Plaignant
MM. Xavier Robillard, Marc-Olivier Gingras-Tremblay et Louis-Joseph Couturier et l’Association facultaire étudiante de science politique et droit de l’UQAM ainsi que deux plaignants en appui
Mis en cause
Mme Anne Caroline Desplanques, journaliste, M. Dany Doucet, rédacteur en chef, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
MM. Xavier Robillard et Marc-Olivier Gingras-Tremblay, ainsi que l’Association facultaire des étudiants en science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM et deux personnes en appui déposent une plainte contre la journaliste Mme Anne Caroline Desplanques, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com concernant l’article « Intimidation, harcèlement et saccage à l’UQAM », publié le 24 février 2015. Les plaignants dénoncent le non-respect d’un huis clos et l’utilisation d’un procédé clandestin, des informations inexactes, un manque d’équilibre et une illustration inappropriée.
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation et la diffamation ne sont pas considérées comme du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire. Comme le Conseil de presse ne rend pas de décisions à ce titre, le grief n’a pas été traité.
Quant au grief de sensationnalisme, il n’a pas été examiné parce que le plaignant n’a pas présenté d’argumentation.
Le quotidien Le Journal de Montréal a refusé de répondre à la présente plainte.
L’article rapporte certains des propos entendus par la journaliste lors de l’assemblée générale de l’Association facultaire des étudiants en science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM, à laquelle elle a assisté incognito. La journaliste fait également état d’une lettre signée par 14 professeurs dénonçant les grèves à répétition et le climat régnant dans l’université.
Analyse
Grief 1 : non-respect d’un huis clos et utilisation de procédé clandestin
Les trois plaignants dénoncent le fait que la journaliste n’ait pas respecté le huis clos voté par l’assemblée étudiante.
De plus, l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM considère qu’en ne s’identifiant pas, la journaliste a fait preuve de « fausse représentation » lors de sa collecte d’information. L’AFESPED rappelle que le guide de déontologie du Conseil de presse indique que l’utilisation de procédés clandestins doit être exceptionnelle et être réservée aux situations où des informations d’intérêt public ne peuvent être obtenues autrement. Selon l’AFESPED, les citations, provenant de l’assemblée, rapportées dans l’article ne sont pas des informations d’intérêt public. L’AFESPED fait valoir que les informations d’intérêt public découlant de l’assemblée sont disponibles sur le site Internet de l’Association.
Le guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP) encadre ainsi l’usage de procédés clandestins : « Le journalisme d’enquête présente des difficultés et des exigences qui justifient parfois l’usage de procédés clandestins lors de la collecte d’informations, tels que micros et caméras cachés, dissimulation d’identité, infiltrations, filatures. Le Conseil de presse reconnaît que l’on puisse et doive parfois avoir recours à de pareils procédés. Cependant, leur utilisation doit toujours demeurer exceptionnelle et ne trouver sa légitimité que dans le haut degré d’intérêt public des informations recherchées et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen de les obtenir. » (p. 16) Le DERP précise également que les journalistes doivent faire preuve de prudence et de discernement s’ils ont recours à des procédés clandestins et qu’ils doivent en faire mention dans le reportage présentant les résultats de leur enquête. (p. 26)
Il est utile ici de rappeler que la veille de l’assemblée générale dont traite la journaliste dans son article, la Cour supérieure du Québec avait rejeté une demande d’injonction interlocutoire provisoire présentée par un étudiant soutenant que les assemblées générales donnaient lieu à du harcèlement et des actes d’intimidation envers les étudiants opposés à la grève. Le jour de l’assemblée générale, des professeurs du Département de sciences politiques dénonçaient dans une lettre ouverte le vandalisme et le climat d’intimidation régnant dans le département. En réponse à cette lettre, une porte-parole de l’AFESPED avait indiqué que des mécanismes seraient mis en place pour que le débat se fasse de façon harmonieuse durant l’assemblée générale.
Malgré cette assurance donnée par l’association des étudiants, plusieurs indices pouvaient légitimement amener la journaliste à croire que des gestes d’intimidation pourraient être posés lors de l’assemblée générale, de sorte que son utilisation de procédés clandestins était justifiée.
De plus, tout indique que la journaliste avait de bonnes raisons de croire que si des gestes d’intimidation devaient se produire, elle n’aurait certainement pas pu en être témoin, si elle s’était présentée à visage découvert. À preuve, les étudiants ont demandé un huis clos.
