Plaignant
M. Guillaume Legault; M. Jason Keays; M. Alex Bourdon-Charest; M. Julien de Tilly
Mis en cause
M. Gilbert Lavoie, journaliste; M. Pierre-Paul Noreau, éditeur adjoint; Le quotidien Le Soleil
Résumé de la plainte
MM. Guillaume Legault, Jason Keays, Alex Bourdon-Charest et Julien de Tilly déposent une plainte le 20 décembre 2012, contre M. Gilbert Lavoie, journaliste et chroniqueur au quotidien Le Soleil, relativement à un article paru le 20 décembre 2012 et intitulé : « La leçon de morale de Blandine Parchemal ». Les plaignants accusent le journaliste de xénophobie et de discrimination et lui reprochent une information inexacte et incomplète.
Analyse
Grief 1 : xénophobie et discrimination
Les plaignants dénoncent certains passages de la chronique de Gilbert Lavoie, notamment lorsqu’il écrit : « Les Québécois ont l’habitude de se faire dicter la morale par leurs cousins français. Après tout, c’est la mère patrie et puis ils s’expriment tellement bien. Mais de là à les voir s’ingérer dans nos affaires internes, il y a une marge! […] Qu’est-ce qu’une Française fraîchement débarquée vient faire dans nos débats? Si elle connaissait bien le Québec, on pourrait comprendre, mais ce n’est pas le cas. » Les plaignants estiment que le chroniqueur s’en est pris à la porte-parole de l’association étudiante l’ASSÉ pour la simple raison qu’elle est Française et ne vit au Québec que depuis 2011. Ils croient que le journaliste fait preuve de xénophobie et de discrimination en refusant à Mme Parchemal le droit de s’impliquer dans le débat étudiant. Les plaignants déplorent aussi le fait que le chroniqueur semble reprocher à la secrétaire de l’ASSÉ son passé d’activisme politique ainsi que sa méconnaissance du Québec, en se basant uniquement sur le fait qu’elle se serait trompée en réservant une chambre d’hôtel à Laval, alors qu’elle devait assister à un colloque à l’Université Laval, située dans la ville de Québec.
Les plaignants précisent que Mme Parchemal a été élue secrétaire de l’ASSÉ par les membres de l’association, sans égard à ses origines. De plus, le fait qu’elle soit arrivée au Québec depuis peu de temps n’affecte en rien sa légitimité comme représentante de l’organisation. Les plaignants concluent donc que les propos de Gilbert Lavoie sont discriminatoires et entrent en conflit avec les droits et libertés de la personne.
Selon Me Patrick Bourbeau, du service juridique du Soleil, à titre de chroniqueur politique, M. Gilbert Lavoie dispose d’une grande latitude dans le traitement des sujets qu’il couvre et peut conséquemment adopter un ton polémiste lorsqu’il exprime son opinion. Dans le cas présent, il estime que l’opinion de M. Lavoie relatif à l’implication d’une étudiante étrangère dans le débat social québécois est étayée par un argumentaire solide : « Le texte est plutôt le fruit de la réflexion d’une personne honnête qui emploie un ton polémiste pour faire part de son indignation face à cette tentative d’ingérence indue qu’il perçoit ». Me Bourbeau invoque aussi la liberté d’expression et souligne que : « sans la liberté de commenter et de critiquer, les citoyens ne seraient pas en mesure de faire de façon éclairée, les choix qu’ils doivent faire […]. »
Me Bourbeau ajoute enfin que Le Soleil a publié de nombreuses lettres de lecteurs en réaction au texte de M. Lavoie, y compris le texte d’un des plaignants, M. Guillaume Legault, permettant ainsi l’expression d’une diversité d’opinions.
