Plaignant
Mmes Elizabeth Quinlan et Andrea Quinlan
Mis en cause
Mme Rachel Browne, journaliste, Mme Julia Johnson, rédactrice et le Maclean’s Magazine
Représentant du mis en cause
Mmes Elizabeth et Andrea Quinlan portent plainte le 7 décembre 2014 contre la journaliste Rachel Browne et le magazine Maclean’s, relativement à un reportage intitulé « Campus safety − Code of silence », publié le 30 octobre 2014. Les plaignantes déplorent le non-respect, de la part de la journaliste, d’une entente de communication conclue avec elles. De plus, elles relèvent des inexactitudes et une absence de correctif.
Le Conseil n’a pas traité le grief d’absence d’excuses de la part de la journaliste, puisque les demandes d’excuses ne sont pas du ressort de la déontologie journalistique.
Le magazine Maclean’s n’a fait parvenir aucune réplique à la présente plainte.
Le reportage porte sur la loi du silence entourant le phénomène des agressions sexuelles sur les campus universitaires au Canada, ainsi que sur le peu de politiques ou mesures mises en place pour y faire face. L’omertà que feraient régner les institutions universitaires sur le sujet toucherait également, selon le reportage, les chercheurs universitaires dont les travaux portent sur la question.
Analyse
Grief 1 : non-respect d’une entente de communication
Mmes Quinlan allèguent que l’article contient des citations tirées d’une conversation informelle et préliminaire visant à négocier une entente de communication pour une éventuelle entrevue.
Cette entente prévoyait selon elles la sauvegarde de leur anonymat et, plus précisément, stipulait qu’aucune citation, directe ou indirecte, ne devait être leur être attribuée personnellement.
La journaliste aurait accepté par écrit de souscrire à cette entente et de respecter l’anonymat de ses sources.
Les plaignantes affirment que l’entrevue n’a finalement pas eu lieu et précisent qu’elles ont décliné la demande de la journaliste par écrit, en invoquant que l’étude intéressant Mme Browne n’était pas encore publiée. Les plaignantes ont tenu pour acquis que ce refus impliquait non seulement la protection de leur identité, mais également leur opposition à la publication de leurs propos exprimés lors de l’entretien informel.
Leurs propos ont cependant été publiés et leur ont été attribués, malgré l’entente de communication conclue avec la journaliste.
L’extrait du reportage visé par les plaignantes est le suivant : « Liz Quinlan, a sociology professor at the University of Saskatchewan, is leading a study on sexual-assault policies at Canadian universities, but she is hesitant to talk about her work because it’s “impossible to anticipate what the consequences might be”. Her daughter, Lakehead University sociologist Andrea Quinlan, another researcher in the group, says, “We’re working in a climate where some of us are having to reapply to the very universities we’re now speaking about in our research; it carries some risks for us in terms of the stability of our employment. »
Les plaignantes disent avoir conclu cette entente avec la journaliste en raison des conséquences, potentiellement néfastes sur leur carrière, liées à la critique qu’elles font de la façon qu’ont les universités de gérer les cas d’agressions sexuelles.
L’une des plaignantes affirme avoir déjà dû répondre à des questions au sujet de l’article, de la part d’une université où elle avait soumis sa candidature.
Dans son guide Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil stipule que « les médias et les professionnels de l’information qui se sont engagés explicitement à respecter le caractère confidentiel de leurs sources doivent en protéger l’anonymat ». Par ailleurs, le guide précise que « le recours à des sources anonymes ou confidentielles se révèle nécessaire, par exemple lorsque des informations d’intérêt public importantes ne pourraient être obtenues autrement ou lorsqu’une source pourrait faire l’objet de représailles ». (p. 32)
Le Conseil estime que dans le cas présent, il s’agit d’une violation d’une entente de confidentialité, ce qui constitue une faute.
Ainsi, rien ne pouvait dans les circonstances justifier de passer outre une telle entente, même si elle était rattachée à un entretien préparatoire. En publiant les raisons qui motivaient leur demande d’anonymat, la journaliste montre qu’elle connaissait pertinemment les conséquences auxquelles les chercheuses étaient exposées si elles étaient identifiées aux propos qu’elle cite. Cela aggrave, aux yeux du Conseil, le bris de l’entente de confidentialité. Une telle attitude ne peut que miner la confiance nécessaire que les sources doivent entretenir à l’égard des journalistes à qui elles se confient, et de tels manquements ternissent forcément la réputation de toute la profession.
Le grief de non-respect d’une entente de communication est retenu.