Finalement, il ne fait aucun doute que la question du fonctionnement des institutions démocratiques étudiantes était éminemment d’intérêt public, d’autant plus que plusieurs voix s’étaient élevées, dans les jours précédents, pour dénoncer ce qui était perçu comme des signes de dysfonctionnement. Il s’agissait donc, dans le contexte des grèves étudiantes, d’un enjeu présentant assurément le haut degré d’intérêt public que réclame l’utilisation de procédés clandestins.
Au vu de ce qui précède, le Conseil juge que l’usage de procédés clandestins par la journaliste Anne-Caroline Desplanques était tout à fait conforme aux principes déontologiques reconnus en cette matière.
Le grief de non-respect d’un huis clos et utilisation de procédé clandestin est rejeté.
Grief 2 : informations inexactes
Les plaignants déplorent trois informations inexactes.
2.1 Processus de votation
Concernant le processus de votation, la journaliste écrit : « Il était, de plus, aisé de participer au vote sans être étudiant, puisqu’un simple pamphlet rose ramassé au détour d’un corridor aurait permis de voter. » Selon M. Gingras-Tremblay, il est faux d’affirmer que quiconque pouvait ramasser un carton de vote. Il fait valoir que les cartons étaient surveillés par les gens de l’accueil.
Le DERP rappelle que les journalistes doivent transmettre une information exacte. (DERP p. 26)
Les recherches du Conseil ont permis de confirmer qu’à partir d’un certain moment, il y a eu un manque de surveillance en ce qui concerne l’accès à la salle de l’assemblée générale et la distribution des pamphlets roses.
Le grief est rejeté sur ce point.
2.2 Intimidation
Dans l’article, la journaliste soutient avoir été « témoin de l’intimidation contre les opposants à la grève ». L’AFESPED soutient qu’aucun fait ne corrobore cette affirmation. L’Association estime que l’affirmation est démentie par l’extrait suivant d’un article publié dans La Presse à propos de la même assemblée générale : « un autre étudiant, qui a demandé l’anonymat, s’est réjoui, lui, du bon déroulement de l’assemblée générale, qui s’est tenue sous les auspices d’une “gardienne du senti” à laquelle tous les étudiants présents pouvaient s’adresser s’ils ne se sentaient pas respectés dans leur droit d’expression ».
Le Conseil estime que le simple fait que La Presse ait publié des témoignages d’étudiants qui n’ont pas été témoins d’intimidation lors de l’assemblée générale ne prouve pas en soi que la journaliste ait rapporté une inexactitude lorsqu’elle affirme avoir été témoin, elle, de comportements d’intimidation. Le Conseil estime que les mis en cause n’ont pas commis de faute d’inexactitude. Cependant, le Conseil croit qu’il aurait été souhaitable que la journaliste soit plus explicite quant aux cas d’intimidation dont elle a été témoin. Le grief est rejeté sur ce point.
2.3 Guérilla
Rapportant l’intervention d’un étudiant, la journaliste écrit : « “Qu’est-ce qu’il nous reste d’autre que la grève? La guérilla?” a questionné un étudiant, après qu’un sceptique eut mis en doute la pertinence d’un débrayage. » L’AFESPED considère que les propos de cet étudiant sont présentés hors contexte. Selon l’Association, il répondait sarcastiquement à quelqu’un mettant en doute la nécessité de la grève. La phrase complète de l’étudiant serait : « Quels sont nos autres moyens que la grève prolongée? La grève d’une journée? On en a fait huit, ça donne rien. La manif? On en fait tout le temps. Il reste quoi d’autre? La guérilla? »
Le Conseil considère que le plaignant n’a pas fait la démonstration que la journaliste a déformé les propos de l’étudiant cité, induisant ainsi le public en erreur sur le sens de la citation.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief pour informations inexactes est donc rejeté. Cependant, le Conseil note que d’un point de vue éthique, il aurait cependant été souhaitable que la journaliste soit plus explicite quant aux cas d’intimidation dont elle a été témoin.
Grief 3 : manque d’équilibre
Les plaignants estiment que l’article manque d’équilibre sur deux aspects.
3.1 Couverture de l’assemblée générale
M. Robillard et l’AFESPED estiment que la journaliste n’a pas respecté le principe d’équilibre dans sa couverture de l’assemblée générale. M. Robillard juge que tous les propos rapportés sont en faveur de la grève alors que des étudiants opposés à la grève ont également fait valoir leur point de vue. Il donne trois exemples tirés de l’article : « “Vive la révolte!” a lancé un étudiant, poing levé, au sortir de l’assemblée générale convoquée par l’Association facultaire des étudiants en science politique et droit », « “Qu’est-ce qu’il nous reste d’autre que la grève? La guérilla?” a questionné un étudiant, après qu’un sceptique eut mis en doute la pertinence d’un débrayage » et « Soulevée en assemblée, la question de l’emploi [lien entre les études universitaires et le marché du travail] a cependant été suivie d’une réponse cinglante d’une étudiante. “En étudiant pour se préparer au marché du travail, on reproduit le système capitaliste”, a-t-elle dit. »
L’AFESPED déplore que la journaliste n’ait assisté qu’à une plénière de 90 minutes alors que l’assemblée a duré près de 6 heures.
