Plaignant
Société d’aide au développement de la collectivité de Coaticook et Mme Joanne Beaudin, directrice générale
Mis en cause
Mme Maryse Carbonneau, journaliste, M. Maurice Cloutier, rédacteur en chef et le quotidien La Tribune
Résumé de la plainte
Au nom de la Société d’aide au développement de la collectivité de Coaticook (SADC), Mme Joanne Beaudin, directrice générale de cet organisme, dépose une plainte le 27 mars 2015 contre la journaliste Maryse Carbonneau et le quotidien La Tribune, au sujet deux articles intitulés « Que se passe-t-il à la SADC de la région de Coaticook? » et « Le président “remet les pendules à l’heure” », publiés les 4 et 7 octobre 2015, respectivement. La plaignante reproche à la journaliste une information inexacte et incomplète, un abus de confiance, un manque d’équilibre ainsi qu’une partialité et un manque d’esprit critique par rapport à ses sources.
Les articles visés portent sur un roulement élevé de personnel au SADC, observé entre 2010 et 2014 et attribué à un climat de travail difficile.
Analyse
Grief 1 : Information inexacte et incomplète
1.1 Inexactitudes liées au nombre d’employés et au climat de travail (article du 4 octobre 2014)
Selon Mme Beaudin, la journaliste affirme à tort que dix employés ont quitté la SADC en raison du mauvais climat de travail. Il s’agit plutôt de huit employés, soit deux mises à pied et six départs « qui ne sont pas tous liés à un mauvais climat de travail ».
M. Maurice Cloutier, rédacteur en chef de La Tribune, réplique que « notre prétention demeure que dix personnes ont été concernées, de près ou de loin, dans cette affaire, car elles ont travaillé pour le compte de la SADC, en lien direct ou indirect avec l’organisme et ont vécu la fin de leur emploi ou la fin de leur contrat, volontairement ou involontairement, pendant la période de juin à septembre 2014. »
M. Cloutier soutient que la journaliste avait en main « la liste de tous les employés ayant quitté ou perdu leur emploi depuis l’entrée en poste de Mme Joanne Beaudin en mai 2009. Cette liste contient bel et bien dix noms de personnes. » La journaliste détenait également « des copies de correspondances rédigées par un ou plusieurs employés, adressées au président et/ou au conseil d’administration et/ou à un autre membre du conseil, dont une lettre datée du 29 novembre 2011 et signée conjointement par cinq employées ». Le rédacteur en chef ajoute que « la journaliste s’est entretenue personnellement avec huit des dix personnes. »
Quant au climat de travail difficile à l’interne, M. Cloutier affirme que « la grande majorité des témoignages recueillis et différents documents » en font état.
Dans son guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil stipule que : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (p. 26)
Sur la question du nombre d’employés ayant quitté l’organisation, le Conseil constate que deux versions contradictoires s’affrontent, soit celle de la SADC et celle des mis en cause. La différence entre ces points de vue semble découler d’une confusion entourant le statut de personnes qui auraient été des « employés » et d’autres, qui auraient « travaillé pour le compte de la SADC, en lien direct ou indirect avec l’organisme et qui ont vécu la fin de leur emploi ou la fin de leur contrat ».
Le Conseil juge que la version des mis en cause apparaît plus étayée et crédible que celle de la plaignante étant donné les informations fournies par M. Maurice Cloutier au sujet de la preuve documentaire en possession de la journaliste, ainsi que les témoignages qu’elle a recueillis. Par ailleurs, le Conseil estime que la différence entre les deux versions (un écart de 2 personnes) est peu significative, dans la mesure où les articles portent sur un roulement élevé de personnel et sur une période de quatre ans.
Sur la base des mêmes motifs, le Conseil juge plus crédible la version des mis en cause quant au climat de travail difficile ayant prévalu à la SADC.
Le grief d’inexactitudes est conséquemment rejeté sur ce point.
1.2 Inexactitude liée au nom d’une firme (article du 4 octobre 2014)
Selon Mme Beaudin, la journaliste affirme à tort que la firme André Filion & Associés inc. avait été mandatée par le C.A. du SADC, pour formuler des recommandations. Le mandat a plutôt été confié à la firme GCRH.
