Plaignant
M. Richard Bénard
Mis en cause
M. Jean-Louis Fortin, journaliste; M. Dany Doucet, rédacteur en chef et Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
M. Richard Bénard dépose une plainte contre Jean-Louis Fortin, journaliste au Journal de Montréal, le 16 septembre 2013, au sujet de deux articles, respectivement intitulés « Saint-Donat : où est passé l’argent? » et « Saint-Donat publie un 2e état financier », publiés les 7 et 10 septembre 2013. M. Bénard reproche à M. Fortin des inexactitudes, un manque d’équilibre, qu’aucune rétractation n’ait été apportée et une atteinte à sa réputation.
Analyse
Grief 1 : inexactitudes
- Article du 7 septembre 2013 – « Saint-Donat : où est passé l’argent? »
Le texte portait sur les inquiétudes d’élus de la municipalité entourant la gestion des recettes du « Tournoi de golf » du maire. M. Bénard, maire de Saint-Donat au moment du dépôt de sa plainte, relève une première inexactitude, visant le passage suivant : « Selon les documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, le relevé montre un cumulatif de près de 75 000 $ en 2011. » M. Bénard affirme qu’« en aucun moment » un tel montant n’apparaît au cumulatif. Il regrette que M. Fortin ait publié son article « même après avoir été dûment informé qu’il ne comprenait pas bien les chiffres » et note qu’un porte-parole de son bureau s’était engagé à lui transmettre des détails additionnels afin de répondre à ses interrogations.
Lors d’un entretien téléphonique avec le Conseil de presse, M. Fortin explique que la seule explication fournie par la municipalité se limitait à un courriel reçu d’Anouk Poitras-Guilbault, adjointe administrative à la direction générale et au cabinet du maire, qu’il a résumé ainsi dans son article : « Une porte-parole au bureau du maire nous a expliqué que le montant de 75 000 $ inscrit dans les états financiers fournis par la municipalité ne reflétait pas la réalité puisque le solde accumulé était ajouté au montant reporté à chaque début d’année. Mais hier en fin de journée, il était toujours impossible de savoir quelle somme se trouvait vraiment dans le compte en 2011. »
Dans sa réplique, M. Fortin a détaillé les démarches qu’il a entreprises entre les 3 et 6 septembre et a fourni les courriels échangés avec Anouk Poitras-Guilbault. On y apprend notamment qu’il avait informé cette dernière de sa date de tombée, soit le 6 septembre en après-midi. Le journaliste estime avoir fait les vérifications nécessaires et avoir « laissé amplement le temps à la municipalité et au maire pour nous livrer l’information qu’ils jugeaient nécessaire dans ce dossier ».
M. Fortin a expliqué au Conseil que les échanges avec la municipalité étaient « laborieux ». Il illustre ce fait par un courriel reçu de Mme Poitras-Guilbault, envoyé le 4 septembre, lui indiquant que ses questions seraient traitées en vertu de la Loi sur l’accès aux documents. « Je ne demandais pourtant aucun document, mais bien une simple conversation téléphonique avec le maire ou la direction générale, écrit M. Fortin dans sa réplique. Mes démarches avaient-elles été prises au sérieux? » À cela s’ajoutait l’impossibilité d’obtenir une entrevue téléphonique avec le maire avant la publication, puisque ce dernier souhaitait le rencontrer en personne, à Saint-Donat. Pour toutes ces raisons et dans un contexte où les questions soulevées dans l’article avaient déjà été soulevées à plusieurs reprises lors de séances publiques du conseil municipal, la décision a été prise de publier le texte sans plus attendre.
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil de presse note que : « Les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (DERP, p. 26)
Le Conseil estime que les montants apparaissant sous la colonne « cumulatif » pouvaient raisonnablement être interprétés comme la somme accumulée au poste budgétaire du Tournoi du maire au fil des ans. Si l’explication fournie par Mme Poitras-Guilbault est de nature à semer le doute sur l’interprétation des données par le journaliste, elle ne donne d’aucune façon une indication quant au véritable solde à ce poste.
Le journaliste se demande si ses démarches auprès de la municipalité pour obtenir réponse à ses questions ont été prises au sérieux. Le Conseil se pose la même question. Les courriels de la porte-parole de la municipalité dénotent un manque de collaboration et n’aident pas le journaliste dans sa compréhension des données. La municipalité était pourtant à même de constater l’interprétation jugée fautive de M. Fortin dès le 4 septembre, lorsqu’il a envoyé ses questions par courriel. L’impression de manque de bonne volonté s’aggrave du fait que les tableaux explicatifs promis par la porte-parole du maire pour la fin septembre ont pu finalement être produits rapidement, dès le lendemain de la parution de l’article.