Un membre exprime cependant sa dissidence, jugeant que la journaliste n’a publié que des informations qui étaient au moins en partie déjà publiques, à savoir des informations liées à une étude déjà présentée publiquement en 2014 par Mme Andrea Quinlan. À son sens, l’entente de confidentialité ne pouvait porter sur des éléments qui sont du domaine public.
Grief 2 : inexactitudes
2.1 Lien d’emploi erroné
Dans le reportage, Mme Andrea Quinlan est citée comme une sociologue de l’université Lakehead, alors que la chercheuse est plutôt employée par l’université Cornell.
Dans son guide, le Conseil mentionne que, « quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité ». (DERP, p. 26)
Le Conseil estime qu’il s’agit d’une erreur, qui aurait pu être évitée par la journaliste.
Le grief pour information inexacte est retenu sur ce point.
2.2 Étude mal attribuée et confusion entre deux études
Dans le reportage, on peut lire que Mme Elizabeth Quinlan dirige une étude portant sur les politiques relatives aux agressions sexuelles dans les universités canadiennes. Or, Mme Elizabeth Quinlan n’a pas dirigé cette étude, présentée publiquement en 2014, et n’y a pas participé à titre d’auteure. L’étude aurait dû être attribuée à Mmes Andrea Quinlan, de l’université Cornell et Jessica Wollings, de l’université Lakehead.
La journaliste aurait, selon la plaignante, mal identifié le sujet de l’étude à laquelle travaillaient conjointement Mmes Elizabeth et Andrea Quinlan, au moment de la publication. Cette étude, qui n’avait en octobre 2014 pas encore été publiée, portait non seulement sur les politiques relatives aux agressions sexuelles sur les campus canadiens, comme l’écrit la journaliste, mais plutôt sur une variété de sujets connexes.
Le Conseil note que dans leur plainte, Mmes Quinlan citent un message envoyé à Mme Browne, dans lequel elles mentionnent : « we are unable to send our research on university policies as the research has not yet been published ».
Ce passage laisse croire que les deux chercheuses travaillaient ensemble sur le sujet des politiques universitaires (relatives aux agressions sexuelles dans les universités canadiennes).
S’il y a inexactitude, quant à l’attribution d’une étude et au sujet d’une autre étude, il semble qu’elle ait pu être causée par les chercheuses elles-mêmes, à la lumière de ce message qui était pour le moins ambigu à cet égard.
En conséquence, le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
Au vu de tout ce qui précède, le grief d’inexactitudes est retenu sur le point du lien d’emploi erroné.
Grief 3 : absence de correctif
Les plaignantes notent qu’elles ont demandé au magazine le retrait du paragraphe dans lequel se trouvent leurs citations. Cette demande n’a pas eu de suite.
Dans son guide, le Conseil souligne : « [I]l relève de la responsabilité des médias de trouver les meilleurs moyens pour corriger leurs manquements et leurs erreurs à l’égard de personnes, de groupes ou d’instances mis en cause dans leurs productions journalistiques, que celles-ci relèvent de l’information ou de l’opinion. « Cependant, les rétractations et les rectifications devraient être faites de façon à remédier pleinement et avec diligence au tort causé. Les médias n’ont aucune excuse pour se soustraire à l’obligation de réparer leurs erreurs, que les victimes l’exigent ou non, et ils doivent consacrer aux rétractations et aux rectifications qu’ils publient ou diffusent une forme, un espace, et une importance de nature à permettre au public de faire la part des choses. » (DERP, p. 46)
Le Conseil a déterminé que les mis en cause ont manqué à leur devoir de respect d’une entente de confidentialité et qu’ils ont publié une information inexacte. Dans un cas comme dans l’autre, un correctif était donc nécessaire.
En conséquence, le grief d’absence de correctif est retenu.
Refus de collaborer
Le magazine Maclean’s a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au magazine Maclean’s son manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte le concernant.
Décision
Un membre du comité des plaintes a choisi de s’abstenir de participer à l’analyse et à la décision de la présente plainte.
Au vu de ce tout ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à l’unanimité, la plainte de Mmes Elizabeth et Andrea Quinlan et blâme la journaliste Rachel Browne et le magazine Maclean’s, pour les griefs d’inexactitudes et d’absence de correctif. Par ailleurs, il retient, à la majorité, le grief de non-respect d’une entente de communication.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le magazine Maclean’s.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Micheline Rondeau-Parent
- M. Adélard Guillemette
- Mme Jackie Tremblay
Représentant des journalistes :
- M. Marc-André Sabourin
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C19A Absence/refus de rectification
- C23B Violation d’un « off the record »
- C24A Manque de collaboration