Plaignant
M. Patrice Bélanger
Mis en cause
Mme Anabelle Nicoud, journaliste; M. Hugo Meunier, journaliste; M. Mario Girard, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
M. Patrice Bélanger dépose une plainte le 25 juillet 2012 contre Mme Anabelle Nicoud et M. Hugo Meunier, journalistes à La Presse, relativement à un article publié le 25 février 2012, intitulé : « Inondations en Montérégie : spéculer sur le malheur ». M. Bélanger y dénonce des informations inexactes, une atteinte à sa vie privée et un refus de rectification.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
M. Patrice Bélanger déplore le fait que les journalistes Anabelle Nicoud et Hugo Meunier aient publié des informations inexactes au sujet de la maison de sa conjointe, située à Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix, municipalité touchée par les inondations du printemps 2011. Il reproche notamment aux journalistes d’avoir rapporté les propos d’un locataire qui n’habitait pas encore la maison en question au moment des inondations, puisqu’il ne s’y serait installé qu’à la fin du mois de juin 2011.
Le plaignant nie que la maison ait été inondée trois fois au printemps 2011, comme l’affirme l’article des mis en cause. Il précise qu’elle a été inondée trois fois, mais une seule fois au printemps 2011. Les deux autres inondations se seraient produites en juillet et en août 2011, soit durant l’été.
Selon le plaignant, il est aussi faux de prétendre, comme le fait le locataire, selon les propos rapportés par les journalistes, que l’eau rentrait par les fenêtres. Selon lui, l’eau s’est infiltrée par le drain français.
Il serait également faux de dire que la maison est dans une zone inondable, et que « ses assurances (celles du locataire) rechignent depuis un an à l’assurer ». La maison ne serait pas, toujours selon le plaignant, située en zone inondable. Il prétend également que les assureurs ne couvrent pas les dommages causés par les inondations et ne l’ont jamais fait.
Il serait aussi inexact de dire, comme l’affirment les journalistes, que « Le petit pavillon bleu ne porte plus les traces des crues du printemps », puisqu’aucune rénovation n’a été rendue nécessaire à l’extérieur de la maison à cause des inondations du printemps.
Les journalistes Anabelle Nicoud et Hugo Meunier précisent, pour leur part, que l’idée du reportage était de raconter l’impact des inondations de 2011 sur le marché immobilier dans la région de la Montérégie. À Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix, ils disent avoir fait enquête sous le couvert de l’anonymat, se faisant passer pour des acheteurs potentiels. Selon eux, le locataire de la maison, rencontré sur place, a affirmé être sur les lieux pendant les inondations, ce que l’agente immobilière n’a pas nié. Dans un courriel en réponse au plaignant, dont le Conseil a obtenu copie, Mme Nicoud précise : « Dans ce papier, nous nous sommes contentés de décrire ce qui s’est déroulé au cours de nos visites. Aussi, les propos que vous relevez ne sont pas les miens, mais ceux du locataire […]. »
De son côté, Me Patrick Bourbeau, du bureau des affaires juridiques de La Presse, ajoute que le journal endosse entièrement la réponse des journalistes et considère que le plaignant n’a fourni aucune preuve que la version des faits exposée, par les deux journalistes, était inexacte.
Le Conseil rappelle que : « Ils [les professionnels de l’information] doivent également prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de leurs sources et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent. »(DERP, p. 32)
Même si l’article en question cherchait à rendre compte de l’état d’esprit des résidents d’une région affectée par des inondations, le Conseil est d’avis que cette décision éditoriale ne justifiait pas la publication d’informations inexactes. De façon plus précise, le Conseil estime que le fait que le locataire ait été évincé pouvait influencer ses réponses et limitait la crédibilité de cette source. Ceci aurait dû inciter les journalistes à valider les informations reçues, notamment en allant chercher la version du propriétaire, ce qu’ils ont d’ailleurs fait pour les autres cas.
Les journalistes auraient pu ainsi réaliser qu’il était inexact de dire que ce locataire était dans la résidence au moment des inondations du printemps 2011. Une copie du bail a permis au Conseil de vérifier que le locataire ne pouvait s’installer dans la maison en question qu’à compter du 1er juillet 2011 (ou quelques jours avant si c’était possible). Il n’a donc pas pu voir l’eau entrer par les fenêtres, de même qu’il ne pouvait affirmer que la maison a été inondée à trois reprises au printemps 2011, comme il l’a déclaré aux journalistes. De plus, selon le plaignant, à qui le Conseil a parlé, les locataires qui habitaient la maison au moment des inondations ont, depuis, quitté le pays et n’ont donc pu donner leur version des faits.
