Plaignant
M. Pierre Rousseau
Mis en cause
M. Paul Cauchon, directeur de l’information adjoint, Internet; Mme Josée Boileau, rédactrice en chef et le quotidien Le Devoir
Résumé de la plainte
M. Pierre Rousseau a déposé une plainte, le 7 mai 2012 contre le quotidien Le Devoir, en ligne, relativement à un article publié le 2 mai 2012 et intitulé « Bolivie : une société d’électricité nationalisée ». Le plaignant y dénonce une information tendancieuse, inexacte et déplore qu’on ait refusé de faire les corrections nécessaires et qu’on lui ait refusé un droit de réplique.
Analyse
Grief 1 : information tendancieuse
M. Rousseau accuse le quotidien Le Devoir d’avoir repris un article de l’Agence France-Presse dans lequel on qualifie l’administration du président bolivien, Evo Morales, de « gauche radicale latino-américaine ». Le plaignant estime que le mot « radical » est : « subjectif et laisse transpirer un préjudice défavorable » à l’endroit d’un gouvernement démocratiquement élu. M. Rousseau ajoute que ce qualificatif n’a pas sa place dans une nouvelle objective et indépendante : « C’est un point de vue ou une opinion qui se prête à un éditorial […], mais pas dans une nouvelle. »
M. Paul Cauchon, directeur de l’information adjoint, Internet au quotidien Le Devoir, rétorque que l’Agence France-Presse est une agence reconnue et ses articles sont relus et corrigés par la section internationale du quotidien qui ne peut toutefois pas en altérer le contenu, tel que prévu dans tous les contrats que Le Devoir signe avec les agences de presse.
Le Conseil constate d’abord que, contrairement à ce que prétend le plaignant, l’article du quotidien Le Devoir ne réfère pas à l’administration Morales dans son ensemble, mais il est plutôt écrit : « M. Morales, premier président amérindien de Bolivie et membre de la gauche radicale latino-américaine […] ». Le Conseil note aussi, après recherche, que le président Morales est d’abord un chef syndical, leader du « Mouvement vers le socialisme ». Ami des gouvernements de Hugo Chavez au Vénézuéla, de Fidel Castro de Cuba, il est étiqueté « gauche radicale » non seulement par l’AFP/Le Devoir mais aussi par d’autres journalistes dont Latin Reporters. Le Conseil croit que le fait de qualifier M. Morales de la « gauche radicale » ne met jamais en doute le fait qu’il a été démocratiquement élu. Le grief pour information tendancieuse est rejeté.
Grief 2 : informations inexactes
Le plaignant souligne que, dans l’article de l’AFP, repris par Le Devoir, il est écrit que : « L’entreprise (la Transportadora de Electricidad-TDE) a été privatisée en 2007, sous le gouvernement ultra-libéral de Gonzalo Sanchez de Lozada ». Or l’article dit plus loin que le président Morales a été élu en 2006. Il y a donc erreur. M. Rousseau précise que la privatisation s’est faite entre 1993 et 1997, sous le gouvernement Lozada. Le plaignant conclut : « Je concède volontiers que l’AFP est une agence reconnue, mais je soumets respectueusement que ça ne lui donne pas le droit de véhiculer des faussetés manifestes dans un article […]. Selon Le Devoir, les articles de l’AFP sont relus et corrigés par leur section internationale. Dans ce cas, on peut dire que cette vérification a échoué. »
Une recherche a permis au Conseil de constater que la privatisation de la TDE a effectivement eu lieu en 1997, et non en 2007 tel que mentionné par l’AFP. Il est aussi exact que l’article de l’AFP mentionne plus loin que le président Morales a été élu en 2006 au lieu de 2005. Bien que ces erreurs affectent peu la bonne compréhension de l’objet central du texte, le Conseil considère qu’il s’agit néanmoins d’inexactitudes. Le grief pour informations inexactes est retenu.
Grief 3 : refus de droit de réplique
M. Pierre Rousseau s’offusque de ce que Le Devoir ait refusé de publier son commentaire, comme ça se fait régulièrement sous les articles web du Devoir. Le plaignant dit avoir reçu un message du quotidien lui indiquant que son texte violait leur politique de commentaires, mais, ajoute-t-il, on a refusé de lui dire ce qu’il y avait dans son commentaire qui violait leur politique.
Le Devoir répond que lorsqu’un commentaire est refusé, un courriel est envoyé au destinataire pour l’en informer tout en l’invitant à relire la politique de participation aux commentaires. Le Devoir précise que, vu la quantité impressionnante de commentaires reçus chaque mois (entre 12,000 et 14,000), il est impossible d’expliquer à tous les internautes pourquoi leur commentaire a été refusé. Dans le cas de M. Rousseau, M. Cauchon, directeur de l’information adjoint, explique que son commentaire a été refusé parce qu’il accusait Le Devoir de « reprendre les textes de l’AFP sans vérifier l’exactitude ni la teneur, comme un perroquet ». « Nous avons considéré qu’il s’agissait d’une insulte envers Le Devoir, qu’il s’agissait d’une accusation non fondée et d’une atteinte à notre professionnalisme ».
Le Conseil rappelle que : « Le public n’a pas accès de plein droit aux pages des médias écrits ou aux ondes des stations de radios et de télévision […]. Il importe que les médias se donnent des normes de publication ou de diffusion sur les ondes des lettres ouvertes, documents, communiqués et opinions qui leur parviennent du public, et qu’ils adoptent des critères régissant la participation du public aux lignes ouvertes et aux émissions d’affaires publiques. Ces normes et ces critères peuvent varier selon les différents types de médias écrits et électroniques; les organes de presse devraient les faire connaître avec régularité au public. Les médias doivent veiller à ce que les lettres des lecteurs ne véhiculent pas des propos outranciers, insultants ou discriminatoires pouvant être préjudiciables à des personnes ou à des groupes. » (DERP, pp. 37-38)
Le Conseil considère que les médias ne sont pas tenus de publier les lettres ou commentaires des lecteurs. Ce choix relève de la liberté éditoriale de chaque média. Dans le cas qui nous intéresse, Le Devoir a fait connaître au plaignant sa politique concernant les commentaires, tel que stipulé par le guide du Conseil, et n’avait pas à préciser à quel règlement précis le plaignant avait contrevenu. Le grief pour refus de droit de réplique est rejeté.
Grief 4 : absence de rectification
Le plaignant déplore que Le Devoir ait refusé de corriger les erreurs qu’il a relevées dans le texte de l’AFP.
Le Conseil croit que, compte tenu des informations inexactes publiées dans l’article et le refus de publier le commentaire du plaignant, Le Devoir avait l’obligation de corriger ces informations, par une rectification. Selon le guide de déontologie, il est mentionné : « Il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. […] les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. » (DERP, p. 46)
Le grief pour absence de rectification est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Pierre Rousseau contre le quotidien Le Devoir, pour informations inexactes et absence de rectification. Cependant, il rejette les griefs pour information tendancieuse et refus de droit de réplique.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C19A Absence/refus de rectification