Plaignant
M. Bernard Desgagné
Mis en cause
M. Pierre Champoux, directeur de l’information et le site Internet de la Société Radio-Canada
Résumé de la plainte
M. Bernard Desgagné dépose une plainte le 16 août 2013 contre le site Internet de la Société Radio-Canada, concernant un article publié le 19 février 2013, sous le titre « L’ex-président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo devant la CPI ». Le plaignant y dénonce deux inexactitudes.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Le plaignant dénonce une inexactitude dans l’article intitulé « L’ex-président de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo devant la CPI ». M. Desgagné affirme qu’il est faux de prétendre, comme on pouvait le lire dans l’article, que « Les faits reprochés à Laurent Gbagbo, 67 ans, auraient été commis après les élections présidentielles de novembre 2010, à la suite de la victoire de son adversaire Alassane Ouattara. » Selon le plaignant, c’est Alassane Ouattara qui aurait perdu l’élection et refusé d’accepter le résultat proclamé par le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire.
La SRC a admis qu’il manquait une information dans l’article et a en conséquence apporté une correction au texte initial, qui se lit dorénavant comme suit : « Les faits reprochés à Laurent Gbagbo, 67 ans, auraient été commis après les élections présidentielles de novembre 2010, à la suite de la proclamation de la victoire de son adversaire Alassane Ouattara par une mission de l’ONU. »
Malgré la correction effectuée par la SRC, le plaignant maintient que l’article demeure inexact et que c’est Laurent Gbagbo qui a remporté l’élection présidentielle de novembre 2010. En effet, selon lui, la seule autorité habilitée à proclamer le vainqueur de l’élection, le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire, l’a déclaré gagnant.
Avant de se prononcer sur cette question, il importe ici, pour bien évaluer la correction effectuée par la SRC, de rappeler sommairement la chronologie des événements. À l’automne 2010, des élections présidentielles sont déclenchées en Côté d’Ivoire. Au deuxième tour de l’élection, deux candidats sont toujours en lice, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. De prime abord, l’organisme chargé de procéder au dépouillement du vote, la Commission électorale indépendante, donne Alassane Ouattara gagnant à 54,1 % contre Laurent Gbagbo à 45,9 %. Ce résultat est cependant contesté, de nombreuses irrégularités ayant été constatées. C’est ainsi que l’organisme chargé de vérifier la conformité du processus électoral, le Conseil constitutionnel, procède à une analyse de la situation et juge qu’il y a effectivement eu de nombreux cas d’irrégularités. Or, plutôt que d’annuler l’élection et d’ordonner un retour aux urnes, comme le prévoyait la Constitution ivoirienne, le Conseil constitutionnel choisit d’annuler 600 000 votes jugés irréguliers, tout en considérant les autres votes valables. Ce n’est qu’à la suite de cette annulation massive que le Conseil proclame un nouveau vainqueur : Laurent Gbagbo récoltant 51,4 % des voix, contre 48,5 % pour son rival, Alassane Ouattara. M. Ouattara et ses partisans contestent la validité de cette décision du Conseil constitutionnel, la jugeant ultra vires. Une guerre civile éclate alors en Côte d’Ivoire, sur fond d’instabilité politique et de problèmes économiques. Face à ces déchirements, les pressions internationales s’intensifient et l’ONU proclame finalement la victoire de M. Ouattara. Ce dernier prend effectivement le pouvoir et le gouvernement procèdera à l’arrestation de M. Laurent Gbagbo en avril 2011.
Le Conseil constate que la SRC a commis une inexactitude dans la version initiale de l’article, où il est affirmé, sans davantage de précisions que M. Ouattara avait gagné les élections. De l’avis du Conseil, la complexité d’événements aussi controversés appelle davantage de nuances, même sommaires. En effet, la formulation initiale pouvait laisser entendre que la victoire de Ouattara avait été acquise selon un processus électoral régulier et conforme au cadre légal et constitutionnel, ce qui n’est manifestement pas le cas. Sans avoir à rappeler, dans le menu détail, chacun des rebondissements entourant la prise du pouvoir par M. Ouattara, le Conseil estime que certaines précisions auraient dû être faites. Il était ainsi essentiel de rappeler que sa victoire avait été proclamée par l’ONU et la communauté internationale. En conséquence, le grief pour informations inexactes est retenu sur ce point.
Cela dit, le Conseil considère que la correction apportée par la SRC est satisfaisante, et vient réparer l’erreur initialement commise, contrairement à ce que prétend le plaignant.
Le plaignant soulève une deuxième inexactitude dans la phrase suivante : « Au pouvoir depuis 10 ans, Laurent Gbagbo a refusé de quitter la présidence après les élections, ce qui a plongé la Côte-d’Ivoire (sic) dans une grave crise politique. Plus de 3000 personnes sont mortes lors des affrontements entre les clans rivaux. De nombreux crimes, dont des massacres, des persécutions, des meurtres et des viols, ont été attribués au régime de Laurent Gbagbo pendant cette période. » Selon M. Desgagné, le bain de sang postélectoral aurait plutôt été causé par le refus de M. Ouattara et de ses alliés étrangers de respecter la Constitution, les lois et les institutions de la Côte d’Ivoire, de sorte que les « massacres, persécutions, meurtres et viols » doivent être attribués aux putschistes, et non à ceux qui ont respecté le verdict électoral et les lois. Le plaignant ajoute qu’il existe de nombreuses photos, vidéos et autres preuves matérielles démontrant la responsabilité de M. Ouattara et de ses alliés dans de nombreux massacres.