Le Conseil s’est aussi fait confirmer par Mme Marie-Lili Lenoir, directrice générale de la municipalité de Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix, que la maison n’était pas dans une zone inondable, tel que le laissait entendre le locataire et tel qu’il a été publié.
En conséquence, le Conseil retient le grief pour informations inexactes.
Grief 2 : atteinte à la vie privée
Le plaignant déplore le fait que les journalistes Anabelle Nicoud et Hugo Meunier aient donné une description suffisamment détaillée de la maison de sa conjointe de sorte qu’elle puisse être reconnue. M. Bélanger invoque le fait que Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix est une très petite localité et un « petit pavillon peint en bleu et blanc » à vendre est facilement identifiable, même sans donner l’adresse exacte. De plus, le plaignant reproche aux journalistes d’avoir repris, dans leur article, les termes utilisés dans une fiche publiée sur le site d’une agence immobilière. À cet égard, M. Bélanger se plaint qu’on ne leur ait jamais demandé l’autorisation de parler de la maison et que les propos écrits décrivant les conséquences des inondations du printemps 2011 sur la maison ont eu des effets néfastes sur la vente de la maison.
À cela, Mme Nicoud et M. Meunier rétorquent qu’ils n’ont « pas mentionné l’adresse, ni le secteur, ni le nom de l’agente ou celui de la propriétaire », et donc que la maison pouvait difficilement être identifiée.
Le Conseil croit que si la maison est facilement identifiable pour les propriétaires ainsi que leurs proches, elle l’est moins pour les gens de l’extérieur qui souhaiteraient l’acheter. Outre la couleur, rien de précis ne permet d’identifier la résidence ou ses propriétaires. Le Conseil estime en outre que les journalistes n’étaient pas tenus d’avoir l’autorisation du propriétaire pour parler de la maison dans un article, dans la mesure où le sujet était d’intérêt public. Le grief pour atteinte à la vie privée est donc rejeté.
Grief 3 : refus de rectification
Compte tenu des nombreuses informations inexactes, le plaignant demande au quotidien La Presse de se rétracter.
Pour leur part, les journalistes Mme Nicoud et M. Meunier, de même que Me Bourbeau, ne voient pas la nécessité de publier un « erratum ».
Étant donné que plusieurs informations publiées, concernant la maison de Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix étaient erronées, le Conseil est d’avis que le journal La Presse se devait d’apporter des rectifications. Le grief pour refus de rectification est donc retenu.
COMMENTAIRE ÉTHIQUE – procédés clandestins
Bien que le plaignant n’ait pas soulevé dans sa plainte la question de l’usage de procédés clandestins, le Conseil estime qu’il est pertinent d’y jeter un regard et de rappeler que le guide déontologique du Conseil de presse du Québec est limpide, l’utilisation de procédés clandestins « doit toujours demeurer exceptionnelle et ne trouver sa légitimité que dans le haut degré d’intérêt public des informations recherchées et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen de les obtenir ». (DERP, p. 16)
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que le sujet traité ne présentait pas le « haut degré d’intérêt public » nécessaire pour justifier l’utilisation de procédés clandestins. Il considère, de plus, qu’il existait d’autres moyens d’obtenir l’information recherchée.
Le Conseil tient donc à rappeler que le recours à de tels moyens doit demeurer absolument exceptionnel, et ne saurait être pris à la légère, au risque de miner la confiance du public.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Patrice Bélanger contre Mme Anabelle Nicoud et M. Hugo Meunier, journalistes et La Presse, pour informations inexactes et refus de rectification. Cependant, il rejette pour atteinte à la vie privée.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C16D Publication d’informations privées
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
6 June 2013
Appelant
Veuillez prendre note que les deux parties ont interjeté appel dans ce dossier. Vous y trouverez donc deux décisions rendues par la commission d’appel.
D2012-07-008A – M. Patrice Bélanger
D2012-07-008B – Le quotidien La Presse
Décision en appel
DÉCISION 2012-07-008A – Appelant : M. Patrice Bélanger
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEF DE L’APPELANT
L’appelant conteste un grief de la décision de première instance :
- Grief 2 : atteinte à la vie privée
Grief 2 : atteinte à la vie privée – Selon l’appelant, les journalistes ont fait abstraction du fait que Saint-Paul-de-l’Île-aux-Noix est un minuscule village et que si le lecteur moyen n’a aucune raison de chercher à identifier la maison, par contre, les courtiers immobiliers et les gens voulant l’acheter la rayeront de leur liste. Selon M. Bélanger, les journalistes n’auraient pas dû identifier le village.
