Plaignant
M. Luc Archambault
Mis en cause
MM. Marc Cassivi et Patrick Lagacé, chroniqueurs
Le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Luc Archambault dépose une plainte le 10 décembre 2014 contre les chroniqueurs Marc Cassivi et Patrick Lagacé ainsi que le quotidien La Presse. Le plaignant reproche aux chroniqueurs de lui avoir bloqué l’accès de leur compte Twitter respectifs après un échange de tweets.
Le Conseil ayant reçu quatre plaintes pour blocage d’un compte Twitter individuel dans un délai assez court, celles-ci ont été étudiées lors de la même réunion et l’argumentaire est le même pour chacune des décisions.
Analyse
Point sur la recevabilité
Les mis en cause contestent la recevabilité de la plainte en faisant valoir que la gestion des abonnés des comptes Twitter de leurs journalistes n’est pas régie par la déontologie journalistique.
Me Patrick Bourbeau, qui représente La Presse, fait valoir que « bien que MM. Cassivi et Lagacé soient des employés de La Presse, ils n’exploitent pas leur compte Twitter dans le cadre de leurs fonctions, mais bien à titre personnel. Ainsi, l’exploitation de leur compte Twitter ne fait d’aucune façon partie des tâches qu’ils accomplissent dans le cadre de leur emploi à La Presse ».
Dans sa réplique au Conseil, M. Lagacé juge que de bloquer un utilisateur sur Twitter « n’a rien à voir avec le journalisme ».
Le plaignant maintient le bien-fondé de sa plainte : « Je prétends que le fait de me “barrer” pour Marc Cassivi et Patrick Lagacé dans leurs pages Twitter, contredit la déontologie journalistique qui met de l’avant l’équilibre et l’équité dans la présentation des opinions des journalistes d’opinion ».
Le plaignant poursuit : « Quand Me Bourbeau invoque le fait que le compte Twitter de ses journalistes est “personnel”, il tente de nous faire croire qu’il s’agit d’une affaire privée, ce qui n’est en aucun cas le cas. Il y a ici confusion la plus totale entre ce qui est privé et ce qui est public, ce qui est tout sauf déontologique. La clarté doit être de mise, on est loin du compte. En fait, les comptes des journalistes dans les réseaux sociaux, tel Twitter, sont très largement utilisés en tant qu’extension de leur travail journalistique. Il est personnel, mais public, non pas privé. »
Le plaignant souligne que les journalistes visés par la présente plainte « continue[nt] sur Twitter à accomplir la tâche qui leur est dévolue dans La Presse, à savoir, faire du journalisme d’opinion, non sans afficher dans leur page de profil Twitter, leurs titres, en faisant souvent le lien avec le média qui les emploie; quand ce n’est pas afficher sur leur photo, le logo de La Presse ». Il fait également valoir qu’aux yeux du public, les journalistes sont identifiés à leur média et à leurs activités professionnelles. « On ne peut demander au lecteur de distinguer Lagacé, ou autre, journaliste à La Presse et, Lagacé, blogueur ou twitteur, qui ne serait plus associé à La Presse. »
Le Conseil estime que le fait pour un journaliste de posséder un compte sur un réseau social comme Twitter ou Facebook ne fait pas de ce compte un média d’information. Il considère que l’ouverture et le maintien d’un compte sur une plateforme de média social par un journaliste sont des initiatives personnelles.
Le Conseil souligne que les journalistes sont aussi des citoyens et que la déontologie n’a pas pour effet de les priver des droits et libertés qu’on considère comme acquis aux autres personnes de façon générale. Le droit de décider des paramètres de leur droit de parole lorsqu’ils choisissent de s’exprimer sur une plateforme numérique ne fait l’objet d’aucune interdiction déontologique. Prétendre le contraire aboutirait à des situations absurdes qui amèneraient à considérer comme une faute déontologique le seul fait pour un journaliste de ne pas répondre au téléphone ou de refuser de répondre à un citoyen qui engagerait la conversation sur un sujet d’actualité dans un lieu public, par exemple.
Le fait que les publications du journaliste sur ses comptes soient considérées comme publiques, que les commentaires du journaliste sur son compte soient publics et les commentaires de ses abonnés le soient aussi n’enlève pas le caractère personnel (qu’il ne faut pas confondre avec privé) du compte et ne change donc rien au raisonnement qui précède, précise le Conseil.
