Plaignant
MM. Michel Lincourt et Michel Pion
Mis en cause
Mme Lysiane Gagnon, chroniqueuse, M. André Pratte, éditorialiste, M. Yves Boisvert, chroniqueur, M. Alexandre Pratt, directeur de l’information, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca
Résumé de la plainte
À la fin de l’été 2013, le débat sur le projet de Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que l’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement (la « Charte ») a donné lieu à une importante couverture journalistique. MM. Michel Lincourt et Michel Pion ont déposé une série de griefs concernant des articles, des chroniques et des contributions du public publiés dans La Presse et sur le site Internet lapresse.ca entre le 21 août 2013 et le 18 septembre 2013.
Après une étude minutieuse à l’étape de la recevabilité, le Conseil de presse accepte d’étudier la requête des plaignants en regard des quatre principes déontologiques suivants : déséquilibre des pages « Débats », informations inexactes, refus de droit de réplique et photo inappropriée.
Ainsi, le Conseil reçoit la plainte déposée le 19 septembre 2013 par MM. Michel Lincourt et Michel Pion sur les éléments mettant en cause le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca. Le Conseil a analysé les textes de la section « Débats » publiés entre le 21 août 2013 et le 18 septembre 2013, un éditorial de M. André Pratte intitulé « La Charte de la honte » publié le 12 septembre 2013, une chronique de M. Yves Boisvert intitulée « On n’est pas venu pour repartir », parue le 7 septembre 2013, une chronique de Mme Lysiane Gagnon intitulée « Laïcité : une idée importée », publiée le 3 septembre 2013, ainsi qu’une photographie accompagnant une lettre d’un lecteur intitulée « Intolérance et exclusion », publiée le 12 septembre 2013.
Analyse
Grief 1 : déséquilibre des pages « Débats »
Les plaignants déplorent un déséquilibre d’opinions exprimées dans les pages « Débats » publiées entre le 21 août 2013 et le 18 septembre 2013 par La Presse. De l’avis des plaignants, ces opinions, parfois exprimées par des « protagonistes choisis » par la direction elle-même, seraient toutes du même avis, c’est-à-dire opposées au projet de Charte. Notant qu’un débat est la mise en opposition de positions contradictoires, les plaignants considèrent ces pages comme « une vaste escroquerie intellectuelle » et qu’elles ne devraient pas être qualifiées de « Débats ».
Les plaignants soutiennent que les débats sur le site Internet lapresse.ca souffrent du même problème de déséquilibre et présentent uniquement les positions de cinq personnes opposées au projet de Charte. Il s’agit selon eux de « faux débats ».
Me Patrick Bourbeau du bureau des affaires juridiques de La Presse, rappelle que selon le guide de déontologie du Conseil de presse du Québec, Les Droits et responsabilités de la presse (DERP) et selon la jurisprudence de l’organisme, il relève de la discrétion des salles de rédaction de déterminer l’espace consacré aux informations traitées et le moment de leur publication. Il ajoute que le DERP précise « que nul n’a accès de plein droit aux pages d’un journal ». Me Bourbeau explique que le choix des lettres publiées dans la section « Débats », autant dans La Presse comme telle que sur le site Internet lapresse.ca, se fait selon « un principe de proportionnalité » visant à refléter le nombre de lettres reçues « exprimant chacune des opinions sur une question donnée ». Il assure que ce principe a été respecté pour les lettres traitant de la Charte. Il rappelle que le débat s’est étiré sur plusieurs mois et que des lettres en faveur de la Charte ont été publiées dans cette section, à d’autres dates.
En ce qui concerne les collaborateurs réguliers, Me Bourbeau soutient qu’ils ne sont pas choisis en fonction de leurs opinions, mais pour la profondeur de leurs réflexions et « la qualité du regard qu’ils posent sur notre société ». Il précise que l’équipe éditoriale de La Presse n’intervient pas dans le contenu de ces textes.
