Plaignant
M. Hercule Raymonde et al.
Mis en cause
M. Patrick Lagacé, journaliste; M. Mario Girard, directeur de l’information et lapresse.ca
Résumé de la plainte
M. Hercule Raymond ainsi qu’un autre citoyen déposent une plainte le 7 mars 2013 contre le journaliste Patrick Lagacé, et lapresse.ca, concernant une chronique publiée le 6 mars 2013, sous le titre « La génuflexion de Céline Galipeau ». Le plaignant reproche au journaliste d’avoir manqué de rigueur en rapportant des propos « hors contexte » et « sans lien » avec le Cardinal Ouellet.
Analyse
Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement
M. Raymond dénonce les propos suivants : « Ce membre de haut rang aurait manoeuvré en coulisse pour écarter un cardinal écossais accusé d’inconduite sexuelle… Alors que son propre frère a été reconnu coupable d’actes de pédophilie ». Selon le plaignant, même si ces faits sont véridiques, on doit reconnaître qu’ils sont rapportés hors contexte et qu’ils visent à laisser planer un doute sur la réputation et le caractère du Cardinal Ouellet.
Le représentant des mis en cause, Me Patrick Bourbeau, souligne que M. Lagacé est un chroniqueur et qu’à ce titre, le lecteur ne pouvait être induit en erreur quant à la nature de l’information présentée. De plus, ajoute-t-il, ce genre journalistique accorde une grande place à la personnalité de l’auteur. Me Bourbeau poursuit en mentionnant que la mise en contexte de la chronique de M. Lagacé avait pour but d’une part de démontrer en quoi l’interviewé était un personnage fascinant, mais aussi d’autre part, de faire une liste de sujets, selon lui très pertinents, qui n’avaient pas été abordés par Mme Galipeau. C’est dans cette liste, ajoute Me Bourbeau que se retrouvait le fait que le Cardinal Ouellet faisait face à des allégations selon lesquelles il aurait manœuvré en coulisse pour écarter un cardinal écossais accusé d’inconduite sexuelle, alors que son propre frère a été reconnu coupable d’actes de pédophilie. En terminant, Me Bourbeau souligne que l’opinion de M. Lagacé est à l’effet que cette problématique est l’un des nombreux sujets « épineux » qui n’ont pas été abordés par Mme Galipeau, alors que ce sujet était souvent mentionné par les observateurs comme un obstacle potentiel à l’élection du Cardinal Ouellet à la fonction pontificale.
Le Conseil rappelle que la chronique laisse à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Ils doivent cependant faire preuve de rigueur dans l’exposé des faits sur lesquels ils fondent leur opinion. À cet égard, le guide de déontologie rappelle : « Les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques. » De plus, « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. » (DERP, p. 28)
Le Conseil constate que le chroniqueur était tout à fait justifié de suggérer des questions que sa collègue de la SRC aurait pu poser au Cardinal Ouellet, compte tenu du fait que ce dernier était reconnu comme un candidat important à la succession de Benoit XVI. Plus précisément, le Conseil estime qu’il était d’intérêt public de faire référence à cette histoire selon laquelle le Cardinal Ouellet aurait joué un rôle pour écarter le Cardinal Keith O’Brien, soupçonné d’inconduite sexuelle. Par contre, il y a lieu de se demander s’il était également pertinent et d’intérêt public de faire également référence à la condamnation du frère du Cardinal Ouellet pour pédophilie. Quelle est la nature du lien entre l’action du Cardinal Marc Ouellet d’écarter de l’institution religieuse un dirigeant soupçonné d’inconduite sexuelle et la condamnation pour pédophilie de son frère? S’agit-il ici d’un lien logique et d’une mise en perspective qui éclaire le lecteur sur le candidat Marc Ouellet? Ou s’agit-il plutôt d’une association de faits sans fondement logique qui risque d’induire le lecteur en erreur sur les gestes du Cardinal et de rappeler inutilement la condamnation du frère du Cardinal?
Tout en reconnaissant que le journaliste n’expose pas explicitement le lien qu’il établit entre les deux événements, la majorité des membres (3/5) considèrent que le fait que le Cardinal Ouellet était un candidat important pour la succession du Pape justifiait d’exposer publiquement toute question se rattachant à sa personne, y compris l’ancienne condamnation de son frère. Le Conseil ne voit pas ici d’erreur de raisonnement ni de faute professionnelle.
