Plaignant
Mouvement Pro Chrysotile québécois et M. Serge Boislard, président
Mis en cause
M. Alain Gravel, animateur et journaliste; M. Jean Pelletier, directeur contenu, affaires publiques; l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
L’organisation Mouvement Pro Chrysotile québécois, par l’entremise de son président, M. Serge Boislard, dépose une plainte le 31 juillet 2012 contre M. Alain Gravel, journaliste et animateur de l’émission « Enquête » de Radio-Canada, relativement à un reportage diffusé le 9 février 2012 et intitulé « Le côté noir de l’or blanc ». Le plaignant y dénonce une information partiale, incomplète et sensationnaliste.
Analyse
Grief 1 : information partiale
Le mouvement Pro Chrysotile juge que le ton et la structure du reportage « Le côté noir de l’or blanc » sont tendancieux et manquent d’impartialité. M. Boislard, président de l’organisme, pense que l’animateur d’« Enquête » se positionne contre la relance de la mine Jeffrey en y allant de propos partiaux, tels que : « Relancer une industrie au Québec, celle de l’amiante alors qu’elle est qualifiée de mortelle par plusieurs scientifiques », « il est clair qu’il s’agit d’un produit très dangereux » ou encore « nos gouvernements font la sourde oreille en s’apprêtant à contribuer financièrement à la réouverture d’une mine à Asbestos ».
Toujours selon le plaignant, les partisans de l’exploitation de l’amiante chrysotile sont présentés de telle sorte qu’ils n’ont pas de crédibilité. Par exemple, dans le cas du Dr Corbett McDonald, éminent scientifique, on le présente comme quelqu’un ayant « soigné » les relations publiques de l’industrie de l’amiante. Le plaignant estime également qu’une « importance démesurée est accordée aux commentaires de certains intervenants qui affirment, sans preuve scientifique, qu’il est difficile […] d’utiliser l’amiante chrysotile de façon sécuritaire ».
M. André Dallaire, responsable du traitement des plaintes au service de l’information de Radio-Canada, pense que l’équipe d’« Enquête » a toujours respecté l’équilibre des propos dans un souci d’honnêteté et d’impartialité. Le reportage se veut une enquête historique sur le cover-up de l’industrie de l’amiante. Tout au long du reportage, on a pu entendre les tenants de la relance de la mine Jeffrey et ceux qui étaient contre. M. Dallaire cite entre autres le ministre fédéral de l’Industrie, M. Christian Paradis, qui défend le côté sécuritaire de l’amiante. M. Dallaire nie aussi qu’on ait tenté de discréditer le Dr Corbett McDonald. Le reportage aurait décrit qui il était, ses liens avec l’industrie, en plus d’exposer son point de vue et d’autres invités sont venus le défendre. Le porte-parole de Radio-Canada ajoute que M. McDonald a refusé d’accorder une entrevue.
En somme, selon M. Dallaire, le reportage n’est pas un éditorial. « Le présentateur annonce que le reportage qui suit porte sur une industrie en passe d’obtenir un soutien financier d’envergure du gouvernement alors que cette même industrie a longtemps tenté de minimiser les effets néfastes de l’amiante. Rien de plus, rien de moins. »
Le Conseil constate que le reportage d’« Enquête » est effectivement une enquête « historique » sur le camouflage par l’industrie de l’amiante des effets néfastes et dangereux de ce produit sur les travailleurs. Le choix de diffuser le reportage à ce moment précis tient au fait que la relance possible de la mine d’amiante Jeffrey est un sujet d’intérêt public qui faisait les manchettes à ce moment-là. Il est donc normal de relier le reportage à cette nouvelle.
Le reportage présente des documents d’archives convaincants qui viennent appuyer les dires des intervenants. Sans calculer à la seconde près le temps d’antenne alloué à chaque invité, le Conseil note que des spécialistes scientifiques, pro et antiamiante, sont venus donner leur point de vue. En ce qui concerne le Dr Corbett McDonald, cité par le plaignant, le Conseil estime qu’il a été présenté correctement, en tant qu’éminent épidémiologiste, et que le rôle qu’il a joué dans cette affaire a été suffisamment détaillé. En outre, un des intervenants est même venu défendre son intégrité.
