Plaignant
Mmes Marie-Andrée Provencher et Andréanne Métayer Dallaire
Mis en cause
Mme Arianne Lacoursière, journaliste; M. Mario Girard, directeur de l’information et le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Mmes Marie-Andrée Provencher et Andréanne Métayer Dallaire portent plainte le 17 octobre 2013, contre la journaliste Arianne Lacoursière et le quotidien La Presse, relativement à l’article : « Quatre danseurs morts en un an : le cercle vicieux des stéroïdes », publié le 23 septembre 2013. Les plaignantes estiment que l’article est un manque de respect envers les proches de la victime.
Analyse
Grief 1 : manque de respect
Mmes Marie-Andrée Provencher et Andréanne Métayer Dallaire, respectivement mère et conjointe de Sunny Deblois, déplorent la publication d’informations personnelles relatives au défunt : son travail de danseur, les antidépresseurs qu’il prenait avant son décès, les conclusions préliminaires du coroner quant aux circonstances de sa mort, sa ville natale, son âge, son nom de danseur, son véritable nom et sa photo. Elles regrettent par ailleurs ne pas avoir été contactées par la journaliste, comme cette dernière l’a fait dans le cas de deux autres danseurs mentionnés dans l’article.
Elles soutiennent, d’une part, que ces informations auraient dû rester dans la sphère privée, parce que l’histoire de Sunny Deblois n’était pas pertinente dans le cadre de l’article de Mme Lacoursière, comme il ne dansait plus depuis 2011. D’autre part, elles font valoir que les conclusions préliminaires du coroner ne sont pas du domaine public, puisqu’elles n’ont pas encore été publiées. Elles mettent enfin en doute l’intérêt public du passage de l’article où la journaliste détaille la mort subite du jeune homme, alors qu’il mangeait chez son ami : « il est tombé face première dans sa nourriture ».
La publication de pans de la vie intime de leur proche défunt a provoqué des impacts pénibles, pour les plaignantes. Mme Provencher témoigne : « mon coeur s’est arrêté, j’ai revécu le décès de mon fils une autre fois […]. Ce fût un énorme choc émotionnel et j’ai peur que son petit frère Dylan de 12 ans et son grand-père découvrent cet article qui salit sa mémoire, car ils ne savaient pas que Sunny a déjà été danseur, son grand-père est cardiaque imaginez le désastre, et Sunny était l’idole de son petit frère ». Mme Provencher ajoute que cet article a joué un rôle dans la perte de son emploi.
De son côté, Mme Métayer Dallaire parle de l’article comme « un coup très dur à supporter » qui l’a bouleversée et choquée, au point d’avoir l’impression de recommencer son deuil : « en lisant tout ça je suis de retour à la case départ ». Elle note que le texte s’est retrouvé sur le mur Facebook de son ex-conjoint Sunny, et que la situation a généré de nombreux appels et questions auxquels elle a dû faire face.
Me Patrick Bourbeau, représentant des mis en cause, fait valoir que le sujet traité est d’un intérêt public incontestable. Le fait que M. Deblois n’était plus danseur depuis 2011 ne change rien à ce fait, étant donné l’effet à long terme des stéroïdes. La publication de l’ensemble de la médication de M. Deblois était justifiée, assure Me Bourbeau, car elle répondait à un souci de fournir au lecteur un portrait « clair et complet des circonstances ayant pu mener à la mort de M. Deblois et ne pas laisser entendre que seule la consommation de stéroïdes pouvait être en cause ». La journaliste a par ailleurs agi légitimement en publiant cette information qui lui a été donnée par le coroner lui-même. Ce dernier n’a pas indiqué qu’elle était confidentielle.