Dans son guide de déontologie, le Conseil mentionne : « Les médias et les professionnels de l’information doivent encourager la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue, soit en publiant les lettres des lecteurs, des documents, des communiqués, des opinions, des études, des sondages et des analyses […]» De plus, « Ils [les médias] peuvent refuser de publier certaines lettres, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris, une inimitié ou encore par le désir de taire une information d’intérêt public qui serait contraire au point de vue éditorial ou nuirait à certains intérêts particuliers. » (pp. 37-38)
Après analyse des contributions du public parues dans la section « Débats » de la version papier et celles parues sur le site Internet durant la période visée par les plaignants, le Conseil constate qu’on y retrouve une variété de points de vue. Au total, 25 % des lettres publiées dans la version papier du quotidien plaidaient en faveur de la Charte. Dans le cas des opinions provenant des lecteurs publiées sur le site Internet, notre analyse n’est pas exhaustive, mais on y retrouve également une variété de points de vue. Le média a donc rempli son mandat de favoriser la circulation des idées et de présenter une variété suffisante de points de vue. Par ailleurs, les plaignants n’ont pas fait la démonstration que La Presse et lapresse.ca n’ont pas respecté le principe énoncé au paragraphe [8] qui interdit d’écarter des lettres d’opinions pour des raisons idéologiques.
Quant au choix des collaborateurs réguliers de la section « Débats », le Conseil estime que cela relève de la liberté rédactionnelle du quotidien, qui avait toute la liberté de constituer un groupe de personnes afin qu’elles participent également au débat.
Le grief de déséquilibre des pages « Débats » est rejeté.
Grief 2 : information inexacte
Les plaignants estiment que M. André Pratte a publié une information inexacte en écrivant, dans son éditorial du 12 septembre 2013 : « Il [l’application de la Charte] s’agit incontestablement d’une violation de la liberté de religion qui, en droit international comme en droit canadien et québécois, comporte la liberté de manifester sa foi en public. » Pour les plaignants, M. Pratte commet une inexactitude en présentant son point de vue comme une réalité incontestable ignorant le fait que les juristes québécois ont des opinions divergentes sur la question et que certains pays ont interdit le port de signes religieux ostentatoires sans que cela ne soit jugée par la Cour européenne des droits de l’homme comme une violation de la liberté de religion. Les plaignants considèrent également que l’éditorialiste confond espace public et espace institutionnel. Pour eux, « L’interdiction du port de signes religieux ostentatoires proposée par le gouvernement québécois ne touche pas les citoyens dans l’espace public, il touche uniquement les agents de l’État, uniquement sur leur lieu de travail […] uniquement durant les heures de travail, et uniquement si le signe porté est ostentatoire. »
Me Bourbeau rétorque que la Cour européenne des droits de l’homme ne se fonde pas sur le droit international pour rendre ses décisions « et encore moins sur le droit canadien et québécois ». Il souligne également que dans un mémoire présenté dans le cadre de l’examen du projet de Loi 60 créant la Charte, le Barreau du Québec estime que certains éléments de la Charte « seraient difficilement conciliables avec certaines libertés fondamentales protégées par la Charte québécoise et la Charte canadienne. » Et il fait valoir qu’un lieu de travail « a fortiori un lieu de travail relevant de l’État, constitue un “espace public”. »
Si le DERP exige des journalistes d’opinion de rapporter fidèlement les faits, il leur offre cependant « une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue ». (p. 17)
Considérant que la très forte majorité des experts en la matière estime que le projet de Charte des valeurs aurait impliqué une atteinte à la liberté de religion pour plusieurs employés de l’État travaillant dans un espace public et que le débat portait plutôt sur la constitutionnalité d’imposer une telle restriction, le Conseil considère que la phrase contestée de M. Pratte ne comportait aucune faute d’inexactitude. De plus, le Conseil estime que les affirmations de l’éditorialiste peuvent être perçues non pas dans un registre descriptif, mais plutôt dans une démarche nettement rhétorique visant à convaincre ses lecteurs de sa certitude et de sa profonde conviction que la Charte aurait violé la liberté religieuse. Ainsi, l’utilisation du mot «incontestablement » ne pouvait constituer une inexactitude puisqu’il s’inscrivait davantage dans l’expression d’une opinion et non d’un fait.