Les membres du comité des plaintes ont considéré « que si la maison est facilement identifiable pour les propriétaires ainsi que leurs proches, elle l’est moins pour les gens de l’extérieur qui souhaiteraient l’acheter », et qu’« outre la couleur, rien de précis ne permet d’identifier la résidence ou ses propriétaires », et que « les journalistes n’étaient pas tenus d’avoir l’autorisation du propriétaire, pour parler de la maison dans un article, dans la mesure où le sujet était d’intérêt public. »
La majorité des membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a bien appliqué les principes déontologiques en matière d’atteinte à la vie privée. Un membre exprime sa dissidence sur ce point.
COMMENTAIRES DES INTIMÉS
Les intimés n’ont soumis aucune réplique à l’appel.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
DÉCISION 2012-07-008B – Appelant : Le quotidien La Presse
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste un grief et le commentaire éthique de la décision de première instance :
- Grief 1 : informations inexactes
- Commentaire éthique
Grief 1 : informations inexactes – Selon l’appelant, Me Patrick Bourbeau du service juridique de La Presse, de retenir le grief d’informations inexactes, à l’encontre des journalistes, impose un fardeau beaucoup trop élevé aux journalistes qui exercent leur métier avec les contraintes de temps inhérentes à la pratique journalistique. Me Bourbeau estime que les journalistes n’avaient aucune raison de douter de la crédibilité du locataire de la résidence et qu’ils se sont contentés de relater les propos de ce dernier. Finalement, de laisser entendre que les journalistes auraient dû demander au locataire de leur fournir une copie de son bail afin qu’ils puissent s’assurer de la véracité de ses propos, s’avère impraticable dans la pratique quotidienne du métier de journaliste, conclut Me Bourbeau.
De l’avis de l’intimé, M. Patrice Bélanger, s’il était difficile pour les journalistes de vérifier l’information qu’ils avaient recueillie, ils auraient dû entrer en contact avec la propriétaire. Finalement, selon M. Bélanger, il est inconcevable que les journalistes se cachent derrière le fait qu’ils n’ont fait que retranscrire les propos du locataire, cela impliquerait donc que les journalistes n’ont aucune responsabilité envers ce qu’ils publient tant qu’ils rapportent les propos d’autrui.
Les membres du comité de première instance ont analysé 4 informations inexactes : (1) la maison aurait été inondée trois fois au printemps 2011; (2) l’eau entrait par les fenêtres; (3) que la maison était dans une zone inondable et (4) que le petit pavillon bleu ne porte plus les traces des crues du printemps. Après vérification, auprès d’autres sources, le Conseil a jugé ces informations inexactes. De plus, le comité des plaintes considérait que la situation du locataire évincé pouvait influencer ses réponses et limitait donc la crédibilité de cette source, ce qui aurait dû inciter les journalistes à valider les informations reçues auprès d’autres sources.
Les membres de la commission d’appel considèrent que le comité des plaintes a bien appliqué les principes déontologiques en matière d’informations inexactes.
Commentaire éthique – Selon l’appelant, le commentaire éthique s’apparente à une « autosaisie », ce qui n’est pas autorisé par les règles régissant le Conseil. De l’avis de Me Bourbeau, l’utilisation d’un tel procédé ne permet pas aux parties visées de prendre connaissance du reproche qui leur est fait, pas plus que de la preuve, et ne leur permet donc pas de la contredire ou de faire valoir leurs arguments. Finalement, Me Bourbeau souligne que la décision de première instance n’indique pas quel « procédé clandestin » fait l’objet du reproche formulé par le Conseil.
Les membres du comité de première instance concluaient que « Bien que le plaignant n’ait pas soulevé dans sa plainte la question de l’usage de procédés clandestins, le Conseil estime qu’il est pertinent d’y jeter un regard et de rappeler que le guide de déontologie est limpide sur l’utilisation de procédés clandestins. » Et que dans le présent cas, le comité était d’avis que le sujet traité ne présentait pas un « haut degré d’intérêt public » qui nécessitait l’utilisation de procédés clandestins, considérant qu’il existait d’autres moyens d’obtenir l’information recherchée. Finalement, que le recours à de tels moyens doit demeurer absolument exceptionnel, et ne saurait être pris à la légère, au risque de miner la confiance du public.
Les membres de la commission d’appel constatent que ce n’est pas un blâme qui a été prononcé par le comité des plaintes et, bien que ce ne soit pas un grief invoqué par la partie plaignante, la commission reconnaît le droit au comité des plaintes de se saisir d’un commentaire éthique, ce qui constitue un simple rappel des hauts standards de la déontologie journalistique.
Par ailleurs, les membres de la commission d’appel sont partagés sur la nature du commentaire éthique émis. Certains membres estiment qu‘il était légitime que La Presse ait eu recours à un procédé clandestin.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.