Me Bourbeau note qu’en raison de l’intérêt public du sujet, il était également fondé de révéler l’identité des individus décédés ainsi que d’autres détails comme leur ville natale. « Il était essentiel de « mettre un visage » sur une réalité trop souvent traitée de manière abstraite et désincarnée dans les rapports officiels. »
Le Conseil de presse souligne dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP) que : « Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental à la vie privée […]. Les drames humains et les faits divers qui relèvent de la vie privée sont des sujets particulièrement délicats à traiter à cause de leur caractère pénible tant pour les victimes que pour leurs proches […]. Les journalistes doivent conséquemment manifester à l’endroit des victimes et de leurs proches tout le respect et la compassion qui leur sont dûs […]. La règle qui doit guider les médias et les professionnels de l’information dans leur traitement de ces affaires consiste à ne révéler que ce qui est d’intérêt public. » (DERP, p. 42) Quant à la question délicate de l’identification de victimes ou de leurs proches, la règle consiste à « ne révéler l’identité des personnes que lorsque cette identification est d’un intérêt public certain, voire incontournable ». (DERP, p. 43)
Le Conseil de presse souscrit à l’argument du mis en cause voulant que le sujet traité dans l’article soit d’intérêt public et que l’histoire de M. Deblois s’inscrive avec pertinence dans le reportage. De la même manière, les détails révélés par la journaliste au sujet de la médication du défunt et les conclusions préliminaires du coroner, divulguées ouvertement par ce dernier à Mme Lacoursière, sont d’intérêt public et contribuent à la clarté du reportage et à la compréhension de la problématique abordée.
Si la publication de détails comme la ville natale, l’âge et les circonstances de la mort est d’intérêt public en ce qu’elle permet d’incarner le sujet de l’article et de le présenter sous un jour moins abstrait, il est moins certain que l’identité de M. Deblois constituait une information essentielle. C’est sur ce point que le Conseil concentrera son analyse, car sans la publication du nom et de la photo du défunt, la question de la vie privée ne se pose plus. Cette analyse consiste à chercher l’équilibre entre les deux pôles que sont le droit du public à l’information et les droits à la vie privée des personnes dans l’entourage immédiat de Sunny Deblois.
Taire l’identité de Sunny Deblois n’aurait pas compromis la compréhension du lecteur, ni la possibilité d’incarner le sujet à l’aide d’autres détails personnels et circonstanciels. En revanche, la dévoiler impliquait des impacts certains et incontournables pour la famille et les proches de M. Deblois. En effet, pour ces personnes, la mort subite du jeune homme, à l’âge de 22 ans, est incontestablement un drame. Les détails révélés dans l’article à son sujet faisaient également partie de leur vie privée, avaient un caractère délicat et étaient susceptibles de provoquer des conséquences pénibles, s’ils étaient publiés. Les plaignantes ont, à cet égard, fourni des illustrations éloquentes de ces impacts douloureux.
Dans ce contexte, le devoir du journaliste de bien soupeser son rôle d’informer le public et de respecter les droits des plaignantes et des autres proches du défunt l’obligeait à considérer deux avenues possibles : obtenir le consentement des proches de M. Deblois pour révéler son identité ou, à défaut de ce consentement, renoncer à publier sa photo et son nom.
Le Conseil constate que la journaliste n’a pas contacté la famille des plaignants alors qu’elle l’a fait dans le cas de deux autres danseurs nommés dans son reportage. La journaliste tait par ailleurs l’identité de deux autres personnes qui préféraient garder l’anonymat.
Deux des quatre membres du comité des plaintes souscrivent à l’analyse et estiment que la journaliste a manqué de respect et a accordé un traitement inéquitable dans le cas de la famille de Sunny Deblois. Il aurait été nécessaire, selon ces membres, d’obtenir l’autorisation de publier le nom et la photo du défunt. Deux autres membres n’adhèrent pas à cette analyse et sont d’avis que la publication de l’identité de M. Deblois n’était pas une faute déontologique compte tenu de la nature publique de ce dossier. Toutefois, à la suite du vote prépondérant de la présidente du comité des plaintes, le Conseil retient le grief pour manque de respect.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient à la majorité, avec vote prépondérant de la présidente du comité des plaintes, la plainte de Mmes Marie-Andrée Provencher et Andréanne Métayer Dallaire contre la journaliste Arianne Lacoursière et le quotidien La Presse, pour le grief de manque de respect.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger, présidente du comité des plaintes
M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches