Plaignant
Regroupement des femmes sans emploi du Nord de Québec et Mme Marie-Ève Duchesne
Mis en cause
M. Sylvain Bouchard, animateur, M. Philippe Châtillon, directeur programmes et information, l’émission « Bouchard en parle » et la station 93,3 FM
Résumé de la plainte
Mme Marie-Ève Duchesne pour le Regroupement des femmes sans emploi du Nord de Québec dépose une plainte le 5 février 2014 contre l’animateur Sylvain Bouchard, concernant l’émission « Bouchard en parle » diffusée le 13 janvier 2014. La plaignante dénonce la diffusion de propos méprisants, expression de préjugés, une atteinte au droit à la dignité et de l’information incomplète et inexacte.
La station 93,3 FM n’a fait parvenir aucune réplique en réponse à la plainte.
Analyse
Grief 1 : propos méprisants, expression de préjugés et atteinte au droit à la dignité humaine
Mme Marie-Ève Duchesne reproche à l’animateur d’avoir tenu, dans le cadre de son émission, des propos exprimant des préjugés envers les personnes assistées sociales. Mme Duchesne soutient que l’on sent le mépris et le jugement de l’animateur envers les personnes assistées sociales lorsqu’il affirme que le travail n’est qu’une question de volonté. La plaignante dénonce les propos suivants :
– « Là à matin, tout ce que ça vous prend, c’est uniquement l’effort de vous lever, d’aller porter un CV chez Qualinet. »
– « J’ai bien vu que t’avais de l’énergie, tu t’es levé ce matin-là, tu t’es habillé, t’as fait une pancarte, t’as crié pendant toute la journée. Bon faque là je te propose d’aller chez Qualinet pour travailler. »
– « Change ta pancarte pour une moppe pis va-t’en chez Qualinet. »
De plus, selon la plaignante, l’animateur alimente un discours méprisant envers les personnes assistées sociales en mettant l’accent sur l’expression « B.S. » tout au long de l’émission. Mme Duchesne rappelle que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec proclame le droit de tout être humain à l’intégrité de sa personne ainsi que le droit de toute personne à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
Le Conseil rappelle dans son guide, Droits et responsabilités de la presse (DERP) que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent éviter de cultiver ou d’entretenir les préjugés. Ils doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore à heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. […] En tout temps, et en toute situation, les reporters, commentateurs et éditorialistes doivent s’obliger aux plus hauts standards professionnels en cette matière.» (DERP, p. 41) Par ailleurs, le DERP souligne : « Toute personne, qu’elle soit de notoriété publique ou non, a le droit fondamental à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et au respect de la réputation. […] Lorsque des faits, des événements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne. » (DERP, p. 42)
Après écoute de l’émission en cause, le Conseil estime que ces « vous et tu » qu’utilise l’animateur, et par lesquels il s’adresse aux personnes assistées sociales, sert à généraliser l’idée que ces personnes n’essaient pas de se trouver un emploi, qu’ils n’y mettent pas d’efforts et que finalement, ils préfèrent dénoncer et crier dans la rue que de se trouver un emploi. Le Conseil est d’avis que l’animateur a outrepassé les limites permises à la liberté d’expression en exprimant des préjugés à l’endroit des personnes assistées sociales.
De plus, le Conseil considère que l’utilisation du terme « B.S. » est plus que discutable, compte tenu du sens péjoratif attaché à ce mot et reconnu par tous. En répétant continuellement le terme « B.S. », l’animateur contribue à renforcer une image négative à l’égard des personnes assistées sociales. Un animateur de l’expérience de M. Bouchard ne peut ignorer le fait que l’expression « B.S. » n’est pas neutre et que lorsqu’elle est utilisée de façon insistante, elle peut porter atteinte à la dignité des personnes visées.
Le Conseil retient le grief de propos méprisants, expression de préjugés et d’atteinte au droit à la dignité humaine.
Grief 2 : information incomplète
La plaignante souligne que l’information rapportée par le recherchiste concernant ses démarches pour rejoindre des organismes voulant participer à l’émission s’avère incomplète. En effet, selon Mme Duchesne, le recherchiste de l’émission n’aurait pas mentionné que les trois groupes dont il fait mention sont en fait basés à Montréal et non à Québec. Cette précision aurait éclairé l’auditeur sur l’étendue des recherches exécutées pour l’émission.
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil mentionne que « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traités, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes.» (DERP, p. 14)
Le Conseil considère que l’animateur et son recherchiste pouvaient choisir le degré de profondeur qu’ils voulaient consacrer à cette information et qu’ils n’ont pas induit les auditeurs en erreur et ne les ont pas privés d’une information essentielle.
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète.
Grief 3 : information inexacte
La plaignante considère que l’affirmation du recherchiste de l’émission selon laquelle aucun représentant d’organismes de défense des personnes assistées sociales n’était disponible pour une entrevue à l’émission est inexacte. Au contraire, selon Mme Duchesne, plusieurs noms de personnes avaient été fournis au recherchiste la veille de l’émission, mais personne n’a été contacté lors de l’émission. De l’avis de Mme Duchesne, ces informations inexactes diffusées lors de l’émission discréditent le travail des groupes d’aide aux personnes assistées sociales surtout lorsque l’animateur dit : « Ça se pourrait-tu que dans le fond on a au Québec des gens pauvres et démunis qui aimeraient bien travailler, mais y sont maintenus dans leur état de dépendance par des structures gauchistes communautaires qui ont intérêt à voir ces gens-là pauvres pour justifier leur propre job? »
Le Conseil estime qu’il est faux d’affirmer, comme le fait l’animateur, qu’aucun représentant de groupe de défense des personnes assistées sociales n’était disponible pour accorder une entrevue à l’émission, puisque comme le souligne le recherchiste, durant l’émission, certains groupes étaient disponibles pour une entrevue entre 9 h et 9 h 30, donc avant la fin de l’émission. Le Conseil note d’ailleurs qu’en aucun moment l’animateur ou le recherchiste ne tentent de rejoindre un de ces organismes avant la fin de l’émission, l’animateur se contentant plutôt de dénoncer la non-disponibilité de ces groupes.
Le Conseil retient le grief d’information inexacte.
Refus de collaborer
La station 93,3 FM n’a pas souhaité répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche à la station 93,3 FM, son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Marie-Ève Duchesne contre l’animateur Sylvain Bouchard et la station 93,3 FM pour les griefs de propos méprisants, expression de préjugés et atteinte au droit à la dignité humaine et d’information inexacte. Cependant, il rejette le grief d’information incomplète.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme la station 93,3 FM.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 3, article 8. 2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
Mme Micheline Rondeau-Parent
M. Alain Tremblay
Représentants des journalistes :
M. Denis Guénette
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. Éric Latour
Mme Micheline Pepin
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12B Information incomplète
- C17C Injure
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C24A Manque de collaboration