Par-dessus tout, le Conseil note que les fonds accumulés au poste du Tournoi du maire avaient déjà fait l’objet, à plusieurs reprises, d’inquiétudes formulées publiquement aux séances du conseil municipal. Cela motivait la publication de données à ce sujet, et le choix du moment de publication relevait de la discrétion rédactionnelle des mis en cause, comme le souligne le guide de déontologie du Conseil de presse.
Dans ces circonstances, le Conseil estime qu’il était fondé de publier l’information relative au solde cumulatif de 73 388,89 $, tout en mentionnant l’explication de Mme Poitras-Guilbault. Le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
Le plaignant relève une seconde inexactitude dans l’article du 7 septembre, dans le passage suivant : « Cette année-là, la municipalité a transféré les fonds dans un compte indépendant. […] Or, à peine plus de 15 000 $ ont été versés dans ce compte privé lorsque le transfert a été effectué ». L’information est reprise dans les faits saillants en haut de page, où on précise le montant de 15 089,69 $. Selon M. Bénard, « en aucun moment, il n’y a eu un transfert d’une somme de 15 089,69 $ par la municipalité de Saint-Donat dans un compte privé » et le journaliste aurait dû faire les vérifications requises avant de publier cette information.
Le plaignant fournit l’explication suivante : « Je ne peux que soupçonner que les relevés bancaires en possession du Bureau d’enquête [du Journal de Montréal] démontrant un transfert d’une somme de 15 089,69 $ dans un compte privé le 12 septembre 2011 font référence à un transfert qui a eu lieu entre deux comptes privés. » Ces deux comptes ne sont nullement reliés à la municipalité de Saint-Donat, assure-t-il.
Il note par ailleurs que la seule lecture du livre comptable obtenu par M. Fortin aurait dû permettre à celui-ci de voir qu’un solde positif demeurait au poste budgétaire du Tournoi du maire et qu’aucun transfert n’avait été effectué dans un compte privé.
Dans sa réplique, M. Fortin affirme : « La prétention selon laquelle il n’y a eu aucun transfert en provenance de la Ville dans le compte privé ne m’avait pas été communiquée avant la publication de l’article du 7 septembre ». En entretien téléphonique, M. Fortin a affirmé avoir en sa possession des relevés bancaires prouvant un transfert dans un compte privé.
À la lumière de la chronologie fournie par M. Fortin, des échanges de courriels avec Mme Poitras-Guilbault et malgré les demandes d’explication du journaliste, le Conseil constate que M. Fortin n’avait pas, avant la publication, eu accès à la version des faits de M. Bénard. Étant donné les informations dont disposait le journaliste à ce moment, la mention du transfert était justifiée. Le grief pour inexactitude est rejeté sur ce point.
Le plaignant relève une troisième inexactitude dans l’article du 7 septembre, dans le passage suivant : « La municipalité affirme que les 73 388,89 $ inscrits dans les états financiers qu’elle nous a fournis ne correspondent pas à la réalité, mais elle n’est pas en mesure de nous dire quelle était réellement la somme accumulée en 2011. » M. Bénard avance que la municipalité n’a jamais fait cette affirmation.
Le journaliste réplique que ce passage résume ce que la porte-parole du maire, Mme Poitras-Guilbault, lui a répondu.
Le courriel de Mme Poitras-Guilbault, envoyé le 6 septembre à 15 h 59, se lit comme suit : « […] nous avons demandé à notre Service de trésorerie de produire de nouveaux tableaux afin que nous puissions bien répondre à vos nouvelles questions et vous exposer le solde final ayant été transféré dans un nouveau compte privé. De cette façon, vous comprendrez qu’il est impossible que le montant transféré était de 75 000 $, tel que vous le mentionnez, car cette somme constitue l’addition de tous les soldes de fin d’année en plus des sommes reportées. »
Le Conseil estime qu’à la lecture de ce courriel, il était légitime de comprendre que la municipalité n’était pas en mesure de dire quelle était la somme réellement accumulée en 2011. Le passage visé par le plaignant est donc fidèle au contenu du courriel.Le grief pour inexactitude est rejeté sur ce point.
- Article du 10 septembre 2013 – « Saint-Donat publie un 2e état financier »
M. Bénard relève une première inexactitude, liée au titre de l’article : « Saint-Donat publie un 2e état financier ». Ce titre induirait le lecteur en erreur, puisque « la municipalité de Saint-Donat n’a en aucun moment procédé à un tel exercice ». Les documents publiés le 8 septembre sont tout simplement des tableaux « récapitulatifs et explicatifs », précise-t-il.
Vérification faite par le Conseil, les tableaux reprennent les mêmes revenus et dépenses qui figurent au livre comptable obtenu par le journaliste. Mais le cumulatif qui portait à confusion n’y apparaît plus et on y présente les soldes de chaque fin d’année. Bien que le plaignant affirme que ces tableaux ne sont que « récapitulatifs » et « explicatifs », ils fournissent un éclairage suffisamment différent aux états financiers pour qu’il soit fondé de dire qu’il s’agit d’« un 2e état financier ». Le grief pour inexactitude n’est pas retenu sur ce point.
