu son financement? », paru le 16 février 2012. Me Pinsonneault reproche à la journaliste des informations inexactes, incomplètes et partiales ainsi que des sources non citées. L’organisme exige le retrait de l’article du site Internet, la publication d’une rétraction ainsi que de la lettre signée par le directeur général de L’Oeuvre Léger, M. Norman MacIsaac.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
L’organisme L’Oeuvre Léger souligne plusieurs informations inexactes dans l’article de Mme D’Astous.
– On indique d’abord qu’il est faux de parler de l’existence « d’une série d’enquêtes » touchant la gestion de l’organisme par le Conseil et Vérification Canada, de même qu’il est faux de dire que le refus de l’ACDI d’accorder un financement à L’Oeuvre Léger a été influencé par cette série d’enquêtes. De plus, alors que la journaliste écrit que l’attaché de presse de la ministre de la Coopération internationale a confirmé l’existence des enquêtes et qu’on attendait les résultats, la plaignante rétorque qu’après vérification auprès de l’attaché de presse M. Justin Broekema, ce dernier a nié catégoriquement le tout.
– Il est aussi incorrect d’écrire que l’organisme était « dans l’embarras pour avoir contrevenu aux règles de gestion de l’ACDI, parce que l’organisme aurait profité d’une subvention de 5,5 millions de dollars en 2009 alors que l’année précédente, il déclarait une perte financière de 6 millions […] ». Me Pinsonneault affirme que l’ACDI était au courant des états financiers de 2008 et n’y a vu aucune cause d’embarras.
Me Jean-François Vézina, représentant le Huffington Post Québec, explique que l’article est, au contraire, « bien documenté et est le résultat d’une recherche journalistique sérieuse et rigoureuse ».
Le Conseil a discuté avec la journaliste, Mme D’Astous, qui lui a confirmé que l’existence des enquêtes, mettant en cause L’Oeuvre Léger, lui a été corroborée par courriel par l’attaché de presse du ministère de la Coopération internationale, M. Justin Broekema. Le Conseil a obtenu copie de ces courriels. De plus, Mme D’Astous a expliqué que sa recherche, qui a duré six mois, lui a permis d’obtenir des documents par la Loi sur l’accès à l’information lui permettant d’étayer ses affirmations.
Ainsi, il n’est pas faux de parler d’enquête, puisqu’à deux questions posées par la journaliste, une portant sur le financement reçu alors que l’organisme accusait une perte financière importante et une autre sur le fait que la ministre, Mme Oda, avait accepté de financer un organisme situé dans une zone d’Al-Quaïda au Mali, M. Broekema répond : « We are investigating this serious matter to ensure proper and appropriate checks and balances were in place. » (Nous enquêtons sur ce sujet important pour nous assurer que les contrôles appropriés étaient bien en place.)
En ce qui concerne le lien direct entre le non-financement de projet et les enquêtes sur L’Oeuvre Léger, le Conseil note que, dans son article, Mme D’Astous précise qu’une partie du projet de L’Oeuvre Léger, en ce qui a trait à Haïti, a été reconduite. Dans sa discussion avec le Conseil Mme D’Astous ajoute : « Le projet de L’Oeuvre Léger concernant l’Afrique n’a pas réussi à répondre aux critères de l’ACDI afin d’obtenir un nouveau financement. Parmi les raisons évoquées pour expliquer le refus du projet, l’article énumère des difficultés que l’organisme a eues avec ses anciens projets, ce qui a entraîné des enquêtes de la part de l’ACDI ». La journaliste insiste pour dire que ces informations ont été confirmées et par des documents obtenus par la Loi sur l’accès à l’information et par de nombreuses sources.
La plaignante, avec lettre à l’appui, affirme que l’ACDI était au courant des états financiers de 2008 et n’y voyait aucune cause d’embarras. Or cette lettre a été écrite en 2009. Les enquêtes dont Mme D’Astous fait état datent plutôt de fin 2011. On peut ainsi penser que les deux versions sont valables puisqu’elles ne font pas référence à la même époque. Ainsi Mme D’Astous a livré une information exacte selon ses sources.