Par ailleurs, le Conseil souligne que ni le Dr McDonald, qui a soutenu l’industrie de l’amiante pendant de nombreuses années, ni l’Institut du Chrysotile n’ont accepté de répondre aux questions de la journaliste, Josée Dupuis. Ils étaient donc absents pour défendre leur point de vue.
Pour toutes ces raisons, le grief pour information partiale est rejeté.
Grief 2 : information incomplète
Le Mouvement Pro Chrysotile dénonce le fait que l’équipe d’« Enquête » ait omis d’expliquer ce qu’est l’amiante chrysotile, une fibre très différente des autres types d’amiante et beaucoup plus sécuritaire. Le plaignant déplore également que le reportage soit demeuré silencieux sur les développements des trente dernières années, au cours desquelles des progrès considérables sont survenus dans la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de l’amiante. Le plaignant ajoute : « Nous ne pouvons qu’affirmer qu’une telle chronologie des événements est incomplète et constitue plutôt une opinion biaisée imposée au public sur en enjeu d’intérêt public ».
De son côté, Radio-Canada rétorque que toutes les formes d’amiante sont cancérigènes et que toutes les études scientifiques le démontrent. M. Dallaire, responsable des plaintes à Radio-Canada, précise que le reportage a fait la distinction entre différentes formes d’amiante en montrant des images d’amiante brun et d’amiante bleu. On a aussi diffusé les propos de différentes personnes qui défendent le chrysotile, en particulier le Dr McDonald, qui explique que c’est la trémolite, autre fibre d’amiante, qui est responsable des cas de cancer.
Quant aux conditions de travail plus sécuritaires des travailleurs de l’amiante, M. Dallaire répond que ce n’était pas le sujet du reportage. De plus, au moment du tournage, ajoute-t-il, la seule mine opérationnelle au Québec, la mine Jeffrey, était inactive.
Après visionnement du reportage, le Conseil constate qu’à différentes reprises, la journaliste, Josée Dupuis, fait mention de la fibre chrysotile soit en narration, soit en extraits d’entrevues :
– on a souligné qu’elle était moins nocive et que, si elle l’était, c’était à très forte dose;
– on a mentionné les dangers de la trémolite, fibre différente du chrysotile, mais qui se retrouve souvent près des veines de chrysotile et qui est responsable des cas de cancers;
– on a parlé du chrysotile encapsulé qui est moins dangereux. Le ministre Christian Paradis a fait la promotion de l’utilisation sécuritaire de l’amiante.
Bien que le reportage n’aborde pas de façon exhaustive et n’explique pas en détail les questions actuelles concernant l’industrie de l’amiante et les modifications détaillées de cette industrie, le Conseil est d’avis que les mis en cause pouvaient choisir leur angle de traitement et leurs priorités et qu’ils ont respecté leurs obligations déontologiques en matière d’équilibre, également dans le segment de reportage où est abordé la période contemporaine du dossier en cause. Le grief pour information incomplète est rejeté.
Grief 3 : sensationnalisme
Le plaignant s’offusque de ce que plusieurs éléments du reportage fassent preuve de sensationnalisme en exposant de manière plus élaborée que nécessaire la douleur vécue par les familles des victimes. Les photos « montrant des travailleurs faisant une utilisation non sécuritaire de l’amiante n’illustrent non pas la réalité, mais bien des exceptions […] ».
Pour Radio-Canada, il était nécessaire d’évoquer les conditions des travailleurs de l’époque à l’aide de témoignages, notamment lorsqu’il est question du laboratoire de Saranac Lake qui analysait, à l’insu des familles, des spécimens de poumons de travailleurs décédés.
Le Conseil estime que les témoignages entendus dans le reportage viennent appuyer l’enquête historique et lui donner un aspect humain, sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Rien, dans ce reportage, ne vient déformer la réalité ou exagérer la portée des faits rapportés. Chaque cas est justifié, d’intérêt public et contribue à mieux faire comprendre le drame vécu par les familles touchées par les effets nocifs de l’amiante. Quant aux images d’archive, elles parlent d’elles-mêmes et servent à démontrer les dangers qu’encouraient les travailleurs de l’amiante dans les années 40-50, le sujet même du reportage. Le grief pour sensationnalisme est donc rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte du Mouvement Pro Chrysotile contre Alain Gravel, journaliste et animateur de l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada pour information partiale, incomplète et sensationnalisme.
Analyse de la décision
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue