Plaignant
L’Église Vie Abondante et Mme Marie-France Lamarche, secrétaire du conseil d’administration
Mis en cause
MM. Nicolas Lachance, journaliste et Sébastien Ménard, rédacteur en chef et le quotidien Le Journal de Québec
M. Dany Doucet, rédacteur en chef et le site Internet du Journal de Montréal
M. Serge Fortin, vice-président, information et le site Internet de TVA Nouvelles
Résumé de la plainte
Mme Marie-France Lamarche, secrétaire du conseil d’administration de l’Église Vie Abondante, dépose une plainte le 16 octobre 2014 contre le journaliste Nicolas Lachance, le quotidien Le Journal de Québec et le site Internet du Journal de Montréal concernant un reportage publié le 1er octobre 2014, comprenant les articles intitulés « Facile de créer une fausse religion », « 4 “nouvelles religions” et leurs sources de revenus » et « L’Église catholique prête à débattre ». La plainte vise également un lien vidéo mis en ligne sur le site Internet de TVA Nouvelles, titré : « Fausse religion, revenus réels ». La plaignante dénonce une information tendancieuse, une mauvaise présentation de l’information, une fausse représentation, un refus de rectification et de retrait ainsi qu’un refus d’excuse.
La plaignante estime que le reportage publié dans Le Journal de Québec et sur le site Internet du Journal de Montréal porte atteinte à la réputation des personnes apparaissant sur les photos. Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief pour atteinte à la réputation n’a pas été traité.
La plaignante demande à ce que les mis en cause présentent des excuses. Le Conseil considère que la déontologie journalistique n’impose pas aux médias l’obligation de présenter des excuses, mais plutôt, lorsque nécessaire, un devoir de rétraction, de rectification ou d’accorder un droit de réplique. Le Conseil ne traitera donc pas ce grief de refus d’excuses.
Le Journal de Québec, le site Internet du Journal de Montréal et TVA Nouvelles ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le reportage porte sur le phénomène de la création de « fausses religions » dans le but de profiter d’avantages fiscaux et de congés de taxes.
Analyse
Grief 1 : information tendancieuse
La plaignante critique le fait que sous un article dénonçant la création de « fausses religions », le journaliste présente certains groupes religieux et publie les photos de certains fidèles en les associant à des « fausses religions ». La plaignante considère que d’associer l’Église Vie Abondante et les photos prises lors d’une célébration de son Église à un reportage portant sur les « fausses religions » qui abusent du système fiscal sème le doute sur l’honnêteté de cette église.
De plus, la plaignante souligne que dans le cas du site de TVA Nouvelles, la photo prise lors d’une célébration de l’Église Vie Abondante sert de vignette à une vidéo intitulée « Fausse religion, revenus réels ». « TVA Nouvelles a tout naturellement fait l’association entre les termes “fausse religion” et les photos prises lors de la célébration », écrit la plaignante.
Dans sa plainte, Mme Lamarche inclut un courriel envoyé par le directeur principal, Affaires juridiques, de Québecor Média, Me Bernard Pageau, en réponse à la lettre qu’elle avait fait parvenir à la direction du Journal de Québec. Il écrit : « Les articles publiés dans le Journal le 1er octobre 2014 n’insinuent aucunement que votre organisation religieuse exerce illégalement. »
Dans son guide de déontologie, Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil fait valoir que la présentation de l’information doit respecter son intégrité et son authenticité. « [Les médias] doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. Tout manquement à cet égard est par ailleurs susceptible de causer un préjudice aux personnes ou aux groupes impliqués, lesquels ont droit à ce que leur image ne soit ni altérée ni utilisée de façon dégradante ou infamante.» (p. 30)
En examinant la mise en page du Journal de Québec, le Conseil constate que cette présentation de l’information est tendancieuse, peut induire le public en erreur et laisser croire, sans en faire la démonstration, que les fidèles apparaissant sur ces photos sont membres de « fausses religions », mettant ainsi en doute leur légitimité à profiter des congés de taxes et d’impôts réservés aux organismes à but non lucratifDans le cas de la photo apparaissant sur le site de TVA Nouvelles, le Conseil estime que l’association entre les fidèles y apparaissant et le titre « Fausse religion, revenus réels » est également trompeuse pour les mêmes raisons exprimées au paragraphe précédent.
Pour ces raisons, le Conseil retient le grief d’information tendancieuse.