Le Conseil estime aussi qu’il n’est pas inexact de dire que L’Oeuvre Léger était dans « l’embarras » à cause d’une perte financière de six millions puisque, aux dires de M. Broekema du Ministère, toutes les organisations financées par l’ACDI sont imputables quant à la gestion des fonds et à leur utilisation. Sans présumer des résultats de ces enquêtes, la journaliste n’a pas enfreint de règles journalistiques en utilisant ces termes.
Enfin, sur le fait que l’attaché de presse a nié avoir confirmé les enquêtes, comme le dit la plaignante, le Conseil croit que si M. Broekeman a tenu un langage différent à Mme D’Astous et à Me Pinsonneault, la journaliste ne pouvait être au courant et ne peut être accusée d’avoir donné de fausses informations. Les courriels qu’elle a reçus de la part de M. Broekena le confirment. Ainsi, le grief pour information inexacte est rejeté.
Grief 2 : informations incomplètes
Me Pinsonneault déplore que la journaliste, Mme D’Astous, n’ait pas tenu compte dans son article, de certaines informations transmises par la plaignante.
Ainsi relativement à la perte financière de 6 millions de dollars, le directeur général aurait, selon Me Pinsonneault, expliqué à la journaliste que cette perte était attribuable à la perte de valeur comptable des placements. Ce n’est donc pas un cas de mauvaise gestion.
En ce qui concerne l’octroi de sommes d’argent importantes à un projet situé dans la zone contrôlée par Al-Quaïda en République du Mali, le directeur général aurait expliqué à Mme D’Astous que L’Oeuvre Léger a décidé, sur avis du ministère des Affaires étrangères, de mettre fin au financement faute de pouvoir effectuer des visites sur place. Mme D’Astous a préféré écrire, souligne la plaignante, que « L’Oeuvre Léger était devenue vulnérable auprès de l’ACDI » à cause de ce projet, sans fournir l’explication mentionnée ci-haut.
Me Vézina, représentant le Huffington Post, soutient que Mme D’Astous avait en sa possession tous les faits afin de présenter cette affaire de façon juste et objective, ce qu’elle a fait.
Dans son guide sur les pratiques journalistiques, le Conseil écrit : « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. » (DERP, p. 14) Le Conseil est d’avis que la journaliste a rapporté correctement la perte de six millions, information confirmée par le directeur de L’Oeuvre Léger. La journaliste a choisi de ne pas expliquer cette perte, ce qui relève de son choix éditorial.
De la même manière, Mme D’Astous cite le directeur général de L’Oeuvre Léger pour expliquer qu’il était impossible d’aller sur place vérifier l’usage des fonds du projet ACORD-SAHEL au Mali. Le Conseil considère que les faits sont exacts et que la journaliste a choisi de ne pas donner davantage d’explication. Le Conseil estime qu’il n’y a pas faute. Le grief pour informations incomplètes est rejeté.
Grief 3 : information partiale
La plaignante déplore que la journaliste ait fait un rapprochement entre la subvention de 2009 et la déclaration d’une perte financière de 2009. La plaignante en a contre l’expression « alors que » qui donne une connotation négative.
Me Pinsonneault reproche aussi à la journaliste d’avoir parlé de « vulnérabilité » L’Oeuvre Léger auprès de l’ACDI à cause de la difficulté d’aller vérifier sur le terrain, le fonctionnement du programme ACORD-SAHEL. Cette expression laisse sous-entendre, ajoute-t-elle, une faute, une infraction ou autre manquement.
Enfin, la plaignante dénonce le fait que Mme D’Astous ait cité l’attaché de presse de la ministre Oda, sur la position du gouvernement et la corruption sous le sous-titre « Perte de 6 millions ». Or, dit-elle, « ce passage est hors contexte et de mauvaise foi ». Elle dit avoir appris que l’attaché de presse avait écrit ce passage dans un tout autre contexte.
De leur côté, les avocats du Huffington Post insistent pour dire que L’Oeuvre Léger a été contactée à quatre occasions et a été invitée à présenter sa position concernant le sujet, position qui a d’ailleurs été adéquatement reflétée dans l’article.
Au sujet du premier point relevé par la plaignante, le Conseil constate que la journaliste a juxtaposé deux événements. Elle a mentionné que L’Oeuvre Léger a reçu un financement de 5,5 millions en 2009 et elle a précisé que l’organisme déclarait une perte de 6 millions l’année précédente. En liant les deux par l’expression « alors que », le Conseil ne voit pas là de partialité.
