Plaignant
M. Jacques Bouchard Jr
Mis en cause
M. Graeme Hamilton, journaliste; M. Stephen Meurice, rédacteur en chef et le quotidien The National Post
Résumé de la plainte
M. Jacques Bouchard Jr dépose une plainte, le 15 avril 2013, contre M. Graeme Hamilton, journaliste au National Post, relativement à deux articles publiés les 24 et 25 octobre 2012 et intitulés « We wanted to be big » et « Accepted practice to forge signatures : lawyer ». M. Bouchard accuse le journaliste et le National Post d’avoir publié des informations inexactes, d’avoir fait preuve de mauvaise foi et de ne pas avoir publié son texte de réplique.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
M. Jacques Bouchard Jr, un avocat accusé et reconnu coupable d’infractions disciplinaires, reproche au journaliste, M. Hamilton, de ne pas avoir tenu compte des modifications apportées à la plainte originellement portée contre lui au comité de discipline du Barreau du Québec, alors que certaines infractions ont été ou abandonnées ou modifiées. Ainsi, M. Bouchard cite plusieurs affirmations qu’il considère inexactes.
Le Conseil analysera ces présumées inexactitudes, une à la fois.
« We wanted to be big »
M. Bouchard dénonce le titre de l’article du 24 octobre (« We wanted to be big »), puisque celui-ci laisse croire qu’il s’agit d’une déclaration qu’il aurait faite, ce qui n’est pas le cas, dit-il.
M. Hamilton répond que le titre ne cite jamais l’auteur de cette déclaration et qu’il explique plus loin dans l’article d’où vient cette phrase.
Le Conseil estime que le titre « We wanted to be big », précédé du titre « Former Quebec legal star pleads guilty to seven disciplinary infractions », peut effectivement laisser à penser au lecteur que la déclaration vient de M. Bouchard. Par contre, dans le titre, la déclaration n’est pas attribuée et le texte de l’article indique bien que c’est une ex-partenaire, Mme Odette Nadon, qui aurait fait ce commentaire. Selon le Conseil, il aurait été souhaitable de s’en tenir au premier titre, sans ajouter « We wanted to be big », pour éviter une possibilité de confusion chez le lecteur, mais aux yeux du Conseil, l’information n’est pas inexacte puisque M. Bouchard partageait également les propos de Mme Nadon.
« Embellishment »
Le plaignant nie avoir plaidé coupable à une accusation d’avoir « embelli » (embellishment) les curriculums vitae de certains de ses collègues dans le but de décrocher des contrats importants, comme le laisse supposer le journaliste. M. Bouchard explique qu’on lui a plutôt reproché de ne pas avoir vérifié le contenu des CV, qui aurait été modifié et embelli par un parajuriste travaillant avec lui.
M. Hamilton précise qu’il a parlé d’infractions commises par M. Bouchard, impliquant l’embellissement de CV (« disciplinary infractions involving the embellishment of colleagues’ c.v. »). Il dit n’avoir jamais spécifié que M. Bouchard avait modifié les CV lui-même et il ajoute avoir mentionné, dans l’article du 25 octobre, que les modifications avaient été faites par un parajuriste.
Le Conseil note que dans les deux articles de M. Hamilton, ce dernier utilise le mot « involving » dans le sens de « impliquant » pour parler des modifications apportées au CV de certains avocats, mais jamais le journaliste ne précise que le plaignant a lui-même falsifié les CV dans l’article du 25 octobre, M. Hamilton explique aussi que c’est un parajuriste qui a « embelli » les CV, sans que M. Bouchard ne le sache. De plus, le nationalpost.com a publié, le 25 octobre, une note à la fin de l’article s’excusant d’avoir donné l’impression que M. Jacques Bouchard avait lui-même enjolivé les CV de ses collègues. Le journaliste précise : « En fait, M. Bouchard a plaidé coupable au fait d’avoir endossé le contenu des CV sans en avoir fait la vérification ». Cette information avait déjà été livrée par le journaliste dans son article daté du même jour. Le Conseil considère donc que le journaliste a correctement rapporté les faits.
« Forge »
Le plaignant note qu’à plusieurs reprises, dans les deux articles, le mis en cause écrit qu’il aurait « falsifié » la signature de ses collègues au bas de CV et de soumissions pour la prestation de services professionnels. M. Bouchard nie cette information et ajoute que cette accusation a même été abandonnée dans la plainte amendée.
Le mis en cause explique qu’il a utilisé le mot « forge » (en français : falsifier) défini par le Canadian Oxford dictionary comme étant le fait d’« écrire ou signer un document pour donner l’impression qu’il est signé par quelqu’un d’autre ». M. Hamilton précise que M. Bouchard a reconnu, dans son plaidoyer de culpabilité, avoir signé des documents « sans l’autorisation de ses confrères et d’une manière laissant croire qu’il s’agissait de leur signature ». Ceci correspond, selon lui, à la définition de « forge » ou « forgery » du dictionnaire.
