Plaignant
L’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) et M. André Dumont, vice-président
Mis en cause
Mme Sophie Ginoux, rédactrice section « Voir la vie »; Mme Sylvie Chaumette, directrice du marketing et communications et directrice générale division gastronomie et art de vivre; M. Pierre Paquet, président et éditeur et le bimensuel Voir
Résumé de la plainte
M. André Dumont, vice-président de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) porte plainte contre le journal Voir et la rédactrice-journaliste, Mme Sophie Ginoux, le 12 février 2013, relativement à une série d’articles publiés dans le numéro du 7 février 2013, dans la section « Voir la vie ». M. Dumont dénonce la publication d’articles qui ne seraient en fait que des publireportages déguisés, et critique en outre l’influence du service de la publicité sur le contenu journalistique des articles, citant à ce titre le cumul de tâches de la responsable du marketing, qui occupe également des fonctions journalistiques au sein du journal.
Analyse
Grief 1 : publication de contenu publicitaire sous forme journalistique et cumul de tâches incompatibles
L’AJIQ qualifie de publireportages certains articles de la section « Voir la vie » du journal Voir, dont certains sont signés par Mme Sophie Ginoux. M. Dumont cite, entre autres, un article qui traite de spas, dont deux qui sont nommés spécifiquement : Aquarium Fish Spa et Xin Santé. Or, ces deux spas auraient acheté de la publicité dans la même édition du journal, et l’une d’entre elles, faisant la promotion de l’Aquarium Fish Spa, s’affiche tout à côté de l’article. De plus, les deux commerces participent à la Boutique Voir, une initiative de promotion de Voir, offrant des rabais en ligne aux consommateurs. L’AJIQ estime qu’une partie importante du contenu, en apparence journalistique puisque les articles sont signés, est en fait des publireportages et est dictée par les intérêts commerciaux du journal.
Selon des témoignages recueillis par l’AJIQ, auprès d’ex-journalistes pigistes ayant travaillé au Voir, Mme Sylvie Chaumette identifiée comme directrice du contenu et aussi coordonnatrice du marketing, dicte bel et bien les sujets du cahier « Voir la vie ». L’AJIQ ajoute que ces articles font partie d’une entente publicitaire. Ces publireportages, non identifiés comme tels et signés par des journalistes, entretiennent la confusion chez le lecteur en laissant croire qu’ils sont de véritables articles journalistiques.
M. Pierre Paquet, président-éditeur de Voir, affirme que les articles auxquels réfère le plaignant ont été entièrement rédigés par une journaliste, ne sont d’aucune façon produits en contrepartie d’une rémunération de la part d’un annonceur et ne sont pas approuvés par les commerces ou les boutiques dont il y est question. Il s’agirait donc, selon M. Paquet, de vrais articles, écrits par de vrais journalistes. Il ajoute que les sujets sont choisis en équipe et que les articles sont des reportages ou articles d’information plutôt que des critiques. M. Paquet explique la proximité des publicités et des articles ainsi : « Les gens que nous rejoignons par le choix de nos sujets éditoriaux et journalistiques sont aussi ceux que les annonceurs veulent rejoindre. »
Dans son guide de déontologie, le Conseil souligne : « les préoccupations commerciales et économiques qui peuvent présider au choix de la publicité publiée ou diffusée ne doivent en aucun cas influencer la politique rédactionnelle des organes d’informations. Les médias doivent établir une distinction nette entre l’information et la publicité sur tous les plans : contenu, présentation, illustration. Tout manquement à cet égard est porteur de confusion auprès du public quant à la nature de l’information qu’il croit recevoir. Non seulement les médias doivent-ils identifier clairement les textes et les émissions publicitaires, mais ils doivent les présenter dans une forme qui les distingue de façon manifeste, par leur mise en page ou leur mise en ondes, des textes et des émissions qui relèvent de l’information journalistique. Cela est d’autant plus important dans le cas des publireportages dans la mesure où ceux-ci empruntent justement les formes de traitement et de présentation de l’information journalistique. » (DERP, p. 31)
Le Conseil, pour sa part, constate dans le numéro de Voir de l’édition du 7 février 2013 que trois commerces, en plus d’avoir acheté de l’espace publicitaire, font l’objet de reportages signés par Mme Ginoux. Dans le cas de l’Aquarium Fish Spa, la publicité est placée juste à côté de l’article. Le Conseil observe que les textes, loin d’offrir un regard critique, font plutôt l’apologie de ces commerces, invitant les lecteurs à les visiter. De plus, à la fin des articles, on suggère aux lecteurs d’aller sur le site Boutique Voir, où ces trois commerces, ainsi que d’autres qui font l’objet de reportages, offrent des rabais de 25 % et plus.
M. Paquet, président-éditeur de Voir, a confirmé au Conseil que lorsqu’un annonceur achète de l’espace publicitaire, le journal décide systématiquement de rédiger un article journalistique sur l’entreprise, tout en demeurant libre de son contenu, une pratique institutionnalisée par le journal lui-même. M. Paquet ajoute que l’article est alors signé par un journaliste et que le contenu n’a pas à être approuvé par l’annonceur.
Le Conseil s’est, par ailleurs, fait confirmé par Mme Sylvie Chaumette, elle-même, qu’elle occupait bel et bien le poste de directrice du marketing et des communications et celui de directrice générale de la section gastronomie et art de vivre, chez Voir.
Pour le Conseil, lorsqu’il existe dans un média un lien aussi étroit entre les activités publicitaires et journalistiques, comme dans le cas présent, la liberté rédactionnelle est compromise quant au choix des sujets. Dans la présente situation, les intérêts économiques semblent prévaloir sur les préoccupations journalistiques. Le Conseil reproche au journal Voir de présenter du contenu publicitaire sous une forme journalistique et de ne pas distinguer clairement ces deux genres, ce qui sème la confusion chez le lecteur. Ainsi, le grief pour publication de contenu publicitaire sous forme journalistique est retenu.
Pour le Conseil, une seule et même personne ne peut occuper à la fois des fonctions publicitaires et journalistiques, sans que cela ne compromette son indépendance et, par ricochet, la crédibilité du média. Ainsi, le Conseil estime que Voir n’aurait pas dû confier à Mme Chaumette des tâches incompatibles au plan déontologique, c’est-à-dire directrice du marketing et responsable du contenu journalistique. En conséquence, le Conseil retient le grief pour cumul de tâches incompatibles.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) et de M. André Dumont contre Mme Sophie Ginoux, rédactrice en chef, Mme Sylvie Chaumette, directrice du marketing et communications et directrice générale division gastronomie et art de vivre et le journal Voir pour publication de contenu publicitaire sous une forme journalistique et cumul de tâches incompatibles.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C21A Publicité déguisée en information
- C21E Subordonner l’information à des intérêts commerciaux
- C21G Indépendance des services d’information et de publicité