La SRC n’a soumis aucune réplique sur ce point.
De l’avis du Conseil, il est exact d’affirmer que de nombreux crimes ont été attribués au régime de Laurent Gbagbo pendant cette période. Plusieurs rapports provenant d’organismes crédibles, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, font état de ces crimes. Le Conseil note également que l’article prend bien soin de spécifier que ce sont les « affrontements entre les clans rivaux » qui se sont soldés par la mort de plus de 3000 personnes; et donc que la responsabilité pour ces décès ne peut être attribuée au seul camp de Gbagbo. Finalement, le Conseil juge que Radio-Canada a pris des précautions raisonnables dans les circonstances en écrivant que les crimes dont M. Gbagbo était alors accusé devant la Cour pénale internationale ne lui étaient pour l’instant qu’« attribués » par certains, ce qui est rigoureusement vrai, sachant qu’il faisait face à des accusations formelles. Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point.
En conséquence, le grief pour informations inexactes est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Bernard Desgagné contre le site Internet de la Société Radio-Canada pour le grief d’informations inexactes. Cependant, le Conseil tient à souligner que la correction apportée par la SRC est satisfaisante, et vient réparer l’erreur initialement commise.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger, présidente du comité des plaintes
M. Adélard Guillemette
Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
M. Gilber Paquette
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
Date de l’appel
19 June 2014
Appelant
M. Bernard Desgagné
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à un grief :
Grief 1 : informations inexactes
Grief 1 : informations inexactes – Au premier point reproché, M. Bernard Desgagné maintient que c’est Alassane Ouattara qui aurait perdu l’élection, en Côte d’Ivoire, et qui aurait refusé d’accepter le résultat proclamé par le Conseil constitutionnel de la Côte d’Ivoire. De l’avis de l’appelant, les membres du comité n’ont pas tenu compte des éléments de preuve (décision du Conseil constitutionnel, échantillons de procès-verbaux, vidéo) qu’il avait soumis en démonstration à son affirmation. M. Desgagné soutient que le Conseil constitutionnel – la plus haute autorité judiciaire du pays – est la seule à pouvoir déclarer le vainqueur d’une élection, et que dans le présent cas, le Conseil constitutionnel avait déclaré M. Gbagbo gagnant.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [6] : « Le Conseil constate que la SRC a commis une inexactitude dans la version initiale de l’article, où il est affirmé, sans davantage de précisions que M. Ouattara avait gagné les élections. De l’avis du Conseil, la complexité d’événements aussi controversés appelle davantage de nuances, même sommaires. En effet, la formulation initiale pouvait laisser entendre que la victoire de Ouattara avait été acquise selon un processus électoral régulier et conforme au cadre légal et constitutionnel, ce qui n’est manifestement pas le cas. Sans avoir à rappeler, dans le menu détail, chacun des rebondissements entourant la prise du pouvoir par M. Ouattara, le Conseil estime que certaines précisions auraient dû être faites. Il était ainsi essentiel de rappeler que sa victoire avait été proclamée par l’ONU et la communauté internationale. En conséquence, le grief pour informations inexactes est retenu sur ce point. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique de l’information inexacte.
Au deuxième point reproché par l’appelant, ce dernier maintient que bien qu’il ne contestait pas le fait que certaines personnes aient pu attribuer des crimes à Laurent Gbagbo, il est malhonnête de citer ces personnes en prétendant qu’elles sont crédibles, alors que les preuves réelles sont absentes pour imputer des morts à M. Gbagbo, mais qu’elles sont très nombreuses pour imputer des morts à M. Ouattara.
Les membres du comité des plaintes concluaient au paragraphe [10] : « De l’avis du Conseil, il est exact d’affirmer que de nombreux crimes ont été attribués au régime de Laurent Gbagbo pendant cette période. Plusieurs rapports provenant d’organismes crédibles, notamment Amnesty International et Human Rights Watch, font état de ces crimes. Le Conseil note également que l’article prend bien soin de spécifier que ce sont les « affrontements entre les clans rivaux » qui se sont soldés par la mort de plus de 3000 personnes; et donc que la responsabilité pour ces décès ne peut être attribuée au seul camp de Gbagbo. Finalement, le Conseil juge que Radio-Canada a pris des précautions raisonnables dans les circonstances en écrivant que les crimes dont M. Gbagbo était alors accusé devant la Cour pénale internationale ne lui étaient pour l’instant qu’« attribués » par certains, ce qui est rigoureusement vrai, sachant qu’il faisait face à des accusations formelles. Le grief d’informations inexactes est rejeté sur ce point. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique de l’information inexacte.
RÉPLIQUE DES INTIMÉS
Les intimés ont signalé au Conseil de presse qu’ils n’avaient par l’intention de se prévaloir de leur droit de réplique.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Hélène Deslauriers
M. Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
M. Daniel Renaud
Représentant des entreprises de presse :
M. Denis Bélisle