Plaignant
Mme Fabienne Joanette-Péloquin
Mis en cause
M. Simon Séguin-Bertrand, journaliste; M. Jean Gagnon, rédacteur en chef et le quotidien Le Droit
Résumé de la plainte
Mme Fabienne Joanette-Péloquin dépose une plainte le 28 octobre 2013 contre le photographe Simon Séguin-Bertrand et le quotidien Le Droit, concernant une photographie accolée à l’article « Pour donner le sein en toute liberté », publié le 7 octobre 2013. La plaignante dénonce une atteinte à son droit à la dignité, l’absence d’identification du journaliste ainsi qu’un manque de courtoisie et de propos misogynes.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la dignité
Mme Fabienne Joanette-Péloquin reproche au journaliste Simon Séguin-Bertrand et au quotidien Le Droit d’avoir publié une photo où elle apparaît, le sein découvert, et où l’on voit son mamelon ainsi que le visage de son fils.
Ladite photo aurait été prise lors de l’événement « Défi Allaitement Outaouais », où plusieurs mères se présentaient en compagnie de leur bébé, pour promouvoir l’allaitement dans les lieux publics. La plaignante explique que lors de son inscription à l’événement, les femmes ne désirant pas se faire photographier signaient une entente interdisant l’utilisation d’images pour des fins de publication, promotion et autres motifs, et recevaient ainsi une étiquette autocollante, signalant leur refus. Par ailleurs, la plaignante mentionne que l’organisation offrait un service payant de photographe professionnel, auquel elle a souscrit et payé, et ainsi à l’étiquette déjà accolée était ajouté un trait rose confirmant au photographe professionnel l’accord d’une prise de photo. Mme Joanette-Péloquin précise que le droit à la liberté d’expression et le droit du public à l’information sont limités par la protection des droits fondamentaux et que sa situation personnelle et professionnelle a profondément été bouleversée à la suite de la publication de cette photo.
De l’avis du représentant des mis en cause, Me Patrick Bourbeau, le caractère public de l’événement ne nécessitait aucunement le consentement des personnes présentes pour la prise de photo et qu’en participant à cet événement, la plaignante devait s’attendre à ce que sa photographie puisse faire l’objet d’une diffusion dans les médias, à fortiori lorsque l’événement vise à faire tomber les tabous entourant l’allaitement en public.
Le Conseil rappelle, dans son guide, Droits et responsabilités de la presse (DERP), que « La liberté de la presse et le droit du public à l’information autorisent les médias et les professionnels de l’information […] à prendre et à diffuser les photos, images […] qu’ils jugent d’intérêt public. » (DERP, p. 19) Cependant, « Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de la réputation. […] Lorsque des faits, des événements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne. » (DERP, p. 42)
Le Conseil rappelle que si les médias peuvent user de leur liberté rédactionnelle en illustrant de façon vivante leurs articles, ils doivent néanmoins respecter le droit à la vie privée et à la dignité des personnes affectées par les photos publiées. Dans le présent cas, le Conseil constate que dans le contexte d’un article sur la promotion de l’allaitement dans les lieux publics et bien conscient du degré de sensibilité fort variable face à toute photographie du corps humain, le Conseil est néanmoins d’avis que la photo contestée n’avait rien d’irrespectueux et qu’il n’y avait aucune faute à la publier.
Le grief pour atteinte au droit à la dignité est rejeté.
Grief 2 : absence d’identification du journaliste
Selon la plaignante, en aucun moment le photographe du Droit ne s’est identifié comme tel et ne l’aurait avisé qu’une photo serait prise pour publication dans un journal. La plaignante explique que le journaliste s’est présenté à elle en lui disant simplement : « c’est l’heure de la photo ». Étant donné qu’elle avait payé pour les services d’un photographe professionnel, c’est plutôt à lui qu’elle croyait avoir affaire, alors qu’elle n’aurait jamais donné son consentement au photographe du journal si ce dernier s’était identifié.