Pour toutes ces raisons, le grief pour information inexacte est rejeté.
Grief 3 : refus de droit de réplique
Les plaignants dénoncent le fait qu’à deux occasions, La Presse ait refusé un droit de réplique à des lecteurs sur le projet de la Charte.
En premier lieu, les plaignants déplorent que le quotidien n’ait pas publié une mise au point signée par M. Lincourt et adressée au chroniqueur Yves Boisvert, à la suite de sa chronique « On n’est pas venu pour repartir », parue le 7 septembre 2013. Selon eux, « le code de déontologie prescrit le contraire ».
Dans sa réplique, Me Bourbeau fait valoir que le quotidien ne peut publier toutes les lettres qu’il reçoit. Il précise que La Presse accorde en priorité un droit de réplique aux personnes directement mises en cause par un texte.
Le DERP indique que « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause.» (p. 38)
À la lecture de cette chronique, le Conseil constate que M. Lincourt n’était nullement mis en cause par le texte de M. Boisvert. Le Conseil estime donc que La Presse n’avait pas l’obligation déontologique de publier le texte de M. Lincourt.
Le grief est rejeté sur ce premier point.
En second lieu, les plaignants déplorent qu’on n’ait pas publié la mise au point de M. Daniel Baril, dont l’engagement au sein du Mouvement laïque québécois est mentionné dans une chronique de Mme Lysiane Gagnon, intitulée « Laïcité : une idée importée » et publiée le 3 septembre 2013. Ils estiment que cette chronique véhicule une fausseté sur le Mouvement laïque québécois. Dans sa lettre, M. Baril soulignait qu’il œuvre au sein du Mouvement laïque depuis 32 ans et non 40, comme l’écrit Mme Gagnon.
Me Bourbeau rappelle que le DERP mentionne que les médias peuvent déterminer l’espace qu’ils accordent à la publication des informations retenues et personne ne peut dicter ce qui doit être publié. À propos du passage concernant M. Baril, il note qu’il s’agissait de deux phrases. Il fait valoir que la référence à l’engagement de M. Baril était une figure de style pour illustrer que celui-ci est à la tête de cette organisation depuis plusieurs années. « Même si certains lecteurs ont pu prendre cette affirmation au pied de la lettre, elle ne porte pas à conséquence puisqu’elle ne change en rien le fait que M. Baril est bel et bien impliqué dans ce mouvement depuis de très nombreuses années », soutient Me Bourbeau.
À la lecture de la chronique de Mme Gagnon, le Conseil constate que l’argumentation de la chroniqueuse visait à démontrer que le Mouvement laïque québécois s’est peu renouvelé au fil des ans. Le chiffre avancé par Mme Gagnon sert de repère temporel, il offre un ordre de grandeur. Aux yeux du Conseil, il s’agissait davantage d’une imprécision que d’une inexactitude. Ainsi, le quotidien n’avait donc pas l’obligation d’offrir un droit de réplique à M. Baril.
Le grief est rejeté sur ce deuxième point.
Au vu de ce qui précède, le grief pour refus de droit de réplique est rejeté.
Grief 4 : photo inappropriée
Les plaignants estiment que la photo accompagnant le texte intitulé « Intolérance et exclusion », parue le 12 septembre 2013, était inappropriée. Cette photo présente deux femmes, vues de dos et marchant sur la rue, dont l’une porte un hijab. Selon les plaignants, cette photo constitue de la « désinformation » puisque le projet de Charte concerne uniquement les employés du service public. « Laisser entendre par [cette] image que le gouvernement veut restreindre le port de signes religieux sur la rue est malhonnête », écrivent-ils.
Le représentant des mis en cause fait valoir que « la liberté de presse et le droit du public à l’information autorisent les médias à choisir et diffuser les photographies qu’ils jugent d’intérêt public et que ceux-ci doivent conserver leur entière liberté rédactionnelle en la matière ». Selon Me Bourbeau, la photographie publiée ne déforme pas le contenu de la lettre qu’elle accompagne. Il soutient que cette lettre s’inscrit dans le cadre du débat sur la laïcité et ses effets sur le vivre ensemble.