Grief 2 : fausse représentation
La plaignante soutient qu’au moment de solliciter l’entrevue avec le pasteur Benoît Therrien, le journaliste a indiqué qu’il s’agissait d’un reportage sur « l’émergence des nouvelles religions au Québec ». Il n’aurait pas mentionné que l’article portait sur la facilité de créer une église afin d’en retirer des avantages fiscaux. La plaignante et le conseil d’administration de l’Église Vie Abondante jugent avoir été trompés et estiment que le journaliste avait des intentions cachées.
Dans le courriel adressé à la plaignante, Me Pageau indiquait que le reportage « a fait l’objet d’une démarche journalistique raisonnable et conforme aux règles de l’art ».
Le DERP rappelle que « L’éthique journalistique commande que les journalistes, dans l’exercice de leur profession, s’identifient clairement et recueillent l’information à visage découvert, par le biais de recherches, d’entrevues de contacts et de consultations de dossiers. La même règle s’applique en matière de journalisme d’enquête.» (p. 26)
Le Conseil estime que le journaliste n’a pas commis de faute en ne précisant pas l’angle précis de son reportage lorsqu’il a pris contact avec M. Therrien. Il n’avait pas l’obligation déontologique de le faire. Autrement dit, l’angle précis d’un reportage relève complètement de leurs prérogatives éditoriales. Dans le cas présent, le Conseil juge qu’en présentant le thème général de son reportage, le journaliste a été suffisamment transparent et ouvert quant aux objectifs de sa démarche.
Le Conseil rejette le grief de fausse représentation.
Grief 3 : refus de rectification et de retrait
Le 3 octobre 2014, la plaignante, au nom du conseil d’administration de l’Église Vie Abondante, a demandé à la direction du Journal de Québec la publication d’un texte « reconnaissant le manquement déontologique du journaliste ». Ils ont également réclamé le retrait de la photo apparaissant sur le site Internet de TVA Nouvelles et la vidéo de l’entrevue avec M. Therrien disponible sur le site Internet du Journal de Montréal.
Par courriel, Me Pageau a fait savoir à Mme Lamarche que le reportage avait été réalisé dans les règles de l’art et que le Journal de Québec n’avait pas l’intention de donner suite à sa lettre.
Le DERP stipule qu’il « relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques ». Il rappelle également que « les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non, et ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses.» (p. 46)
Ayant constaté que le reportage pouvait induire le public en erreur en laissant croire, sans le démontrer, que les personnes apparaissant sur les photos étaient membres d’un groupe d’une « fausse religion » qui fraudaient le fisc, le Conseil estime que le quotidien aurait dû admettre son erreur et apporter des rectifications.
Dans le cas de la photo utilisée comme vignette pour une vidéo publiée sur le site de TVA Nouvelles, le Conseil estime qu’elle devait être remplacée par une autre.
En ce qui concerne la vidéo de l’entrevue avec M. Therrien, le Conseil estime que sa présence sous un texte traitant de « fausses religions » induit le public en erreur en lui laissant croire que l’Église Vie Abondante est une « fausse religion » recevant indûment des congés de taxes et d’impôts. Le Conseil juge que la vidéo devrait être retirée.
Le Conseil retient le grief pour absence de rectificatif et de retrait.
Refus de collaborer
Le Journal de Québec, le site Internet du Journal de Montréal et TVA Nouvelles ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au Journal de Québec, le site Internet du Journal de Montréal et à TVA Nouvelles leur manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Marie-France Lamarche, secrétaire du conseil d’administration de l’Église Vie Abondante, et blâme le journaliste Nicolas Lachance, le quotidien Le Journal de Québec, le site Internet du Journal de Montréal et le site Internet de TVA Nouvelles pour les griefs d’information tendancieuse et mauvaise présentation de l’information. Le grief pour absence de refus de rectification et de retrait est également retenu. Cependant, le Conseil rejette les griefs de fausse représentation.
Pour leur manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme Le Journal de Québec, le site Internet du Journal de Montréal et TVA Nouvelles.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 8.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Micheline Bélanger
M. Adélard Guillemette
Représentants des journalistes :
Mme Katerine Belley-Murray
M. Denis Guénette
Représentant des entreprises de presse :
M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C13B Manipulation de l’information
- C19A Absence/refus de rectification
- C23D Tromper sur ses intentions
- C24A Manque de collaboration
Analyse de la décision en appel
- C02F Création/retrait de rubriques/d’émissions