Le Conseil constate que si, dans la plainte originale portée contre M. Bouchard, il est accusé d’avoir imité la signature de certains de ses collègues, dans la plainte amendée, cette accusation devient : « en signant […] sans l’autorisation de [son collègue] et d’une manière laissant croire qu’il s’agissait de la signature de […] ». De l’aveu du plaignant voulant qu’il signait des documents au nom de ses collègues et sans leur consentement, le Conseil constate que dans sa décision, le Conseil de discipline du Barreau du Québec précise au paragraphe 99 : « Au surplus, au-delà du plaidoyer de culpabilité, le simple examen des documents permet de constater que la signature a délibérément été faite avec une calligraphie différente de celle de l’intimé et qu’au surplus, les signatures des avocats concernés par la plainte sont différentes les unes des autres. Le Conseil ne peut donc imaginer aucune autre raison d’agir de la sorte que le fait de vouloir induire en erreur le destinataire des documents quant au fait que chacun des avocats aurait effectivement signé lui-même son curriculum vitae. » Ainsi, le verbe « forge » utilisé par le journaliste M. Hamilton est, selon le Conseil, tout à fait justifié dans les circonstances, et n’est donc pas inexact.
« Indifference »
M. Bouchard s’offusque que le mis en cause écrive qu’un ingénieur et un avocat français ne s’étaient pas « formalisés de ce que le plaignant ait signé leur CV » (« whom took no issue with him signing a CV ») alors que dans les faits, ces mêmes personnes lui avaient expressément demandé de signer à leur place, ce qui est différent de simplement « ne pas se formaliser » de la chose.
M. Hamilton allègue qu’il ne s’agit là que d’une querelle quant au choix de mots.
En mentionnant que l’ingénieur et l’avocat français n’étaient pas incommodés (« took no issue ») à l’idée que M. Bouchard signe leur CV en leur nom, le Conseil n’y voit pas d’erreur. Le journaliste a choisi de ne pas spécifier que c’était à leur demande que le plaignant avait signé leurs noms. Par ailleurs, dans la phrase qui précède ce paragraphe, M. Hamilton explique qu’à certaines occasions, des avocats demandaient à M. Bouchard de signer à leur place, ce qui tend à démontrer que tous ne s’opposaient pas à cette façon de procéder. En conséquence, le Conseil n’y voit pas de faute.
Ainsi le grief pour informations inexactes est rejeté.
Grief 2 : partialité
Le plaignant accuse le journaliste d’avoir été partial en cherchant à établir des liens entre lui et M. Jean Chrétien de même que M. Ari Ben-Menashe, un lobbyiste au lourd passé juridique. M. Bouchard rappelle que ce sont des événements sans liens avec le présent dossier.
M. Hamilton répond que les allusions à MM. Ben-Menashe et Chrétien sont loin d’être gratuites et servent à mettre la carrière de M. Bouchard en contexte.
Dans son guide de déontologie, le Conseil mentionne que « Le journalisme d’information a pour but de renseigner le public sur les faits, les événements, les phénomènes qui ont cours dans la société et dans le monde en général, ainsi que sur toute question d’intérêt public. L’information factuelle rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte, afin de permettre aux citoyens de mieux connaître la société et le monde dans lequel ils vivent, de porter des jugements éclairés sur l’actualité et sur les questions d’intérêt public. Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. » (DERP, p. 14)
Le Conseil considère que le mis en cause a respecté les règles journalistiques en mettant en contexte la carrière de M. Bouchard et que ces informations apportent des renseignements supplémentaires qui étaient d’intérêt public. Le Conseil rejette le grief pour partialité.
Grief 3 : refus de droit de réplique
Le plaignant dit avoir envoyé au journal un texte expliquant sa position et sa version des faits. Or le National Post n’a jamais publié cette réplique.
M. Hamilton répond que le National Post a invité M. Bouchard à écrire une lettre dans le journal, mais que ce dernier a refusé.
Le guide des Droits et responsabilités de la presse rappelle que « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause. » (DERP, p. 38)
Le Conseil estime que compte tenu du refus du plaignant d’exercer le droit de réplique que le National Post lui a offert, le Conseil considère que le mis en cause a respecté ses obligations. Le grief pour refus de droit de réplique est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Jacques Bouchard Jr contre M. Graeme Hamilton, journaliste et le National Post pour les griefs d’informations inexactes, de partialité et de refus de droit de réplique.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C16E Mention non pertinente
- C19A Absence/refus de rectification