Mme Maryse Carbonneau précise à ce sujet qu’« il s’agit d’une erreur commise sur la base des informations fournies par une des ex-employées de la SADC interrogées […]. Cette source s’est trompée de nom ». La journaliste ajoute néanmoins que la SADC « a bel et bien eu recours à deux firmes en ressources humaines, et ce, dans la même année, ce qui a pu laisser place à une confusion sur le bon nom ».
Enfin, Mme Carbonneau souligne qu’elle n’a reçu « aucune demande spécifique de correction concernant le nom de la firme dans les jours suivant la publication de l’article, ni de la SADC, ni de l’une ou l’autre des firmes ». Si tel avait été le cas, un correctif aurait été publié, souligne-t-elle.
Mme Carbonneau admet qu’une erreur a été commise et le Conseil juge que le fait qu’elle n’ait pas validé cette information auprès d’une seconde source constitue une faute.
Le grief pour inexactitude est donc retenu sur ce point.
1.3 Erreur dans une citation du président de la SADC (article du 7 octobre 2014)
La journaliste cite ainsi le président de la SADC : « […] ils se préparaient à une opération de déstabilisation générale par sept employés ». La plaignante affirme que le président a plutôt dit : « ces employés ».
M. Maurice Cloutier admet qu’il y a eu erreur, mais que celle-ci a fait l’objet d’une correction dans les pages de La Tribune. Il précise cependant, sur la base d’un enregistrement de la conférence de presse qui est l’objet de l’article, que le président a dit « cet » employé, et non « ces » employés, comme le prétend la plaignante. Cette homonymie explique l’erreur, selon M. Cloutier.
Le Conseil constate qu’une faute a été commise, admise puis corrigée promptement.
Le grief d’information inexacte est donc retenu sur ce point.
1.4 Omission de mentionner les réalisations positives de la SADC (article du 4 octobre 2014)
La plaignante juge que la journaliste aurait dû présenter des aspects positifs de la SADC comme l’embauche d’une nouvelle directrice générale visant à réorganiser et restructurer l’organisme, les réalisations de la SADC depuis cinq ans ainsi que la satisfaction des employés, des clients et des partenaires actuels.
M. Maurice Cloutier réplique que « le travail de journaliste n’est pas seulement celui d’être le porte-voix des bons coups d’une organisation ou d’une communauté. Le travail d’un journaliste est aussi de poser des questions et de poser un regard sur certaines situations même délicates lorsque des éléments sont portés à son attention ».
Le Conseil estime que le choix éditorial de ne pas inclure ces éléments dans le reportage de la journaliste appartenait aux mis en cause. L’exclusion de ces éléments, qui n’étaient pas essentiels pour la compréhension du sujet par le public, étant donné l’angle choisi, n’a pas eu pour conséquence de rendre l’information incomplète.
Le grief d’information incomplète est donc rejeté sur ce point.
1.5 Omission de mentionner une obligation en vertu d’une loi (article du 4 octobre 2014)
Mme Joanne Beaudin juge que la journaliste aurait dû mentionner l’obligation du président et de la directrice de respecter la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. C’est en raison de cette loi qu’ils ne pouvaient divulguer d’information au sujet de leurs employés.
M. Cloutier affirme que Mme Carbonneau a bel et bien indiqué dans son texte que la direction de la SADC était soumise à la Loi sur la protection des renseignements personnels [dans le secteur privé].
Le Conseil note que dans son article, Mme Carbonneau cite une première fois la directrice générale de la SADC, lorsqu’elle explique qu’elle ne peut faire de commentaires : « Par respect pour les gens qui ont quitté ou avec qui nous avons cessé le lien d’emploi, il ne m’est pas possible de commenter. » La journaliste cite la directrice une seconde fois à ce sujet : « Par devoir de confidentialité, ce qui arrive à la SADC, ce n’est pas quelque chose dont on veut parler sur la place publique. »
Aux yeux du Conseil, la journaliste a fourni au public toutes les informations nécessaires pour une bonne compréhension du sujet.
