Plaignant
Mme Céline Hervieux-Payette, sénatrice
Mis en cause
M. Mario Girard, directeur de l’information et le quotidien La Presse et lapresse.ca
Résumé de la plainte
Mme Céline Hervieux-Payette, sénatrice, dépose une plainte le 27 mars 2013 contre le quotidien La Presse et lapresse.ca, relativement à des articles publiés les 11 octobre, 13 octobre, 13 novembre 2012 et 4 janvier 2013, portant tous sur les accusations à l’endroit du Dr Arthur Porter, ex-directeur général du CUSM. La plaignante y dénonce l’utilisation inappropriée d’une photo où elle apparaît, qualifiant celle-ci d’atteinte au droit à son image. Mme Hervieux-Payette juge aussi que la photo a été mal identifiée et porte atteinte à sa réputation. Elle exige des excuses de la part de La Presse de même qu’un droit de réplique.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à l’image
Mme Céline Hervieux-Payette accuse La Presse et lapresse.ca d’avoir utilisé, en 2012 et 2013, une photo où elle apparaît aux côtés du Dr Arthur Porter, pour illustrer un article traitant des accusations de complot pour fraude et abus de confiance déposées contre le Dr Porter. Or, selon la plaignante, ladite photo aurait été prise en 2006, lors d’une conférence de presse à laquelle elle a effectivement assisté, mais qui n’a rien à voir avec les accusations criminelles contre le Dr Porter. La plaignante craint d’être faussement associée aux agissements présumés du Dr Porter ce qui porte atteinte à son droit à l’image.
La sénatrice affirme avoir contacté La Presse dès la première publication de la photo et M. André Pratte, éditorialiste en chef, lui aurait alors assuré « qu’ils y verraient ». Or, la même photo aurait été publiée dans le journal à trois autres occasions, en 2012 et 2013. À chaque fois, Mme Hervieux-Payette dit avoir souligné l’incident au journal, mais il semble qu’aucune mesure n’ait été prise pour empêcher l’utilisation de cette photo d’archives.
La plaignante reproche au journal de ne pas avoir utilisé d’autres photos du Dr Porter, où il apparaîtrait seul, estimant que de telles photos existent, en ayant elle-même trouvé plusieurs. Elle souligne aussi que la photo en question aurait pu être recadrée ou encore que son visage aurait pu être brouillé, une pratique courante.
Mme Hervieux-Payette ajoute : « En dépit de mon consentement implicite à être photographiée lors de la conférence de presse, mon droit à l’image subsiste. […] il n’est pas d’intérêt public d’intégrer la Photographie dans les publications traitant des accusations visant le Dr Porter. Contrairement à ce dernier, je ne suis ni partie, ni complice, ni soupçonnée, ni même citée dans le texte du Journal dans le scandale relié au Dr Porter […]. Cette association au Dr Porter dans l’esprit du grand public a une influence néfaste et indéniable sur ma personne et mon statut public. »
Me Patrick Bourbeau, du bureau des affaires juridiques de La Presse, répond que Mme Hervieux-Payette n’apparaît qu’en retrait sur cette photo et qu’elle n’est identifiée par son nom ni dans les légendes ni dans les articles que la photo accompagne. Me Bourbeau estime que ces éléments rendent son identification très difficile pour le lecteur moyen, la sénatrice « ne jouissant pas d’un degré de notoriété suffisant pour la rendre identifiable ». Ainsi, La Presse considère que la plaignante n’apparaît sur la photo que de façon « accessoire ». Me Bourbeau n’y voit donc rien d’inapproprié.
Dans son guide de déontologie, le Conseil souligne qu’« Ils [les journalistes] doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. Tout manquement à cet égard est par ailleurs susceptible de causer un préjudice aux personnes ou aux groupes impliqués, lesquels ont droit à ce que leur image ne soit ni altérée ni utilisée de façon dégradante ou infamante. » (DERP, p. 30)
Le Conseil constate que le journal La Presse a déployé peu d’efforts pour trouver une photo où le Dr Porter apparaît seul, ceci malgré la gravité des accusations portées contre lui et l’importance de n’impliquer personne d’autre. La plaignante a clairement fait la preuve qu’il existait des photos du Dr Porter seul. Pourtant, la même photo où apparaît Mme Hervieux-Payette s’est retrouvée publiée à quatre occasions différentes, sur une période de quatre mois, toujours pour accompagner des articles traitant des accusations portées contre le Dr Porter, et ce, malgré les cinq protestations verbales et écrites de la plaignante aux autorités de La Presse. Le Conseil note, au surplus, que La Presse n’a pas respecté l’engagement pris auprès de Mme Hervieux-Payette de ne plus utiliser cette photo.