Le DERP rappelle aux médias qu’ils doivent « faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise.» (p. 30)
Le Conseil juge que le choix de la photo ne déforme pas le sens de la lettre du lecteur. Le texte traite du choix auquel feront face les femmes musulmanes portant le voile et travaillant dans la fonction publique. La photo présente deux femmes, dont l’une porte le voile. Celle-ci pourrait se trouver face au dilemme évoqué dans le texte. Cet argument de la lettre est d’ailleurs repris dans le bas de vignette.
Le grief de photo inappropriée est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de MM. Michel Lincourt et Michel Pion contre Mme Lysiane Gagnon, MM. Yves Boisvert et André Pratte, le quotidien La Presse et lapresse.ca pour les griefs de déséquilibre des pages « Débats », d’information inexacte, de refus de droit de réplique et de photo inappropriée.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
Mme Micheline Rondeau-Parent
Mme Jackie Tremblay
Représentant des journalistes :
M. Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
M. Gilber Paquette
Analyse de la décision
- C08F Tribune réservée aux lecteurs
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
Date de l’appel
25 March 2015
Appelant
MM. Michel Lincourt et Michel Pion
Décision en appel
PRÉAMBULE
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEFS DES APPELANTS
Les appelants contestent la décision de première instance relativement à quatre griefs, en plus d’un point sur le traitement de la plainte lors de l’étape de la recevabilité :
- Traitement de la plainte lors de l’étape de la recevabilité
- Grief 1 : déséquilibre des pages « Débats »
- Grief 2 : information inexacte
- Grief 3 : refus de droit de réplique
- Grief 4 : photo inappropriée
Traitement de la plainte lors de l’étape de la recevabilité – Les appelants se disent insatisfaits du traitement de leur plainte, lors de son étude en recevabilité. Ils dénoncent le fait que le point central de leur plainte, voulant que pendant plusieurs semaines La Presse a mené une intense campagne contre le projet de laïcité du gouvernement québécois, a été évacué de l’analyse par le Conseil de presse.
La commission d’appel note que le comité de première instance a été saisi du dossier dans son entièreté, y compris tous les éléments jugés recevables par le secrétariat du Conseil en regard de sa politique de recevabilité et qu’il s’est dit satisfait du travail accompli à l’étape de la recevabilité. Les membres considèrent que le processus a été suivi selon les règles établies.
Grief 1 : déséquilibre des pages « Débats » – Les appelants contestent la décision du comité des plaintes voulant que les pages de la section « Débats » constituées de textes des contributions du public et des collaborateurs réguliers n’étaient pas déséquilibrées. De l’avis des appelants, bien que La Presse affirme que des lettres en faveur de la charte ont été publiées, elle ne soumet aucune donnée pour étayer son propos. De plus, les appelants estiment que La Presse n’a présenté aucune donnée pour soutenir l’affirmation voulant que les lettres publiées, provenant du public, reflétaient la proportion des lettres reçues. Au contraire, constatent les appelants, les différents sondages menés auprès de l’ensemble de la population et ceux effectués par La Presse, elle-même, démontrent des proportions dans l’ordre inverse.
En regard des collaborateurs réguliers de la section « Débats », les appelants notent que même si La Presse mentionne que ces collaborateurs sont choisis « pour la profondeur de leurs réflexions », ils ont tout de même tous la même opinion sur la laïcité, amplifiant ainsi le déséquilibre. Les appelants constatent que malgré la reconnaissance de ce déséquilibre par le comité des plaintes, (le taux de lettres publiées en faveur et contre la charte sont respectivement de 25 % et de 75 %), ce dernier a conclu que La Presse a présenté une variété suffisante de points de vue.