Le plaignant relève une seconde inexactitude dans l’article du 10 septembre. M. Bénard réfute le passage suivant : « Des relevés bancaires en possession de notre Bureau d’enquête montrent un « transfert » de 15 089,69 $ dans un compte privé au nom de « « Richard Bénard, Tournoi du maire », le 12 septembre 2011 ». Il déplore que le journaliste reprenne cette affirmation déjà faite dans l’article du 7 septembre, alors qu’il la juge fautive.
M. Bénard souligne que le communiqué publié par la municipalité le 8 septembre mentionnait que « ces données [contenues dans les tableaux] confirment qu’aucune somme n’a été transférée à une entité privée ».
Le journaliste note qu’à la suite de la publication du communiqué, il a écrit, dans l’article du 10 septembre : « Dans un communiqué, la direction générale de Saint-Donat affirme aussi « qu’aucune somme n’a été transférée à une entité privée, tel qu’allégué dans l’article en question » ».
Le Conseil constate que le journaliste a repris l’information du communiqué mot pour mot. Il reprend par ailleurs l’information découlant des relevés bancaires en sa possession, laquelle n’est pas abordée dans le communiqué. Le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
Le plaignant relève une troisième inexactitude dans l’article du 10 septembre : « depuis le début de la semaine dernière, la municipalité a refusé de donner des éclaircissements à ce sujet. Ce n’est que quelques heures avant la publication du reportage de samedi, qu’on nous a laissé savoir que le maire ne souhaitait pas nous parler au téléphone, mais seulement en personne ». Ces informations sont fausses, écrit M. Bénard.
Le passage visé par le plaignant, « la municipalité a refusé de donner des éclaircissements à ce sujet », se rapporte aux relevés bancaires en possession du journaliste. Le communiqué du 8 septembre ne fournit aucune information au sujet des relevés bancaires. Les courriels de l’adjointe du maire ne fournissent pas plus d’éclaircissement à ce sujet, malgré les questions du journaliste. Enfin, la chronologie de ses démarches et les échanges de courriels avec la municipalité montrent que ses demandes d’entrevue téléphonique avec le maire n’ont pas été exaucées. Ces éléments amènent à conclure que la municipalité a refusé de donner des éclaircissements à ce sujet. Le grief pour inexactitude est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’inexactitudes est rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre
Le plaignant déplore que le journaliste ait « décliné mon invitation à venir me rencontrer du revers de la main ».
M. Fortin affirme avoir sollicité une entrevue avec le maire dès le 3 septembre et jusqu’à quelques heures avant de mettre sous presse. La chronologie détaillée de ses démarches et les courriels échangés avec l’adjointe du maire, Anouk Poitras-Guilbault, corroborent ce fait.
Le Conseil souligne, dans son guide de déontologie : « Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition ». (DERP, p. 26)
De l’avis du Conseil, les échanges de courriels fournis par M. Fortin montrent qu’il a insisté pour obtenir une entrevue téléphonique avec le maire et obtenir sa version des faits, sans avoir à entreprendre un déplacement d’une heure et demie. Une demande que le Conseil juge raisonnable.
Le grief pour manque d’équilibre est rejeté.
Grief 3 : absence de rétractation
M. Bénard déplore que le texte du 10 septembre ne constitue pas une rétractation, tel qu’il l’avait exigé par une mise en demeure envoyée au journaliste le 9 septembre 2013.
Dans son guide de déontologie, le Conseil de presse mentionne : « Il relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productionsjournalistiques. » (DERP, p. 46)
La rétractation demandée est en lien avec les informations publiées par le journaliste dans l’article du 7 septembre, reprises dans l’article du 10 septembre. Comme le grief d’inexactitudes concernant ces informations n’a pas été retenu, le Conseil juge qu’il n’y avait pas lieu, pour le Journal de Montréal, de publier une rétractation.
Le grief pour absence de rétractation est rejeté.
Grief 4 : atteinte à la réputation
M. Bénard affirme que « les agissements de M. Fortin sont empreints de mauvaise foi, avec l’intention claire de nuire à l’administration actuelle de la municipalité de Saint-Donat et notamment à ma personne, et ce, particulièrement à l’approche des élections municipales ».
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Richard Bénard contre le journaliste Jean-Louis Fortin et le Journal de Montréal pour les griefs d’inexactitudes, de manque d’équilibre et d’absence de rétractation.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Audrey Murray
Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
M. Vincent Larouche
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. David Johnston
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C17A Diffamation
- C19A Absence/refus de rectification