Plaignant
Mme Marilou Alarie
Mis en cause
M. Philippe Clair, éditeur et l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno
Résumé de la plainte
Mme Marilou Alarie dépose une plainte le 2 avril 2014 contre M. Philippe Clair, éditeur de l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno, concernant un éditorial publié le 30 octobre 2013, sous le titre « Mon Club de golf… ». La plaignante dénonce des informations incomplètes, des informations inexactes, un manque d’équilibre, une atteinte au droit à la vie privée, un rectificatif insatisfaisant et une atteinte à la réputation.
Dans cet éditorial, M. Clair commente la campagne électorale municipale de Saint-Bruno-de-Montarville. Il note le manque de respect et la partisanerie de certains candidats. Il illustre ce point de vue en évoquant une photo et un commentaire publiés sur la page Facebook de la candidate Marilou Alarie. Cette photo montre un arbre planté devant la porte d’entrée d’une résidence, et est accompagnée du commentaire : « Aujourd’hui j’ai fait du porte-à-porte avec mon plus grand supporteur ». Or, la maison en question a déjà été celle des défunts parents de l’opposant politique de Mme Alarie, M. Clair considère que le commentaire de celle-ci était de bien mauvais goût.
Analyse
Grief 1 : informations incomplètes
La plaignante estime que l’éditeur a présenté une version partielle des faits puisqu’il ne décrit pas précisément ce qui lui serait reproché. Elle déplore qu’il n’ait pas décrit la photo et le commentaire publiés sur Facebook, se limitant à écrire : « […] comme ce fut le cas encore ce week-end avec Marilou Alarie, qui a lancé une pointe à son adversaire en diffusant sur son profil Facebook personnel une photo de la maison familiale des défunts parents du candidat Michel Lamarre, avec un commentaire de bien mauvais goût ».
Le Conseil de presse souligne dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), que les journalistes d’opinion peuvent dénoncer certaines situations, mais il précise que « rien ne les autorise cependant à cacher ou à altérer des faits pour justifier l’interprétation qu’ils en tirent ». (p. 28)
Le Conseil considère que la présentation des faits par l’éditeur est incomplète. En effet, l’éditeur n’expose pas les faits sur lesquels il se base pour juger disgracieux et répréhensible le comportement de la plaignante et en quoi elle commettait une faute en publiant la photo et le commentaire qui l’accompagnait.
Le grief pour informations incomplètes est retenu.
Grief 2 : informations inexactes
La plaignante estime que l’éditorial véhicule trois inexactitudes.
Premièrement, Mme Alarie considère qu’il y une inexactitude dans le passage suivant : « Devant le tollé de plusieurs citoyens, madame Alarie a retiré la photo et le commentaire, le lendemain ». Mme Alarie soutient que la publication initiale de la photo « n’a pas provoqué de tollé chez les citoyens ». Selon elle, les réactions à la photo provenaient des « amis » Facebook de son opposant politique.
Dans sa réplique, le mis en cause n’a pas fait valoir son point de vue sur l’utilisation du mot « tollé ».
Le DERP rappelle que « les éditorialistes et commentateurs doivent être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelles dans l’évaluation des évènements, des situations et des questions sur lesquels ils expriment leurs points de vue, leurs jugements et leurs critiques ». (p. 28)
Aux yeux du Conseil, l’utilisation d’un terme comme « tollé » est hautement subjective – ce que l’un décrira comme un tollé, l’autre le considèrera comme une simple désapprobation. Cela dit, le Conseil note que dans un message publié sur sa page Facebook, le 28 octobre, Mme Alarie a déploré que « certaines personnes aient vu là un geste intentionnel de [sa] part », admettant du même coup qu’un certain nombre de personnes avait effectivement protesté devant sa publication. Le Conseil considère que M. Clair pouvait légitimement utiliser le mot « tollé ».
Le grief est rejeté sur ce premier point.
Mme Alarie relève une deuxième inexactitude dans la phrase suivante : « Devant le tollé de plusieurs citoyens, madame Alarie a retiré la photo et le commentaire, le lendemain ». Elle affirme que la photo n’a jamais été retirée de sa page Facebook.
M. Clair affirme avoir vérifié si la photo était toujours accessible, au moment d’écrire son éditorial, le 28 octobre. « N’étant pas “ami Facebook” avec cette dernière [Mme Alarie], je n’ai pu constater la preuve. Toutefois, l’information reçue de la part de M. Lamarre lui-même me paraissait plausible. Le connaissant depuis plusieurs années, je lui ai fait confiance, comme tout journaliste a confiance en ses sources », fait valoir le mis en cause.
Dans son commentaire, Mme Alarie indique qu’il ne s’agit pas d’un profil personnel, mais d’une « page » Facebook, et qu’elle est donc accessible à tous.
Le Conseil constate qu’il y a une inexactitude, car la photo et le commentaire en cause apparaissent toujours sur la page Facebook de la plaignante. Le Conseil considère que le journaliste n’a pas pris les moyens nécessaires pour éviter cette inexactitude. Il était donc inexact d’écrire que Mme Alarie les avait retirés.
Le grief est retenu sur ce deuxième point.
La troisième inexactitude soulevée par la plaignante concerne les commentaires de M. Martin Murray, chef du parti pour lequel Mme Alarie était candidate. Elle soutient que M. Murray n’a pas été en mesure de commenter puisqu’il n’était pas au courant de l’affaire. Elle soutient qu’il n’a jamais tenu les propos qui lui sont attribués.