Les appelants réfutent cette conclusion qui, selon eux, n’est aucunement démontrée et reproche au comité de ne pas avoir explicité sur la « suffisance ». De leur avis, l’esprit global du DERP oblige un traitement équilibré dans tous les genres de communications, par surcroît lorsque les médias misent sur les contributions du public pour compléter l’information. La Presse n’a donc pas démontré un traitement équilibré dans la publication des opinions et donc la décision du comité est contraire au constat qu’il établit lui-même et n’est pas fidèle à l’esprit du DERP.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [9] : « Après analyse des contributions du public parues dans la section « Débats » de la version papier et celles parues sur le site Internet durant la période visée par les plaignants, le Conseil constate qu’on y retrouve une variété de points de vue. Au total, 25 % des lettres publiées dans la version papier du quotidien plaidaient en faveur de la Charte. Dans le cas des opinions provenant des lecteurs publiées sur le site Internet, notre analyse n’est pas exhaustive, mais on y retrouve également une variété de points de vue. Le média a donc rempli son mandat de favoriser la circulation des idées et de présenter une variété suffisante de points de vue. Par ailleurs, les plaignants n’ont pas fait la démonstration que La Presse et lapresse.ca n’ont pas respecté le principe énoncé au paragraphe [précédent] qui interdit d’écarter des lettres d’opinions pour des raisons idéologiques ». Et au paragraphe [10] : « Quant au choix des collaborateurs réguliers de la section « Débats », le Conseil estime que cela relève de la liberté rédactionnelle du quotidien, qui avait toute la liberté de constituer un groupe de personnes afin qu’elles participent également au débat. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique relatif aux contributions du public : « Les médias et les professionnels de l’information doivent encourager la libre circulation des idées et l’expression du plus grand nombre de points de vue, soit en publiant les lettres des lecteurs, des documents, des communiqués, des opinions, des études, des sondages et des analyses […] » De plus, « Ils [les médias] peuvent refuser de publier certaines lettres, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris, une inimitié ou encore par le désir de taire une information d’intérêt public qui serait contraire au point de vue éditorial ou nuirait à certains intérêts particuliers. » (DERP, pp. 37-38)
La commission d’appel considère que, dans le présent cas, la variété de points de vue présentée dans la section « Débats » est suffisante, en ce sens, que les mis en cause ont exposé un éventail de points de vue et qu’ils n’avaient pas l’obligation de correspondre au ratio exprimé dans les sondages généraux, ni au ratio des lettres d’opinions reçues du public.
Grief 2 : information inexacte – Selon les appelants, l’éditorial de M. André Pratte a induit les lecteurs en erreur à la fois sur la portée de la liberté de religion, sur le droit international, sur ce que n’a pas tranché la Cour suprême et sur la notion de l’espace public dans la phrase : « Il [l’application de la Charte] s’agit incontestablement d’une violation de la liberté de religion qui, en droit international comme en droit canadien et québécois, comporte la liberté de manifester sa foi en public ». De l’avis des appelants, le comité ne fournit aucun fondement à l’appui de sa décision, lorsqu’il avance que « la très forte majorité des experts » sont de l’avis de M. Pratte. Les appelants se demandent qui sont ces experts, qui est en fait une affirmation gratuite de La Presse que le comité des plaintes aurait dû rejeter. Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme le comité, la constitutionnalité ou l’inconstitutionnalité de l’interdiction en question n’a jamais été établie. Finalement, selon les appelants, il apparaît évident que le terme « incontestablement » a pour effet de dire – mon opinion repose sur des faits incontestables que sont les jugements en droit international et canadien – et non – mon opinion est incontestable – M. Pratte interprète de façon erronée ces faits.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [15] : « Considérant que la très forte majorité des experts en la matière estime que le projet de Charte des valeurs aurait impliqué une atteinte à la liberté de religion pour plusieurs employés de l’État travaillant dans un espace public et que le débat portait plutôt sur la constitutionnalité d’imposer une telle restriction, le Conseil considère que la phrase contestée de M. Pratte ne comportait aucune faute d’inexactitude. De plus, le Conseil estime que les affirmations de l’éditorialiste peuvent être perçues non pas dans un registre descriptif, mais plutôt dans une démarche nettement rhétorique visant à convaincre ses lecteurs de sa certitude et de sa profonde conviction que la Charte aurait violé la liberté religieuse. Ainsi, l’utilisation du mot « incontestablement » ne pouvait constituer une inexactitude puisqu’il s’inscrivait davantage dans l’expression d’une opinion et non d’un fait. »
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique de l’information inexacte : Si la déontologie exige des journalistes d’opinion de rapporter fidèlement les faits, il leur offre cependant « une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue» (DERP, p. 17)
Grief 3 : refus de droit de réplique – Les appelants déplorent que le comité ait rejeté ce grief en statuant que, comme M. Lincourt n’était pas mis en cause dans le texte de M. Yves Boisvert et que l’allusion à M. Baril, dans le texte de Mme Lysiane Gagnon, était « une figure de style plus imprécise qu’inexacte », La Presse n’avait donc pas à leur accorder un droit de réplique. De l’avis des plaignants, un média soucieux de rapporter l’exactitude et la vérité des faits doit accorder une réplique à quiconque veut rétablir cette inexactitude même si aucun préjudice personnel n’a été causé.