Le Conseil partage le point de vue de la plaignante, selon lequel l’utilisation de cette photo n’était pas pertinente et portait atteinte au droit à son image, puisqu’elle renvoyait à un événement qui n’était aucunement relié aux déboires du Dr Porter. En l’utilisant, qui plus est à quatre reprises, La Presse lie deux événements qui n’ont entre eux aucun lien, ce qui crée une confusion quant à l’information transmise au lecteur. De plus, le Conseil juge qu’il aurait été possible de recadrer la photo ou encore d’y brouiller les visages de Mme Hervieux-Payette et des deux autres personnes qui l’accompagnaient, comme il se fait régulièrement. Or, force est de constater que cela n’a pas été fait. Le Conseil retient le grief pour atteinte au droit à l’image.
Grief 2 : mauvaise identification d’une photo
La plaignante accuse La Presse et lapresse.ca de ne pas avoir correctement identifié la photo contestée dans cette plainte. Mme Hervieux-Payette souligne qu’en dépit de la mention « archives » sous la photo, la date et le lieu ne sont pas mentionnés, sauf pour la photo publiée le 14 janvier 2013. Ce manque d’identification, croit la plaignante « peut porter le lecteur à confusion et à miner ma crédibilité […]. »
La Presse estime que l’absence de mention au sujet de Mme Hervieux-Payette, dans les textes accompagnant la photo, dissipe toute équivoque puisque le nom de la plaignante n’y est aucunement mentionné. Ainsi, aucun lien n’est établi entre la plaignante et les gestes reprochés au Dr Porter.
Le Conseil constate que le mis en cause a choisi une photographie dans ses archives, ce qui est précisé dans la légende. À cet égard, le Conseil considère que ce type d’identification ne constitue pas une faute professionnelle et qu’il n’était pas nécessaire, dans le présent cas, de faire mention de la date et du lieu.
Pour toutes ces raisons, le grief pour mauvaise identification d’une photo est rejeté.
Grief 3 : refus de droit de réplique et absence d’excuses publiques
Mme Hervieux-Payette réclame un droit de réplique et exige de la part du quotidien La Presse des excuses formelles dans le journal et sur le site lapresse.ca.
Le Conseil rappelle que « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. » (DERP, p. 38)
Le Conseil juge qu’étant donné les circonstances, le quotidien La Presse aurait, au minimum, dû publier une rectification concernant la photo ou, encore mieux, accorder un droit de réplique à la plaignante. Quant aux excuses publiques, le Conseil considère que la déontologie journalistique n’impose pas aux médias l’obligation de présenter des excuses, mais un devoir de rétraction, de rectification ou d’accorder un droit de réplique, comme dans le cas présent. Le Conseil retient donc le grief pour refus de droit de réplique.
Grief 4 : atteinte à la réputation
Mme Hervieux-Payette estime que le journal a porté atteinte à sa réputation.
Le Conseil rappelle que la diffamation, le libelle et l’atteinte à la réputation ne sont pas considérés comme du ressort de la déontologie journalistique, mais qu’ils relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions en la matière, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Céline Hervieux-Payette, sénatrice, et blâme le quotidien La Presse et lapresse.ca pour les griefs d’atteinte au droit à l’image et de refus de droit de réplique. Cependant, il rejette le grief de mauvaise identification d’une photo.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises membres s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
5 March 2014
Appelant
M. Mario Girard, directeur de l’information et le quotidien La Presse et lapresse.ca
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’apple doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliquées correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste deux griefs de la décision de la première instance :
- Grief 1 : atteinte au droit à l’image
- Grief 3 : refus de droit de réplique
Grief 1 : atteinte au droit à l’image – Selon l’appelant, l’argument déterminant sur lequel s’est basé le Conseil afin de juger que la publication de la photographie portait atteinte au droit à l’image de Mme Hervieux-Payette est mal fondé. Selon Me Bourbeau, il n’appartient pas au Conseil de se substituer à un média d’information afin de décider, comme c’est le cas en l’espèce qu’elle [la photo] « n’était pas pertinente ».
De l’avis de l’appelant, il appartient au média d’exercer son jugement dans l’exercice du droit qui lui est reconnu dans le guide des Droits et responsabilités de la presse, qui prévoit que la liberté de presse et le droit du public à l’information autorisent les médias à choisir et diffuser les photographies qu’ils jugent d’intérêt public.
Par ailleurs, Me Bourbeau, mentionne qu’il est troublant de voir le Conseil faire un reproche à un média pour ne pas avoir manipulé une image afin d’en modifier le contexte en suggérant que la photographie aurait pu être recadrée. Une telle pratique ne doit être utilisée que dans des cas bien spécifiques et de manière à ne pas induire les lecteurs en erreur quant au sens à donner à une photographie.
De l’avis de Mme Hervieux-Payette les médias en cause ont commis un manque de jugement en choisissant l’image où elle apparaît avec le Dr Porter, puisque cette photographie n’a aucun lien direct avec le contenu de l’article en question, c’est-à-dire, les problèmes judiciaires du Dr Porter. De plus, l’intimé précise avoir signalé, par cinq protestations verbales ou écrites, l’erreur, et aucun effort n’a été déployé pour utiliser une photo où le Dr Porter apparaissait seul, alors qu’elle avait fait la preuve qu’il existait des photos du Dr Porter seul. Mme Hervieux-Payette maintient qu’aucune mesure n’a été prise pour empêcher l’utilisation de cette photo d’archives.