Pour cette raison, le grief d’information incomplète est rejeté sur ce point.
Au vu de tout ce qui précède, le grief d’information inexacte est retenu. Cependant le grief d’information incomplète est rejeté.
Grief 2 : abus de confiance
Mme Joanne Beaudin déplore que la journaliste n’ait « jamais mentionné lors de son appel téléphonique qu’elle écrivait un article ».
M. Maurice Cloutier réplique que « la journaliste a communiqué avec le président de la SADC et la directrice générale en s’identifiant clairement comme étant “Maryse Carbonneau du journal La Tribune”. » Selon lui, « cette déclinaison de son identité et les questions formulées démontraient clairement que les appels téléphoniques étaient réalisés pour recueillir des commentaires dans le cadre de la préparation d’un article ». M. Cloutier ajoute que « les plaignants reconnaissent que le travail de Mme Carbonneau pour le compte de La Tribune est connu et reconnu ».
Dans son guide de déontologie, le Conseil souligne que les médias et les journalistes « doivent éviter de glisser dans ce que l’on pourrait appeler du “journalisme d’embuscade” où l’objectif apparaît davantage de piéger les personnes ou les instances mises en cause dans l’enquête que de servir l’intérêt public ». (DERP, p. 27)
La plaignante mentionne que « Mme Carbonneau est connue de plusieurs membres [du conseil d’administration de la SADC] ». Elle ajoute que cette journaliste « couvre plusieurs événements de notre collectivité ». Selon le Conseil, cette connaissance de Mme Carbonneau et de son travail de journaliste ne laisse aucun doute quant à ses motivations, lorsqu’elle les contacte à titre professionnel et leur pose des questions.
Dans le cas présent, en se présentant comme journaliste et en posant ses questions, il était évident que la journaliste appelait les plaignants afin de publier un article. Le Conseil ne voit rien, dans la démarche de Mme Carbonneau, qui pouvait s’apparenter à un piège ou une forme d’abus de confiance.
Conséquemment, le grief d’abus de confiance est rejeté.
Grief 3 : manque d’équilibre
Mme Beaudin estime qu’en ignorant le point de vue des employés satisfaits du climat de travail, la journaliste n’a pas traité l’information d’une façon équilibrée. Par exemple, dans l’article du 4 octobre, Mme Carbonneau cite anonymement un employé qui critique les conclusions de la firme GCRH, à l’effet qu’un bon climat de travail règne à la SADC. La plaignante juge qu’elle aurait dû citer également les autres employés interviewés et satisfaits du climat de travail. Elle estime également que dans l’article du 7 octobre, la journaliste aurait dû citer les deux employés de la SADC qui ont livré un témoignage favorable à l’organisme lors de la conférence de presse.
M. Cloutier souligne que « la grande majorité des témoignages recueillis et différents documents font état d’un climat de travail difficile à l’interne ». Cependant, la version des faits des dirigeants de la SADC a été incorporée dans le premier article. De plus, le deuxième article était un compte-rendu d’une conférence de presse organisée par la SADC, qui désirait « mettre les pendules à l’heure ».
Dans son guide, le Conseil mentionne que : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (DERP, p. 26)
Le Conseil constate, à la lecture des deux articles, que les dirigeants de la SADC ont amplement eu l’occasion d’exprimer leur opinion. Le texte du 7 octobre, notamment, centré exclusivement sur la conférence de presse organisée par la direction, donne une place prépondérante au point de vue des dirigeants de l’organisme. Étant donné ces faits, il n’y a pas de déséquilibre dans l’expression des points de vue dans les deux articles.
Le grief de manque d’équilibre est donc rejeté.
Grief 4 : partialité et manque d’esprit critique à l’égard d’une source
Mme Beaudin estime que les articles de la journaliste sont teintés par un parti pris pour ses détracteurs, en raison des témoignages négatifs retenus, de l’importance donnée à la thèse d’un mauvais climat de travail à la SADC et de l’omission d’informations favorables à l’organisme.