Dans le cas de l’expression « vulnérable auprès de l’ACDI », le Conseil considère qu’il est normal de parler de vulnérabilité quand un organisme, qui est imputable auprès de l’ACDI, se sent incapable d’aller vérifier sur le terrain l’utilisation de sommes importantes pour un projet qu’il a sélectionné, ce qui a été confirmé par le directeur général. Rappelons que la journaliste ajoute, dans son article, que le Ministère mène aussi une enquête à ce sujet.
Enfin, pour ce qui est de la citation de l’attaché de presse, M. Broekema, sur la position du gouvernement et la corruption, elle est tirée du courriel de ce dernier à Mme D’Astous dans lequel il répond à une question sur le financement de L’Oeuvre Léger alors que l’organisme avait subi une perte financière. Contrairement à ce que prétend la plaignante, la phrase n’est pas du tout citée hors contexte.
Le Conseil estime que le point de vue de toutes les parties a été entendu dans ce dossier et ne constate aucune partialité de la part de la mise en cause. Ainsi, le grief pour information partiale est rejeté.
Grief 4 : sources non citées
Me Judith Pinsonneault, au nom de l’organisme L’Oeuvre Léger dénonce le fait que la journaliste Mme Caroline D’Astous ne cite pas ses sources quand elle affirme : « qu’une série d’enquêtes touchant la gestion de l’organisme par Conseil et Vérification Canada », que l’organisme était « dans l’embarras… » et que L’Oeuvre Léger était « devenue vulnérable auprès de l’ACDI ».
Le Conseil rappelle que : « La confidentialité des sources d’information des médias et des journalistes est essentielle à la liberté de la presse et au droit du public à l’information. » (DERP, p. 11) De plus, « […] les médias et les professionnels de l’information qui se sont engagés explicitement à respecter le caractère confidentiel de leurs sources doivent en protéger l’anonymat. » (DERP, p. 32)
Mme D’Astous a confirmé au Conseil qu’elle avait eu accès à des informations par l’entremise d’une source qui souhaitait garder l’anonymat. Le Conseil considère qu’il était du devoir de la journaliste de conserver l’anonymat de sa source. Sans que cela constitue une faute déontologique, il aurait été souhaitable que la journaliste mentionne la raison pour laquelle la source a demandé le respect de son anonymat. Le grief pour sources non citées est rejeté.
Grief 5 : refus de retrait de l’article du site Internet, de publication d’une rétractation et d’une lettre
La plaignante exige que l’article de Mme D’Astous soit retiré du site Internet et que la journaliste et le Huffington Post Québec se rétractent complètement, dans un endroit aussi en vue que l’était l’article du 16 février 2012. Elle demande aussi que soit publiée la lettre de M. Norman MacIsaac, directeur général de L’Oeuvre Léger, qui se veut un rectificatif.
Le Huffington Post Québec a fait savoir qu’il ne retirerait pas l’article de Mme D’Astous, qu’il n’entendait pas publier de rétractation ni la lettre de M. MacIsaac, laquelle mentionne, à tort, que Caroline D’Astous aurait prétendument négligé de faire correctement son travail de journaliste.
Considérant que tous les griefs de la plainte de Me Pinsonneault et L’Oeuvre Léger ont été rejetés, le Conseil estime qu’il n’y a pas lieu de retirer l’article du 16 février 2012 du site Internet du Huffington Post Québec ni de publier une rétractation. Par ailleurs, en ce qui concerne la lettre du directeur général de L’Oeuvre Léger, le Conseil rappelle que la publication d’une lettre d’opinion demeure la prérogative de l’éditeur. Le grief pour refus de retrait de l’article du site Internet, de la publication d’une rétraction et de la lettre du directeur général de L’Oeuvre Léger est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de L’Oeuvre Léger contre la journaliste Caroline D’Astous et le Huffington Post Québec pour informations inexactes, incomplètes et partiales, sources non citées et refus de retrait de l’article du site Internet, de publication d’une rétractation et d’une lettre.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C19A Absence/refus de rectification