Le Conseil en conclut qu’une plainte contre un journaliste qui bloque un utilisateur sur son compte Twitter n’est pas recevable, car elle ne relève pas de la déontologie journalistique. Les journalistes, à titre d’individus, sont libres de gérer les paramètres de leurs réseaux sociaux. Cela dit, la liberté d’expression des journalistes et la libre gestion de leurs réseaux sociaux ne les soustraient pas à leur devoir déontologique d’indépendance et d’intégrité dans le contenu qu’ils produisent, qu’il soit à titre personnel ou dans le cadre de leur travail.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec ne peut donner suite à la plainte de M. Luc Archambault contre les chroniqueurs Marc Cassivi et Patrick Lagacé et le quotidien La Presse puisque la plainte est jugée irrecevable.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentante des journalistes :
- Mme Lisa-Marie Gervais
Représentant des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
Date de l’appel
6 February 2019
Appelant
Luc Archambault
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
Luc Archambault dépose une plainte, le 10 décembre 2014, contre Marc Cassivi et Patrick Lagacé, ainsi que contre La Presse, reprochant aux chroniqueurs de lui avoir bloqué l’accès de leur compte Twitter respectif après un échange de tweets. Le 24 février 2015, M. Archambault dépose une plainte contre Rebecca Makonnen et ICI Radio-Canada pour le même motif. Il dépose une troisième plainte contre David Rémillard et Le Soleil, le 29 mars 2015, après que le journaliste l’eut à son tour bloqué sur Twitter.
En plus de porter plainte pour ce qu’il considérait être un blocage injustifié de comptes Twitter, M. Archambault déplorait une absence de correctif dans le dossier de Marc Cassivi. Le plaignant avait demandé à M. Cassivi d’annuler le blocage, sans succès.
Étant donné que le Conseil avait reçu plusieurs plaintes à propos du blocage sur Twitter dans un court laps de temps, il les a étudiées lors de la même réunion et l’argumentaire était le même pour chacune des décisions.
L’appelant a déposé un seul argumentaire d’appel pour les dossiers visant ces quatre intimés, que la commission d’appel a analysés ensemble pour ne rendre qu’une seule décision.
MOTIF DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à l’irrecevabilité de la plainte.
Grief 1 : contestation de l’irrecevabilité
Règlement No 2
Les critères de recevabilité et le Règlement No 2 en vigueur au moment de la plainte stipulaient, comme c’est toujours le cas aujourd’hui, que toute plainte pour être jugée recevable devait porter sur un manquement déontologique potentiel, et que ce manquement devait être significatif et précis. (article 3.5 du Règlement No 2 de 2015)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance a mal appliqué le principe de recevabilité d’une plainte.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que le principe de recevabilité d’une plainte du Conseil a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant est d’avis que les comptes Twitter des journalistes sont des extensions publiques de leur activité journalistique et ne devraient pas être soustraits au devoir déontologique d’indépendance et d’intégrité.
La commission note que le comité des plaintes, dans sa décision, a jugé qu’« une plainte contre un journaliste qui bloque un utilisateur sur son compte Twitter n’est pas recevable, car elle ne relève pas de la déontologie journalistique ». Le comité a souligné la différence entre la gestion des paramètres d’un compte Twitter personnel (par exemple, bloquer ou s’abonner à d’autres utilisateurs du réseau) et le devoir de réserve des journalistes concernant ce qu’ils publient comme contenu : « Les journalistes, à titre d’individus, sont libres de gérer les paramètres de leurs réseaux sociaux », explique la décision. Toutefois, « la liberté d’expression des journalistes et la libre gestion de leurs réseaux sociaux ne les soustraient pas à leur devoir déontologique d’indépendance et d’intégrité dans le contenu qu’ils produisent, qu’il soit à titre personnel ou dans le cadre de leur travail », a précisé le comité des plaintes.
La commission confirme que le comité des plaintes a jugé avec raison que la gestion des paramètres d’un compte personnel sur un réseau social ne tient pas de la déontologie journalistique et que les journalistes sont libres d’en disposer à leur guise.
La commission ajoute que l’appelant ne fait pas la preuve du lien entre l’application du guide de déontologie et l’objet de son appel qui ne porte aucunement sur le produit journalistique qu’aurait pu diffuser le journaliste sur Twitter.
L’appelant, qui compare les réseaux sociaux à une assemblée publique virtuelle, s’estime exclu du débat en étant bloqué du compte Twitter du journaliste et y voit une atteinte à sa liberté d’expression.
La commission souligne que le rôle du Conseil est d’analyser des manquements à la déontologie journalistique et que l’analyse de la liberté d’expression du public n’est pas de son mandat.
L’appelant avance que François Legault, avant qu’il devienne premier ministre, avait décidé de débloquer tout le monde sur Twitter et que la justice américaine avait interdit à Donald Trump de bloquer ses opposants sur Twitter.
La commission précise que les responsabilités des élus, imposées par la loi, n’ont pas de lien avec la déontologie journalistique.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales.
Jacques Gauthier
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier
Représentante des journalistes :
Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
Renel Bouchard