M. Clair affirme avoir discuté avec M. Murray et avoir reproduit « mot à mot » ses propos.
Dans son commentaire, la plaignante indique que les propos de M. Murray cités dans le texte « ne sont que pure fiction ».
Contacté par le Conseil, M. Murray a présenté deux versions. Il a d’abord soutenu ne pas se souvenir d’une discussion sur ce sujet avec M. Clair tout en affirmant que les propos qui lui sont attribués dans l’article pourraient être les siens. M. Murray a, par la suite, contacté le Conseil pour modifier sa version. Il a maintenu ne pas se souvenir d’une conversation avec M. Clair, mais il a soutenu que la citation ne pouvait être exacte. « Je ne peux pas avoir tenu ses (sic) propos puisque je n’étais pas au courant dudit dossier », a-t-il écrit.
Face aux commentaires ambigus, voire contradictoires, de M. Murray le Conseil considère que la version du mis en cause est plus probante.
Le grief est rejeté sur ce troisième point.
En considération des éléments ci-haut mentionnés, le Conseil retient le grief pour informations inexactes pour l’un des trois aspects soulevés, soit celui concernant le retrait de la publication sur Facebook.
Grief 3 : manque d’équilibre
La plaignante dénonce le fait que M. Clair n’ait jamais communiqué avec elle avant la parution de son éditorial. Elle affirme que s’il l’avait fait, elle aurait pu lui indiquer qu’elle avait publié un message précisant ses intentions, qu’elle avait écrit à son adversaire pour s’expliquer, et que celui-ci a par la suite retiré le commentaire qu’il avait publié sur sa page Facebook.
M. Clair rapporte avoir discuté avec le chef du parti de Mme Alarie avant la publication. Par la suite, M. Clair a proposé de publier la mise en demeure de Mme Alarie dans le journal, afin qu’elle puisse présenter sa version des faits.
Dans son commentaire, Mme Alarie précise qu’elle aurait souhaité présenter sa version des faits avant la publication de l’éditorial. Elle fait remarquer qu’il s’agissait de la dernière édition avant les élections.
Le Conseil estime que l’éditorial de M. Clair a respecté les exigences déontologiques en matière d’équilibre, puisqu’en rapportant les propos du chef du parti de Mme Alarie, il a permis l’expression des deux points de vue s’opposant dans cette affaire.
Le Conseil rejette le grief pour manque d’équilibre.
Grief 4 : atteinte au droit à la vie privée
La plaignante juge que l’éditeur s’attaque à sa vie personnelle lorsqu’il écrit : « C’est aussi très surprenant de voir que cette mère de famille envoie ses enfants dans les différentes écoles de la montagne […] où le respect est LA première valeur enseignée aux jeunes, alors qu’elle-même est incapable de s’engager à observer un minimum de retenue envers ses opposants. » Mme Alarie estime que les attaques à la vie personnelle n’ont aucune place dans le débat public.
M. Clair soutient que le but d’un éditorial est d’émettre son opinion, « qui se veut personnelle ». Il affirme que son texte a démontré qu’il doutait de la capacité de Mme Alarie à occuper un poste de conseillère municipale.
Le Conseil ne considère pas que mentionner qu’une candidate municipale envoie ses enfants dans les écoles du secteur constitue une atteinte à son droit à la vie privée.
Le grief pour atteinte au droit à la vie privée est rejeté.
Grief 5 : rectificatif insuffisant
La plaignante considère que la précision publiée dans l’édition du 6 novembre 2013 n’était pas suffisante puisque l’éditeur n’a jamais rétabli les faits. Elle lui avait déjà demandé d’insérer une rétractation dans l’édition papier du journal.
De son côté, le mis en cause a plutôt proposé à Mme Alarie de publier intégralement la mise en demeure qu’elle a transmise au journal ou de publier une lettre à l’éditeur. Face au double refus de la plaignante, l’hebdomadaire a publié la précision que la plaignante considère insuffisante.
Le DERP rappelle qu’il « relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs ». (p. 46) On peut également y lire que : « les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non». (p. 46)
Le Conseil considère que le mis en cause n’avait pas l’obligation de répondre à la demande de Mme Alarie, mais il juge que la « précision » publiée est insuffisante puisqu’elle ne corrigeait pas l’incomplétude et l’inexactitude contenues dans l’éditorial de M. Clair.
Le grief pour rectificatif insuffisant est retenu.
Grief 6 : atteinte à la réputation
La plaignante estime que l’éditorial a nui à sa réputation. Elle rapporte qu’une enseignante de l’école fréquentée par ses enfants l’a qualifiée, sur les médias sociaux, de « femme insensible et sans jugement ».
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation n’est pas considérée comme du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
Analyse de la décision
- C02F Création/retrait de rubriques/d’émissions
Décision en appel
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Marilou Alarie contre l’éditeur M. Philippe Clair et l’hebdomadaire Les Versants du Mont-Bruno pour les griefs d’informations incomplètes, d’informations inexactes et de rectificatif insuffisant. Cependant, le Conseil rejette les griefs de manque d’équilibre et d’atteinte au droit à la vie privée.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
Mme Micheline Rondeau-Parent
Mme Jackie Tremblay
Représentants des journalistes :
M. Vincent Larouche
M. Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision en appel
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C16D Publication d’informations privées
- C17A Diffamation
- C19B Rectification insatisfaisante