Cependant, deux membres du comité expriment leur dissidence et estiment que le journaliste a manifesté une erreur de raisonnement. Ils ne voient aucun lien entre l’intervention possible du Cardinal Ouellet dans le cas du Cardinal O’Brien et l’ancienne condamnation de son frère pour pédophilie. Dans un tel contexte, le rappel de l’expérience judiciaire de ce dernier devient impertinent et dénué d’intérêt public, injustifié à l’égard de ce dernier ou à l’égard du Cardinal Ouellet lui-même, qu’on semble associer aux gestes répréhensibles de son frère. Tout ceci représentait un risque d’induire le public en erreur, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas et de laisser planer des malentendus qui risquaient de discréditer le Cardinal Ouellet.
Le Conseil rejette, à la majorité, le grief pour manque de rigueur de raisonnement.
Grief 2 : atteinte à la réputation
Selon le plaignant, les propos publiés par le journaliste portent atteinte à la réputation du Cardinal Ouellet.
Le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette, à la majorité, la plainte de M. Hercule Raymond contre le journaliste Patrick Lagacé et lapresse.ca pour manque de rigueur de raisonnement.
Analyse de la décision
- C16E Mention non pertinente
- C17A Diffamation
Date de l’appel
5 March 2014
Appelant
M. Hercule Raymond
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEF DE L’APPELANT
L’appelant conteste un grief de la décision de première instance :
- Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement
Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement – Selon l’appelant, le comité des plaintes n’a pas accordé assez de poids au principe déontologique, mis de l’avant dans la décision, relatif à la rigueur et à l’intégrité intellectuelle du chroniqueur. Le comité a évité d’évaluer suffisamment la signification des propos du chroniqueur et des malentendus suscités et n’a pas considéré en profondeur les questions soulevées dans l’analyse du paragraphe [5].
Les membres du comité de première instance rejetaient à la majorité la plainte et concluaient au paragraphe [5] : « Tout en reconnaissant que le journaliste n’expose pas explicitement le lien qu’il établit entre les deux événements, la majorité des membres (3/5) considèrent que le fait que le Cardinal Ouellet était un candidat important pour la succession du Pape justifiait d’exposer publiquement toute question se rattachant à sa personne, y compris l’ancienne condamnation de son frère. Le Conseil ne voit pas ici d’erreur de raisonnement ni de faute professionnelle. » Et au paragraphe [6], les membres dissidents s’exprimaient ainsi : « Cependant, deux membres du comité expriment leur dissidence et estiment que le journaliste a manifesté une erreur de raisonnement. Ils ne voient aucun lien entre l’intervention possible du Cardinal Ouellet dans le cas du Cardinal O’Brien et l’ancienne condamnation de son frère pour pédophilie. Dans un tel contexte, le rappel de l’expérience judiciaire de ce dernier devient impertinent et dénué d’intérêt public, injustifié à l’égard de ce dernier ou à l’égard du Cardinal Ouellet lui-même, qu’on semble associer aux gestes répréhensibles de son frère. Tout ceci représentait un risque d’induire le public en erreur, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas et de laisser planer des malentendus qui risquaient de discréditer le Cardinal Ouellet. »
Les membres de la commission d’appel concluent, à la majorité, que le comité de première instance a correctement appliqué le principe déontologique s’appliquant dans le présent cas : « Les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des événements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques. » De plus, « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. » (DERP, p. 28)
Un membre exprime toutefois sa dissidence et partage l’opinion exprimée par les membres dissidents de la première instance, qui au paragraphe [6] : « […] estiment que le journaliste a manifesté une erreur de raisonnement. Ils ne voient aucun lien entre l’intervention possible du Cardinal Ouellet dans le cas du Cardinal O’Brien et l’ancienne condamnation de son frère pour pédophilie. Dans un tel contexte, le rappel de l’expérience judiciaire de ce dernier devient impertinent et dénué d’intérêt public, injustifié à l’égard de ce dernier ou à l’égard du Cardinal Ouellet lui-même, qu’on semble associer aux gestes répréhensibles de son frère. Tout ceci représentait un risque d’induire le public en erreur, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas et de laisser planer des malentendus qui risquaient de discréditer le Cardinal Ouellet. »
RÉPLIQUE DES INTIMÉS
Les intimés n’ont transmis aucune réplique au présent appel.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu, à la majorité, de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission sont finales. L’article 8.2 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Mme Hélène Deslauriers
Représentant des journalistes :
M. Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
M. Pierre Sormany