Plaignant
Mme Yannick Ouellette
Mis en cause
Mme Pascale Déry, journaliste; M. Marc Gilbert, rédacteur en chef; l’émission « J.E. » et le Groupe TVA
Résumé de la plainte
Mme Yannick Ouellette dépose une plainte le 27 novembre 2012 contre Mme Pascale Déry, journaliste à l’émission « J.E. » du réseau TVA, relativement à deux reportages diffusés le 7 septembre et le 2 novembre 2012, portant sur les mères porteuses. Mme Ouellette accuse la journaliste de harcèlement, d’atteinte au droit à la vie privée et d’avoir diffusé des informations inexactes.
Commentaires du mis en cause
Le Groupe TVA a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : harcèlement et atteinte au droit à la vie privée
Mme Ouellette accuse la journaliste, Pascale Déry, de l’avoir harcelée en lui téléphonant plusieurs fois par jour, à la maison et à son travail, pour tenter d’obtenir une entrevue avec elle. De plus, quand la journaliste s’est présentée chez la plaignante, celle-ci déclare que la mise en cause a enregistré ses propos, l’a filmée, à l’intérieur comme à l’extérieur de sa maison, sans son consentement. Elle lui aurait pourtant bien indiqué qu’elle ne voulait ni être enregistrée, ni filmée, ni citée, en tout ou en partie. Mme Déry et le réseau TVA ont quand même diffusé un reportage le 7 septembre et un suivi le 2 novembre 2012. Dans ce dernier reportage, la plaignante déplore qu’on ait débrouillé son visage et sa voix et donné des précisions sur son lieu de résidence. Mme Ouellette déclare que ces reportages ont eu des conséquences négatives sur elle ainsi que sur sa famille.
À la suite d’une mise en demeure adressée à la journaliste, Mme Déry, par les avocats de Mme Ouellette, Me Véronique Dubois, conseillère juridique principale du Groupe TVA répond que la mise en cause s’est intéressée au cas de la plaignante dans le cadre d’une enquête d’intérêt public sur les mères porteuses. La journaliste s’est basée sur les témoignages de différentes sources qui se sont plaintes des agissements de Mme Ouellette. Me Dubois ajoute « qu’il était entièrement justifié pour notre journaliste de se rendre chez (Mme Ouellette) afin de diffuser un reportage équilibré qui présente les versions de toutes les parties impliquées ». Me Dubois souligne enfin que la journaliste ne s’est pas introduite dans la maison de la plaignante, mais a sonné à la porte et qu’on lui a ouvert.
Dans son guide de déontologie, le Conseil de presse mentionne que « le droit à l’information prend racine dans la reconnaissance de l’intérêt légitime du public à être informé. Il précise les conditions d’exercice d’une presse libre dans une société démocratique, de même que les prérogatives et les responsabilités de ceux dont la fonction première est d’informer. Le droit d’être informé comprend le droit pour les médias et les journalistes de rechercher et de transmettre l’information sans entraves ni contraintes, et le droit du public d’y avoir accès en toute liberté. […] En raison de leur fonction sociale, les médias et les professionnels de l’information doivent évaluer ce qui est d’intérêt public. […] Les choix rédactionnels en la matière relèvent de leur jugement et doivent être faits en toute indépendance et demeurer libres de toutes contraintes autres que celles qui découlent de l’exercice de leur fonction et des législations en vigueur. » (DERP, pp. 7-8)
Le Conseil juge que le dossier des mères porteuses était d’intérêt public et méritait d’être fouillé, d’autant plus que, selon les reportages visionnés, des parents ont affirmé avoir été floués par la plaignante. Le Conseil estime que la journaliste, en cherchant à rejoindre Mme Ouellette par tous les moyens pour obtenir une entrevue, a fait son travail de journaliste et n’a pas indument harcelé la plaignante. Après avoir fait entendre la version des parents, elle se devait d’avoir les explications de la mère porteuse, Mme Ouellette.
Quant aux procédés clandestins utilisés pour obtenir de l’information, le Conseil rappelle que « Le terme « enquête », dans ce que l’on qualifie de « journalisme d’enquête », vise ici à mettre en lumière ce qui sous-tend certaines activités, affaires, problématiques ou certains événements et phénomènes sociaux laissés dans l’ombre, soit en raison de leur complexité, soit par leur caractère obscur, voire secret. […] Le journalisme d’enquête présente des difficultés et des exigences qui justifient parfois l’usage de procédés clandestins lors de la collecte d’informations, tels que micros et caméras cachés, dissimulation d’identité, infiltrations, filatures. Le Conseil de presse reconnaît que l’on puisse et doive parfois avoir recours à de pareils procédés. (DERP, pp.15-16) De plus, « Lorsque des faits, des événements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne. […] La liberté de la presse et le droit à l’information seraient cependant compromis si les médias n’en informaient pas la population, car ces affaires traduisent des réalités, des problématiques et des enjeux sociaux importants. » (DERP, p. 42)
Le Conseil croit que la journaliste a mis en lumière des faits, à l’aide de caméras et d’enregistrements cachés, moyens rendus nécessaires pour informer le public. La plaignante n’a d’ailleurs jamais nié les faits qui ont été révélés. Le Conseil est aussi d’avis qu’il aurait été difficile, voir impossible, d’obtenir les mêmes informations par une démarche totalement ouverte. Ainsi, le grief pour harcèlement et atteinte au droit à la vie privée est rejeté.
Grief 2 : informations inexactes
Mme Yannick Ouellette affirme que la journaliste, Pascale Déry, a diffusé des informations inexactes, l’accusant de fraude et d’avoir eu « un enfant qui n’était pas le sien », signifiant ainsi que le père de son enfant n’est pas son propre mari, mais le conjoint de sa cliente.
Le Conseil constate que, dans le reportage diffusé le 7 septembre 2012, Mme Ouellette admet elle même avoir floué deux couples en expliquant les circonstances qui l’ont amenée à poser ce geste. De plus, dans ses échanges courriel avec la journaliste, la plaignante écrit : « Je nie pas de mon erreur avec mes deux couples en 2009 et que j’aurai sur la conscience toute ma vie […] » et « […] j’ai fait une grosse erreur que je me dois d’assumer jusqu’à la fin de ma vie […] ». La journaliste n’insinue donc pas à tort, les allégations de fraude contre Mme Ouellette.
D’autre part, dans le reportage du 2 novembre, la journaliste raconte l’histoire de futurs parents, qui croyaient que Mme Ouellette portait leur enfant, et qui se font dire par la plaignante que le véritable père du bébé est son propre mari. La journaliste, sans rien affirmer, soulève la question de la paternité de l’enfant. Dans ce même reportage, on peut la voir poser la question suivante : « À qui appartient ce bébé? » et Mme Ouellette de répondre : « À moi évidemment ». La journaliste rapporte aussi les démarches légales entreprises par le couple pour faire confirmer la paternité. Le Conseil conclut que jamais le reportage n’affirme que l’enfant que porte Mme Ouellette n’est pas celui de son propre mari. La journaliste expose la situation telle qu’elle se présente avec ses deux versions contradictoires. Le grief pour informations inexactes est rejeté.
Refus de collaborer
Le Groupe TVA a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Groupe TVA son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte le concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Yannick Ouellette contre Mme Pascale Déry, journaliste à l’émission « J.E. » et le Groupe TVA pour harcèlement, atteinte au droit à la vie privée et pour informations inexactes.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le Groupe TVA.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C16D Publication d’informations privées
- C23E Enregistrement clandestin
- C24A Manque de collaboration