Me Patrick Bourbeau, représentant le quotidien Le Droit, conteste la version des faits soumise par la plaignante. Me Bourbeau explique que le photographe, Simon Séguin-Bertrand, s’est présenté en tant que photographe du Droit lors de son arrivée, auprès des organisatrices. En aucun moment il n’a été avisé que certaines des personnes présentes auraient pu signifier leur refus d’être photographiées. Après la prise de photo, Me Bourbeau souligne que le photographe s’est identifié auprès de la plaignante et lui aurait demandé son nom et celui de l’enfant. Jamais le photographe n’aurait dit que « C’est l’heure de la photo », selon lui.
Le Conseil a discuté avec l’une des organisatrices de l’événement qui mentionnait qu’aucune personne n’était affectée à l’accueil des journalistes. Le Conseil comprend donc que deux types de photographes étaient sur les lieux et que jamais le photographe-journaliste du Droit, n’a été avisé qu’il devait s’identifier avant de prendre des photographies des femmes participant à l’événement public. Compte tenu des circonstances floues dans lesquelles le journaliste travaillait, le Conseil juge qu’il n’a commis aucune faute déontologique.
Le grief d’absence d’identification du journaliste est rejeté.
Grief 3 : manque de courtoisie et propos misogynes
Mme Joanette-Péloquin mentionne qu’elle a pris contact avec M. Jean Gagnon, de la direction du Droit, pour obtenir des excuses du journaliste et de la direction. Lors de leur entretien M. Gagnon lui aurait répondu : « Madame, c’était à vous de ne pas allaiter dans un lieu public si vous ne vouliez pas prendre le risque qu’une telle photo de vous soit publiée dans le journal » et aurait ajouté qu’elle aurait renoncé à sa pudeur et à son intimité en ayant nourri son bébé dans un lieu public. La plaignante souligne le manque de tact, de courtoisie et les propos misogynes de M. Gagnon et mentionne qu’elle s’est sentie jugée. Bien qu’elle était consciente qu’elle pouvait apparaître dans un journal, elle croyait que ce serait dans une photo de groupe et c’est la raison pour laquelle elle était toujours couverte pour allaiter son enfant.
Selon Me Bourbeau, M. Jean Gagnon, rédacteur en chef du Droit n’aurait jamais dit à la plaignante qu’elle n’avait qu’à ne pas allaiter en public si elle voulait éviter que sa photographie ne se retrouve dans le journal. M. Gagnon lui aurait plutôt dit qu’elle devait s’attendre à ce que sa photographie soit prise lorsqu’elle prenait part à un événement public.
Dans son guide de déontologie, le Conseil rappelle : « Il est également de leur responsabilité d’être courtois et ouverts envers leurs lecteurs […], et de leur éviter les tracasseries qui pourraient les empêcher de faire valoir leurs remarques, critiques ou récriminations légitimes. » (DERP, p. 37)
De l’avis du Conseil, bien que les propos relevés par la plaignante aient pu choquer cette dernière, on ne saurait y voir une manifestation de misogynie. Que les propos du rédacteur en chef aient ressemblé davantage à ce que rapporte la plaignante qu’à la version qu’en donne le mis en cause, il n’en demeure pas moins que ce dernier ne faisait que défendre, même sommairement, l’idée selon laquelle lors d’événements tenus en public, les citoyens n’ont pas la même expectative de vie privée et selon le Conseil demeurait dans les limites de la courtoisie.
Le grief de manque de courtoisie et propos misogynes est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Fabienne Joanette-Péloquin contre le photographe Simon Séguin-Bertrand et Le Droit pour le grief d’atteinte au droit à la dignité, absence d’identification du journaliste et manque de courtoisie et propos misogynes.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger, présidente du comité des plaintes
M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C17G Atteinte à l’image
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23L Altercation/manque de courtoisie