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [21] « À la lecture de la chronique, le Conseil constate que M. Lincourt n’était nullement mis en cause par le texte de M. Boisvert. Le Conseil estime donc que La Presse n’avait pas l’obligation déontologique de publier le texte de M. Lincourt. » Et au paragraphe [25] : « À la lecture de la chronique de Mme Gagnon, le Conseil constate que l’argumentation de la chroniqueuse visait à démontrer que le Mouvement laïque québécois s’est peu renouvelé au fil des ans. Le chiffre avancé par Mme Gagnon sert de repère temporel, il offre un ordre de grandeur. Aux yeux du Conseil, il s’agissait davantage d’une imprécision que d’une inexactitude. Ainsi, le quotidien n’avait donc pas l’obligation d’offrir un droit de réplique à M. Baril.»
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique du refus d’un droit de réplique : « Les médias et les journalistes ont le devoir de favoriser un droit de réplique raisonnable du public face à l’information qu’ils ont publiée ou diffusée. Ils doivent, lorsque cela est à propos, permettre aux personnes, groupes ou instances de répliquer aux informations et aux opinions qui ont été publiées ou diffusées à leur sujet ou qui les ont directement ou indirectement mis en cause.» (p. 38) Dans le présent cas, bien que M. Baril était concerné par le texte de Mme Gagnon, les membres évaluent qu’il n’était pas – à propos – de lui accorder un droit de réplique, étant donné que le manquement relevé ne présentait pas un enjeu important pour permettre un droit de réplique.
Grief 4 : photo inappropriée – Selon les appelants, les arguments du comité voulant que la dame représentée sur la photo puisse se retrouver dans la situation évoquée dans la lettre et que le bas de vignette établisse une telle possibilité sont frivoles et manifestent de la mauvaise foi. En effet, selon les appelants, la photo n’a rien à voir avec le texte qui traite de la qualité des soins et elle n’illustre en rien ces propos. Au contraire, soulignent les appelants, « son usage, de pair avec le titre qui la coiffe, dénature le contenu en laissant croire, au lecteur pressé, que les musulmanes voilées seraient exclues même de la rue ».
Les membres du comité de première instance concluaient au paragraphe [31] : « Le Conseil juge que le choix de la photo ne déforme pas le sens de la lettre du lecteur. Le texte traite du choix auquel feront face les femmes musulmanes portant le voile et travaillant dans la fonction publique. La photo présente deux femmes, dont l’une porte le voile. Celle-ci pourrait se trouver face au dilemme évoqué dans le texte. Cet argument de la lettre est d’ailleurs repris dans le bas de vignette.»
Les membres de la commission d’appel concluent que le comité de première instance a appliqué correctement le principe déontologique relatif à l’illustration de l’information : « [Les médias] doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise.» (DERP, p. 30)
RÉPLIQUE DES INTIMÉS
Les intimés n’ont soumis aucune réplique à l’appel.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Hélène Deslauriers
M. Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
M. Jean Sawyer
Représentant des entreprises de presse :
M. Denis Bélisle