La plaignante met de plus en doute l’impartialité de la journaliste en raison d’un courriel que celle-ci a envoyé la semaine précédant la publication de l’article à M. Claude Moreau, un employé mis à pied par la SADC. Dans ce courriel, la journaliste écrit : « Johanne [Beaudin] stressée? Intéressant. Mon texte préliminaire est écrit et je compte prendre rendez-vous avec la SADC la semaine prochaine. » Selon Mme Beaudin, « ce genre de commentaire, de la part d’une journaliste qui n’a pas encore contacté la SADC […] nous fait vraiment douter de l’impartialité de Mme Carbonneau, car elle n’a toujours qu’une version des faits, mais elle semble avoir déjà pris parti ».
Enfin, Mme Beaudin signale que dans le même courriel, la journaliste écrit, à l’intention de M. Moreau : « ton nom est sur la liste des personnes qui auront un accès privilégié à mon texte avant publication », ce qui est contraire à la déontologie journalistique, selon la plaignante.
De son côté, M. Cloutier admet que « l’article initial a pu déplaire aux dirigeants de la SADC », mais affirme que la journaliste l’a rédigé en se basant « sur des faits et des commentaires recueillis sur une longue période ».
Au sujet de l’accès privilégié à l’article du 4 octobre, M. Cloutier admet que c’« était une erreur » faite de bonne foi afin de « rassurer certaines sources quant à la protection de leur anonymat ». Il souligne qu’il est intervenu auprès de la journaliste, afin qu’elle informe ses sources qu’elle ne pouvait respecter cet engagement. Dans les faits, la journaliste n’a jamais soumis son texte à aucune source avant sa publication, affirme M. Cloutier.
Le guide de déontologie stipule qu’« en ce qui a trait à la nouvelle et au reportage, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité ». (DERP, p. 26)
On peut lire également, dans le guide : « Il est par ailleurs d’égale importance qu’ils [les journalistes] fassent preuve d’esprit critique, tant à l’égard de leurs sources que des informations qu’ils en obtiennent. Les professionnels de l’information ne doivent en aucun temps soumettre leur production journalistique à l’approbation d’une source avant publication ou diffusion. » (DERP, p. 32)
Dans un premier temps, le Conseil constate, à la lecture des deux articles, que Mme Carbonneau se contente de rapporter les faits, de citer les témoignages de sources ou de présenter le contenu de documents qui étayent les allégations qu’elle présente. À aucun moment, elle ne donne son opinion ou ne livre un commentaire. Aucune partialité ne se dégage des textes, à leur face même.
Dans un deuxième temps, le Conseil ne décèle pas de signe évident de partialité, de la part de la journaliste, dans le courriel adressé à M. Claude Moreau, et notamment lorsqu’elle écrit « Johanne stressée? Intéressant ». Il est difficile d’interpréter le sens exact de cette remarque, qui ne peut constituer à elle seule un fondement solide pour établir un parti pris, de la part de Mme Carbonneau.
Dans un troisième temps, le Conseil souligne que la journaliste n’a jamais réalisé son engagement à donner à ses sources un accès à son article avant sa publication. Au surplus, il est à noter que cet engagement semblait avoir pour objectif non pas l’approbation des sources, mais de rassurer celles-ci au sujet de la protection de leur anonymat. Le Conseil rappelle que la déontologie exige des journalistes qu’ils protègent l’anonymat des sources envers qui ils se sont engagés explicitement à respecter leur confidentialité. Dans ce contexte, la journaliste n’a commis aucune faute, aux yeux du Conseil.
Pour ces raisons, le grief de partialité et de manque de distance critique à l’égard d’une source est rejeté.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Joanne Beaudin, pour le grief d’information inexacte, mais absout la journaliste et le quotidien La Tribune, en raison du caractère bénin des fautes commises qui ne portent pas à conséquence quant à la compréhension du contenu et en raison de la promptitude du mis en cause à apporter un correctif. Par ailleurs, les griefs d’information incomplète, d’abus de confiance, de manque d’équilibre, de partialité et de manque de distance critique à l’égard d’une source sont rejetés.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- Mme Caroline Belley
- M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
- M. Sylvain Poisson
- M. Luc Simard
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C23D Tromper sur ses intentions