Plaignant
Syndicat canadien de la fonction publique du Québec (SCFP) et M. Denis Bolduc, secrétaire général
Mis en cause
M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Montréal
M. Sébastien Ménard, rédacteur en chef; M. Éric Cliche, directeur de l’information et le quotidien Le Journal de Québec
M. Jules Richer, rédacteur en chef et l’Agence QMI
Résumé de la plainte
Le Syndicat canadien de la fonction publique du Québec (SCFP) dépose une plainte le 7 mai 2012 contre Le Journal de Québec, Le Journal de Montréal et l’Agence QMI, relativement à une vingtaine d’articles publiés entre le 14 et le 19 novembre 2011, portant sur les régimes de retraite dans la fonction publique. Le plaignant dénonce un manque d’équilibre, le sensationnalisme dans les titres et le choix des photos, l’expression de préjugés et un refus du droit de réplique.
Commentaires du mis en cause
Le Journal de Québec, Le Journal de Montréal et l’Agence QMI ont refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
Dans l’ensemble, le SCFP estime que la série de reportages portant sur les régimes de retraite dans la fonction publique « dépeint les fonctionnaires de l’État comme des personnes privilégiées qui se paient une retraite dorée au bord de la mer sur le dos du travailleur moyen qui est condamné à payer pour eux alors que lui, n’a accès à aucun régime de retraite ». Cela, croit le SCFP, amène la population à conclure à la nécessité de couper dans les avantages prétendument scandaleux consentis aux retraités de la fonction publique tandis que le courageux travailleur du privé doit supporter une dette toujours plus lourde. On suggère que « l’assainissement des finances publiques passe nécessairement par des modifications à la baisse des régimes de retraite des employés de l’État ou des municipalités ».
Le plaignant, après avoir compilé le nombre de lignes totales des reportages, conclut que seulement 5 % de l’espace rédactionnel a été consacré au point de vue des retraités ou travailleurs concernés. Plus précisément, alors que dans l’article du 15 novembre, une partie du reportage fait état du point de vue des syndicats, cette partie ne représente toutefois que 20 % de l’ensemble pour cette journée. Le 16 novembre, alors qu’il est question des régimes de retraite des employés municipaux, on n’y retrouve aucune citation des travailleurs municipaux. Enfin, le 19 novembre, même si on publie des extraits d’un communiqué du Secrétariat intersyndical des services publics, l’espace qui lui est consacré ne représente que 12 % de l’ensemble de cette page.
Le Conseil considère que la question des régimes de retraite dans la fonction publique est une question d’intérêt public. Par ailleurs, le Conseil, à la lecture des articles visés, estime que les différents points de vue ont été exprimés. Comme l’indique le guide : « L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. » (DERP, p. 22)
Le Conseil est d’avis que le média n’a pas d’obligation à allouer le même temps ou le même espace à chaque point de vue, mais a l’obligation de présenter une variété de points de vue significatifs sur le sujet. Ainsi, deux articles : « Syndicats et retraités montent aux barricades » (15 novembre) et « Les syndicats en remettent » (19 novembre) ont présenté le point de vue des syndiqués et retraités ainsi qu’un éventail d’opinions dans la catégorie vox pop. Ajoutons à cela que, dans le reste des articles, l’information traite non seulement du coût de ces régimes de retraite sur les finances publiques, mais présente aussi des pistes de solutions ou des exemples de gestion différente. L’information y est donc variée.
Le Conseil considère cependant qu’un effort aurait pu être consenti afin de mieux expliquer la situation réelle des retraités de la fonction publique qui ne roulent pas tous sur l’or. Cela dit, le grief pour manque d’équilibre est rejeté.
Grief 2 : titres sensationnalistes et expression de préjugés
Le SCFP déplore aussi les titres qui sont empreints de sensationnalisme et encouragent les préjugés envers les fonctionnaires. Le plaignant croit que le choix de ces titres contrevient à la règle qui veut que les médias évitent d’avoir recours à l’information-spectacle.
