Plaignant
M. Robert Hakim
Mis en cause
M. Serge Lemelin, journaliste; M. Denis Bouchard, éditeur adjoint et rédacteur en chef et le quotidien Le Quotidien
Résumé de la plainte
M. Robert Hakim porte plainte le 10 septembre 2012 contre M. Serge Lemelin, journaliste au journal Le Quotidien, relativement à une série d’articles publiés entre le 20 mars et le 30 mars 2012, où il est question d’une enquête préliminaire impliquant le plaignant. M. Hakim estime que le journaliste s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts et l’accuse d’inexactitude et de partialité.
Analyse
Grief 1 : conflit d’intérêts
Le plaignant accuse le journaliste, Serge Lemelin, d’être en conflit d’intérêts puisqu’il est le conjoint de Me Estelle Tremblay, associée de Me Pierre Mazurette au sein du même cabinet juridique. Or, Me Mazurette est l’un des principaux témoins de l’enquête préliminaire du procès de M. Hakim. De plus, ajoute le plaignant, Me Tremblay aurait également représenté une entreprise appartenant à un autre témoin de l’enquête, M. Marc Demers, dans une poursuite contre M. Hakim, en 2008. Le plaignant estime donc que le journaliste, Serge Lemelin, est en conflit d’intérêts et n’aurait jamais dû couvrir l’enquête préliminaire pour le journal Le Quotidien.
Me Patrick Bourbeau, du bureau des affaires juridiques du journal Le Quotidien, rétorque que le mis en cause est un journaliste d’expérience qui couvre régulièrement les affaires judiciaires pour le journal, et que ce serait donc sur cette base qu’il a été affecté à la couverture de l’enquête préliminaire. Me Bourbeau poursuit en affirmant que le journaliste n’a aucun lien direct avec le plaignant, pas plus qu’avec les deux témoins de l’enquête préliminaire. Le fait que son épouse, Me Tremblay, travaille dans le même cabinet qu’un des témoins, en l’occurrence Me Mazurette, ne crée pas un conflit d’intérêts susceptible d’affecter le travail de M. Lemelin. Quant au fait que Me Tremblay a représenté Marc Demers, autre témoin à l’enquête, Me Bourbeau souligne que l’avocate a cessé de s’occuper du dossier en septembre 2008. Me Bourbeau ajoute que, de toute façon, Me Tremblay est liée par le secret professionnel. Enfin, Me Bourbeau invoque le fait que dans un petit milieu comme celui que couvre Le Quotidien, il est fréquent que les gens se connaissent ou soient conjoints de quelqu’un qui a pu avoir des relations avec certaines des personnes impliquées dans les événements qui font l’actualité.
En matière de conflit d’intérêts, le Conseil rappelle que : « Les entreprises de presse et les journalistes doivent éviter les conflits d’intérêts. Ils doivent, au surplus, éviter toute situation qui risque de les faire paraître en conflit d’intérêts, ou donner l’impression qu’ils ont partie liée avec des intérêts particuliers ou quelque pouvoir politique, financier ou autre. » (DERP, p. 24)
Il n’est sûrement pas inutile de rappeler ici que les conflits d’intérêts varient en intensité en fonction de la proximité des intérêts qui sont en jeu. Ainsi, lorsque vient le temps d’évaluer s’ils constituent une faute déontologique, l’importance que l’on doit accorder à un intérêt lointain, que ce soit en terme temporel ou relationnel, est certainement moindre que celle que l’on doit considérer lorsqu’il s’agit d’un intérêt très proche du journaliste.
Dans le cas présent, le Conseil constate que M. Lemelin, personnellement, n’a de liens directs ni avec le plaignant ni avec les deux témoins cités dans la plainte, c’est-à-dire Me Mazurette et M. Demers. Ainsi, il ne saurait y avoir de conflit d’intérêts. Le fait que la conjointe de M. Lemelin travaille au sein du même cabinet que Me Mazurette qui compte par ailleurs une quinzaine d’avocats ne constitue pas, aux yeux du Conseil, un intérêt suffisamment fort pour croire qu’il ait effectivement pu influencer sa couverture du procès. La même logique prévaut en ce qui concerne M. Demers, que la conjointe de M. Lemelin aurait représenté. Dans ce second cas, le Conseil a également tenu compte du fait qu’une distance temporelle suffisamment importante s’est établie entre le moment où cette dernière a cessé de le représenter, c’est-à-dire en 2008, et la couverture du procès par M. Lemelin.
Pour toutes ces raisons, le grief pour conflit d’intérêts est rejeté.
Grief 2 : information inexacte et partiale
M. Hakim considère que le journaliste n’a pas respecté la véracité des faits, la mise en contexte et a émis une opinion personnelle dans ses articles. Il cite à cet effet un extrait de l’article paru le 23 mars 2012, « 4 factures utilisées deux fois » : « Par ailleurs, le choix de l’administrateur du cabaret l’Opéra de payer l’impôt fédéral et provincial ainsi que les déductions à la source (Assurance parentale, RRQ, etc.) avant la faillite avec les 30,000 $ du Théâtre du Saguenay lui a procuré un avantage qui n’a pas été abordé à l’enquête criminelle. En cas de non-paiement de ces sommes dues à l’État, il aurait appartenu à l’administrateur de rembourser les créatures de l’État avec son argent personnel ». Le plaignant estime que cette question n’ayant pas été abordée à l’enquête préliminaire, elle ne résulte que de spéculations de la part du journaliste. M. Hakim ajoute que la conclusion à laquelle il en vient est fausse.
Me Bourbeau de son côté, défend le journaliste du Quotidien en affirmant que loin de commenter, M. Lemelin se contente de rapporter la teneur des témoignages à l’enquête et des documents déposés devant la Cour. Les articles « sont rédigés avec objectivité et relatent fidèlement le déroulement de l’enquête ».
La lecture des articles de M. Lemelin a permis au Conseil de constater que le journaliste a effectué un travail de journaliste factuel, dans le respect des règles de déontologie journalistique. Le mis en cause a rapporté ce qu’il a entendu à la Cour et ce qu’il a constaté dans les documents déposés en preuve. Après avoir contacté le plaignant, le Conseil constate que ce dernier n’a pas réussi à prouver l’inexactitude de l’information et rejette donc le grief pour information inexacte et partiale.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Robert Hakim contre M. Serge Lemelin, journaliste et le journal Le Quotidien pour conflit d’intérêts et information inexacte et partiale.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C22F Liens personnels