Le DERP établit que « Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflit entre les parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition.» (p. 26) Le DERP stipule également que « L’information livrée par les médias fait nécessairement l’objet de choix. Ces choix doivent être faits dans un esprit d’équité et de justice. Ils ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, pas plus qu’au nombre de lignes ou au temps d’antenne. Ils doivent être évalués de façon qualitative, en fonction de l’importance de l’information et de son degré d’intérêt public. » (p. 22)
À la lecture de l’article, le Conseil observe que, sur ce point, la journaliste offre au public une diversité de points de vue en témoignant indirectement de la présence et de questions soulevées par des étudiants opposés à la grève. Le Conseil estime que l’équilibre est accompli également par la publication, le lendemain, d’un deuxième article dans lequel la journaliste rapporte une plus grande diversité d’opinions. On ne saurait reprocher aux mis en cause de ne pas y parvenir dans un seul article, a fortiori lorsqu’on considère l’ampleur du conflit en question, qui durait depuis des semaines.
Le grief est rejeté sur ce point.
3.2 Réaction à la lettre des professeurs
L’AFESPED estime que la journaliste a manqué d’équilibre en ignorant les réactions étudiantes à la publication d’une lettre signée par plusieurs professeurs s’opposant aux stratégies des étudiants contestataires.
Le Conseil considère que dans le cas d’un événement qui se prolonge dans le temps, les médias n’ont pas l’obligation de traiter de toutes les réactions et épisodes qui y sont rattachés ni de les traiter dans un seul reportage. Dans l’ensemble, le Conseil considère que Le Journal de Montréal a présenté les principaux points de vue impliqués dans ce dossier.
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief de manque d’équilibre est rejeté.
Grief 4 : illustration inappropriée
L’AFESPED dénonce la juxtaposition d’une vidéo montrant des sympathisants du Black bloc lors des manifestations du printemps 2012. L’Association estime que cela crée un amalgame dans l’esprit des lecteurs entre « des actes de vandalismes, de groupes dits “casseurs”, et les membres de l’AFESPED. » Elle ajoute que rien ne permet de supposer que les actes de vandalisme sont l’œuvre de membres du l’AFESPED.
En ce qui concerne les illustrations, le DERP affirme que « [les médias] doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. » (p. 30)
Le Conseil constate que la mise en page de l’article indique que la vidéo date de 2012. Son visionnement permet de constater qu’elle n’est pas accompagnée d’une mise en contexte. On y voit des graffitis sur les murs, des manifestants à l’extérieur et à l’intérieur de l’UQAM, certains sont habillés en noir et masqués. Rien n’indique s’ils sont étudiants ou s’ils font partie d’une association étudiante.
Le Conseil estime que la vidéo n’était d’aucune manière reliée aux événements dont il était question dans l’article et induisait le public en erreur quant à la portée réelle des événements.
Le grief pour illustration inappropriée est retenu.
Refus de collaborer
Le quotidien Le Journal de Montréal et journaldemontreal.com ont refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil reproche au quotidien Le Journal de Montréal et journaldemontreal.com leur manque de collaboration pour avoir refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte la concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de l’Association facultaire des étudiants en science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM pour le grief d’illustration inappropriée et blâme le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet journaldemontreal.com. Cependant, il rejette les griefs d’information inexacte, de non-respect d’un huis clos et l’utilisation d’un procédé clandestin et de manque d’équilibre, formulés par MM. Xavier Robillard, Marc-Olivier Gingras-Tremblay et l’Association facultaire des étudiants en science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM.
Le Conseil émet également un commentaire éthique à la journaliste à l’effet qu’il aurait été souhaitable qu’elle soit plus explicite quant aux cas d’intimidations dont elle a été témoin.
Pour son manque de collaboration, en refusant de répondre à la présente plainte, le Conseil de presse blâme le quotidien Le Journal de Montréal et journaldemontreal.com
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.2)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Micheline Rondeau-Parent
- M. Adélard Guillemette
Représentants des journalistes :
- M. Vincent Larouche
- M. Marc-André Sabourin
Représentant des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C23E Enregistrement clandestin
- C24A Manque de collaboration