Pour sa part, M. Gilbert Lavoie se défend de verser dans la discrimination et la xénophobie. Il argüe que la chronique politique est une chronique d’opinion, et qu’à ce titre, « Les lecteurs ont le droit d’être en désaccord avec mes opinions, mais j’ai le droit de les émettre […]. Malgré le ton de cette chronique, j’estime qu’il était d’intérêt public de révéler que l’un des leaders dans le conflit étudiant qui a menacé la paix sociale du Québec le printemps dernier n’était pas Québécois ».
Dans son guide de déontologie, le Conseil mentionne que « Le journalisme d’opinion est une manifestation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Ce journalisme comporte différents genres journalistiques qui constituent des tribunes réservées à l’expression d’opinions. […] La chronique, le billet et la critique sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans le traitement d’un sujet d’information. Ils permettent aux journalistes qui le pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. Ces genres accordent en général une grande place à la personnalité de leurs auteurs. C’est leur lecture personnelle de l’actualité, des réalités et des questions qu’ils choisissent de traiter qui est surtout mise en perspective. » (DERP, pp. 17-18)
Selon le Conseil, le journaliste met en doute l’apport au débat étudiant d’une personne qui, de par son statut d’étudiante étrangère, semble loin de cette réalité, mais occupe quand même une position stratégique dans le mouvement étudiant. Le Conseil estime qu’il ne s’agit pas ici de propos discriminatoires ni xénophobes et que le journaliste pouvait légitimement poser des questions sur la pertinence du rôle joué par Mme Parchemal.
Pour ces raisons, le Conseil rejette le grief pour xénophobie et discrimination.
Grief 2 : information inexacte et incomplète
Les plaignants reprochent également au journaliste d’avoir écrit que le gouvernement n’avait jamais pris au sérieux les demandes de l’ASSÉ quant à la gratuité scolaire, lors de la rencontre de Trois-Rivières. M. Legault croit qu’il est faux de dire une telle chose puisque ça ne reflète pas la réalité. De plus, un autre plaignant, Alex Bourdon-Charest accuse le mis en cause d’avoir omis volontairement de dire que quatre autres organisations syndicales avaient des positions semblables à celles de l’ASSÉ et réclamaient aussi la gratuité scolaire. Le plaignant considère cette omission contraire aux droits et responsabilités de la presse.
M. Lavoie rétorque que contrairement à ses détracteurs qui n’étaient pas à la rencontre de Trois-Rivières, il peut affirmer que personne parmi les décideurs qui ont participé à ces colloques, n’a cru à la possibilité que le gouvernement accepte une telle demande.
Le Conseil pense que, en ce qui concerne la réaction du gouvernement à une demande de gratuité scolaire, le journaliste M. Lavoie a livré sa perception de la question. Il était présent aux débats, il a analysé la situation et en a conclu que le gouvernement n’était pas chaud à cette idée. D’ailleurs, son opinion est partagée par une autre journaliste du Soleil, Daphné Dion-Viens, qui écrivait le 14 décembre 2012 : « Le ministre Duchesne a, de son côté, indiqué que son ministère évaluera les coûts de cette mesure pour être capable d’en débattre, tout en laissant entendre que cette option était écartée ». Ainsi, le Conseil estime qu’il n’était pas faux d’écrire que « personne n’a pris la demande au sérieux ». C’est plutôt une question d’interprétation de la part du chroniqueur politique.
Enfin, si le chroniqueur n’a pas fait mention des autres organismes, des syndicats en l’occurrence, qui réclamaient aussi la gratuité scolaire, le Conseil considère que l’objet de la chronique de M. Lavoie n’était pas de faire un compte rendu de la réunion de Trois-Rivières et de ses différents intervenants. Il n’était donc pas essentiel de le mentionner. Le grief pour information inexacte et incomplète est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de MM. Guillaume Legault, Jason Keays, Alex Bourdon-Charest et Julien de Tilly contre M. Gilbert Lavoie, chroniqueur au quotidien Le Soleil pour xénophobie et discrimination ainsi que pour information inexacte et incomplète.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C18A Mention de l’appartenance
- C18D Discrimination