Concernant le reproche de l’appelant sur le fait que le Conseil jugeait qu’il aurait été possible de « recadrer la photo ou encore d’y brouiller les visages de Mme Hervieux-Payette et des deux autres personnes qui l’accompagnaient, comme il se fait régulièrement », l’intimé souligne qu’il était justifié que le Conseil fasse un tel reproche, puisque la photographie en cause n’était ni pertinente et portait atteinte au droit à son image.
Finalement, Mme Hervieux-Payette considère que l’utilisation de la photographie n’était pas d’intérêt public et était de mauvais goût. Pour ces raisons, elle demande le maintien de la décision du grief de la décision de première instance.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [8] : « Le Conseil constate que le journal La Presse a déployé peu d’efforts pour trouver une photo où le Dr Porter apparaît seul, ceci malgré la gravité des accusations portées contre lui et l’importance de n’impliquer personne d’autre. La plaignante a clairement fait la preuve qu’il existait des photos du Dr Porter seul. Pourtant, la même photo où apparaît Mme Hervieux-Payette s’est retrouvée publiée à quatre occasions différentes, sur une période de quatre mois, toujours pour accompagner des articles traitant des accusations portées contre le Dr Porter, et ce, malgré les cinq protestations verbales et écrites de la plaignante aux autorités de La Presse. Le Conseil note, au surplus, que La Presse n’a pas respecté l’engagement pris auprès de Mme Hervieux-Payette de ne plus utiliser cette photo. » Et au paragraphe [9] : « Le Conseil partage le point de vue de la plaignante, selon lequel l’utilisation de cette photo n’était pas pertinente et portait atteinte au droit à son image, puisqu’elle renvoyait à un événement qui n’était aucunement relié aux déboires du Dr Porter. En l’utilisant, qui plus est à quatre reprises, La Presse lie deux événements qui n’ont entre eux aucun lien, ce qui crée une confusion quant à l’information transmise au lecteur. De plus, le Conseil juge qu’il aurait été possible de recadrer la photo ou encore d’y brouiller les visages de Mme Hervieux-Payette et des deux autres personnes qui l’accompagnaient, comme il se fait régulièrement. Or, force est de constater que cela n’a pas été fait. Le Conseil retient le grief pour atteinte au droit à l’image. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a correctement appliqué le principe déontologique s’appliquant dans le présent cas : « Ils [les journalistes] doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. Tout manquement à cet égard est par ailleurs susceptible de causer un préjudice aux personnes ou aux groupes impliqués, lesquels ont droit à ce que leur image ne soit ni altérée ni utilisée de façon dégradante ou infamante. » (DERP, p. 30)
Grief 3 : refus de droit de réplique – De l’avis de l’appelant, une personne qui n’est pas visée directement par un article ou une photographie ne peut bénéficier d’un droit de réplique automatique dans un média, surtout quand la publication de ladite photographie était pleinement justifiée.
Selon l’intimée, l’argument avancé par l’appelant va à l’encontre du principe déontologique voulant qu’une personne directement ou indirectement visée par une fausse information ne puisse bénéficier d’un droit de réplique. Mme Hervieux-Payette rappelle qu’elle a été indirectement mise en cause par la publication de cette photographie. Pour cette raison, elle demande le maintien de la décision du grief de la décision de première instance.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [16] : « Le Conseil juge qu’étant donné les circonstances, le quotidien La Presse aurait, au minimum, dû publier une rectification concernant la photo ou, encore mieux, accorder un droit de réplique à la plaignante. Quant aux excuses publiques, le Conseil considère que la déontologie journalistique n’impose pas aux médias l’obligation de présenter des excuses, mais un devoir de rétraction, de rectification ou d’accorder un droit de réplique, comme dans le cas présent. Le Conseil retient donc le grief pour refus de droit de réplique. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a correctement appliqué le principe déontologique s’appliquant dans le présent cas : « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. » (DERP, p. 38)
Par ailleurs, l’appelant demande à ce que le nom de M. André Pratte soit retiré de la désignation des mis en cause, celui-ci n’étant pas responsable du choix des photographies; cette responsabilité incombant plutôt à M. Mario Girard. Dans ce dossier, M. Pratte s’est limité à recevoir un appel de Mme Hervieux-Payette.
Mme Hervieux-Payette mentionne que les différentes correspondances de M. André Pratte démontrent qu’il a été le répondant pour le média et qu’en aucun temps il ne l’a référé à M. Mario Girard. Mme Payette demande donc à ce que le nom de M. Pratte soit toujours inscrit dans la partie mise en cause en regard du dossier.
Les membres de la commission d’appel n’ont aucune objection à retirer le nom de M. André Pratte, dans la décision de première instance, dans la désignation des mis en cause et d’ajouter celui de M. Mario Girard, directeur de l’information, le responsable ultime du choix de la photographie contestée.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission sont finales. L’article 8.2 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentante du public :
Mme Hélène Deslauriers
Représentant des journalistes :
M. Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
M. Pierre Sormany