En ce qui a trait aux titres et manchettes, le Conseil ne considère pas qu’ils sont choquants ou tendancieux. Sur ce sujet, le guide mentionne : « Les manchettes et les titres doivent respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient. Les responsables doivent éviter le sensationnalisme et veiller à ce que les manchettes et les titres ne servent pas de véhicules aux préjugés et aux partis pris. » (DERP, p. 30) Des titres tels que « Retraites dorées pour les fonctionnaires » ou « Finances publiques sous pression » ne sont pas sensationnalistes aux yeux du Conseil, mais se veulent accrocheurs afin de retenir l’attention du lecteur. D’autres titres comme : « Québec bouge sur les régimes de retraite » ou encore « Deux réalités différentes », ou encore « L’exemple d’Air Canada » sont plus nuancés et dans l’ensemble tous les titres reflètent le contenu. Le grief pour titres sensationnalistes et expression de préjugés est rejeté.
Grief 3 : photos tendancieuses
Le plaignant dénonce l’utilisation abusive de photos qui montrent les retraités de l’État profitant de vacances sereines et relaxantes sur la plage. On juxtapose aussi des photos de personnes se cassant la tête pour arriver à joindre les deux bouts avec un couple de cyclistes épanouis qui profitent de la vie. Pas difficile de comprendre, souligne le SCFP, que les personnes soucieuses sont des travailleurs du privé et les souriants, de la fonction publique, ce qui constitue une vision nettement exagérée de la réalité.
Dans la série d’articles sur les retraites de la fonction publique, le Conseil constate que chaque fois qu’il est question d’illustrer les retraités de la fonction publique, les mis en cause le font à l’aide de photos montrant des retraités souriants, bien nantis, en vacances. Bien que ces photos puissent choquer le plaignant, elles représentaient néanmoins le contenu des articles et les titres. Le choix des photos relève de la liberté éditoriale du média, le Conseil rappelle que : « [Les médias] doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion […]. » (DERP, p. 30)
Ainsi le Conseil rejette le grief pour photos tendancieuses.
Grief 4 : refus de droit de réplique
Le SCFP déplore que Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal ne lui aient pas accordé d’espace dans le journal pour exercer son droit de réplique. M. Bolduc, secrétaire général, écrit que le SCFP représente 110 000 travailleurs au Québec dont une très forte majorité de ses membres sont employés de l’État ou des municipalités. Il estime donc que ses membres ont été mis en cause dans ces reportages. Or deux communiqués ont été envoyés, qui ont été ignorés par les deux quotidiens. De plus, un échange a eu lieu entre M. Bolduc et un cadre du Journal de Québec et un texte a été envoyé pour publication dans la page idées du quotidien, ce qui n’a jamais été fait. M. Bolduc conclut : « Compte tenu de l’importance du sujet traité, des enjeux qu’il signifie et du peu d’espace accordé au point de vue syndical, Le Journal de Québec aurait dû permettre aux syndicats, plus particulièrement au SCFP, de répliquer à ce reportage, ce qui n’a pas été possible de faire malgré nos efforts consacrés en ce sens ».
Le Conseil rappelle que : « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. » (DERP, p. 38) Compte tenu du nombre de travailleurs représentés par le SCFP et compte tenu de l’ampleur du reportage, c’est-à-dire une vingtaine d’articles publiés sur 5 jours, Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal auraient dû permettre au plaignant d’exercer son droit de réplique. Même s’il est fait mention de la réaction des syndicats dans quelques articles, le Conseil considère que le SCFP était en droit d’apporter des précisions afin d’éclairer le débat. Le grief pour refus de droit de réplique est retenu.
Refus de collaborer
Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et l’Agence QMI n’ont pas souhaité répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Journal de Montréal, au Journal de Québec et à l’Agence QMI leur manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte le concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte du Syndicat canadien de la fonction publique du Québec contre Le Journal de Québec, Le Journal de Montréal et l’Agence QMI, pour refus de droit de réplique. Cependant, il rejette les griefs pour manque d’équilibre, titres sensationnalistes et expression de préjugés et photos tendancieuses.
Pour leur manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme Le Journal de Québec et Le Journal de Montréal et l’Agence QMI.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24A Manque de collaboration