Plaignant
Association canadienne pour les armes à feu (ACAF) et Mme Ginger Fournier, directrice générale
Mis en cause
MM. Baptiste Ricard-Châtelain, journaliste et Pierre-Paul Noreau, éditeur adjoint, le quotidien Le Soleil et le site lapresse.ca
Résumé de la plainte
Mme Ginger Fournier, directrice générale de l’Association canadienne pour les armes à feu (ACAF), dépose une plainte contre M. Baptiste Ricard-Châtelain, journaliste, relativement à un article paru dans le quotidien Le Soleil et le site lapresse.ca, le 27 mars 2015. La plaignante déplore l’utilisation abusive, de la part de M. Ricard-Châtelain, d’un procédé clandestin et relève des inexactitudes dans son article.
L’article porte sur la tenue du congrès annuel de l’Association canadienne pour les armes à feu (ACAF) pour la première fois dans un milieu francophone, à Québec, les 22 et 23 mai 2015. Le journaliste rapporte des informations sur l’Association : vocation, nature et objet de ses activités, rayonnement au pays, etc., et recueille les réactions de la Coalition pour le contrôle des armes à feu face à la venue de l’ACAF à Québec.
Analyse
Grief 1 : utilisation abusive d’un procédé clandestin
Dans son article, M. Baptiste Ricard-Châtelain cite Mme Fournier et affirme l’avoir jointe. Or, « Madame Fournier n’a pas souvenir d’avoir discuté de l’assemblée générale annuelle (AGA) avec un journaliste », affirme Me Guy Lavergne, qui représente la plaignante.
Me Lavergne ajoute qu’« il appert donc que si le journaliste a bel et bien discuté avec madame Fournier, il ne lui a pas révélé son statut. Madame Fournier a souvenir d’avoir discuté de l’AGA avec des sympathisants et avec au moins un opposant, mais non avec un journaliste. Le journaliste aurait donc menti, en prétendant avoir interviewé madame Fournier ou encore [avoir] utilisé des tactiques d’embuscade, pour obtenir des informations ».
Me Patrick Goudreau, pour les mis en cause, affirme au contraire que M. Ricard-Châtelain a eu un entretien téléphonique le 26 mars 2015 avec Mme Fournier et qu’il s’est identifié comme journaliste.
Les mis en cause produisent en preuve la copie de sept pages du carnet de notes manuscrites du journaliste. Ces notes sont datées du 26 mars 2015 et auraient été prises lors de l’entrevue avec Mme Fournier.
Dans son guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil stipule que : « L’éthique journalistique commande que les journalistes, dans l’exercice de leur profession, s’identifient clairement et recueillent l’information à visage découvert […]. Le recours à des procédés clandestins doit donc demeurer exceptionnel et doit se justifier par le fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir les informations recherchées. Les médias et les journalistes doivent par conséquent faire preuve de prudence et de discernement dans le recours à de tels procédés. Ils doivent également en informer le public lors de la diffusion des résultats de leur enquête. » (p. 26)
D’une part, le Conseil évalue que le fait que M. Ricard-Châtelain soit capable de fournir la date de l’entretien (le 26 mars 2015), ainsi que des notes détaillées de l’entrevue, dans lesquelles on reconnaît les citations de Mme Fournier et les coordonnées d’autres membres de l’Association, contribuent à la crédibilité de la version selon laquelle une entrevue a effectivement eu lieu.
D’autre part, le journaliste a fourni des courriels comportant sa signature professionnelle envoyés à d’autres membres de l’ACAF le même jour (le 26 mars 2015). Cela n’est pas compatible avec l’hypothèse selon laquelle M. Ricard-Châtelain aurait choisi de ne pas se présenter à visage découvert auprès des représentants de l’ACAF, incluant Mme Fournier. Cet élément contribue plutôt à la vraisemblance qu’il ait effectué l’ensemble de ses démarches en toute transparence.
De son côté, la plaignante ne réussit pas à convaincre le Conseil en se limitant à affirmer qu’elle « n’a pas souvenir » de s’être entretenue avec un journaliste et que, conséquemment, M. Ricard-Châtelain a forcément fait une utilisation abusive d’un procédé clandestin. Cette version apparaît moins crédible aux yeux du Conseil.
Pour ces raisons, le grief d’utilisation abusive d’un procédé clandestin est rejeté.
Grief 2 : informations inexactes
2.1 Inexactitude relative au passage : « Il [le lobby qu’est l’ACAF] milite en outre pour la levée d’interdits au sujet de différents modèles semi-automatiques, comme le M-16. »
Me Lavergne relève que le M-16 n’est pas une arme semi-automatique et que « l’ACAF mène une campagne pour la reclassification de l’AR-15 (et non de la M-16) », deux armes qu’il ne faut pas confondre.
Pour appuyer ses dires, Me Lavergne explique les différences techniques entre les deux armes : d’une part le M-16 est une arme classée dans la catégorie des armes automatiques et prohibées en vertu du Code criminel canadien et de la Loi sur les armes à feu; d’autre part, le AR-15 est une arme semi-automatique classée « à autorisation restreinte ».
Me Lavergne fait par ailleurs appel à un expert, M. Jacques Langevin, qui confirme dans un affidavit soumis au Conseil que « la récente pétition de l’ACAF visant le changement de statut de la carabine AR-15 vise clairement et uniquement les versions semi-automatiques courantes de la AR-15 […] et non la M-16 ».
Me Lavergne ajoute qu’« il est important de noter que la pétition de l’ACAF vise le modèle (sic) et non le M-16 ».
Me Patrick Goudreau, pour les mis en cause, mentionne que selon les sources consultées par M. Ricard-Châtelain, « le AR-15 fait partie de la famille des M-16 ».
Dans son guide de déontologie, le Conseil souligne que : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (DERP, p. 26)
Dans son analyse, le Conseil se restreint à l’objet du passage visé, soit ce pour quoi l’ACAF milite. Il ne s’agit donc pas de déterminer si le journaliste a fait une erreur technique au sujet du M-16, mais bien d’établir s’il reflète fidèlement ce que communique l’ACAF dans sa pétition.
D’emblée, le Conseil souligne qu’il n’est nullement fait mention, dans la pétition, du fusil AR-15 qui, selon les plaignants, est censé être l’objet de la demande de reclassification de l’ACAF.
Le Conseil constate plutôt que l’objet de cette pétition est « d’abroger l’item 2 de la partie 2 de l’annexe au Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte. »
Or, l’item 2 de la partie 2 de l’annexe du Règlement que l’ACAF désire abroger est présenté, dans la pétition, comme désignant armes à feu à autorisation restreinte « [l]’arme à feu du modèle communément appelé fusil M-16, ainsi que l’arme à feu du même modèle qui comporte des variantes ou qui a subi des modifications. » [les soulignements sont du Conseil].
Selon le Conseil, ce texte indique au lecteur moyen, s’il arrive à en comprendre quelque chose, que l’Association souhaite la reclassification, afin qu’elles ne soient plus à autorisation restreinte, de la M-16 ainsi que d’autres armes à feu du même modèle ayant été modifiées.
Enfin, la nuance à l’effet que la pétition vise des armes du même modèle que le M-16, et non le M-16 lui-même, est loin d’être à la portée de la compréhension de tous. Par exemple, la formulation « armes à feu semi-automatiques qui sont du même modèle que le fusil M-16 », qui est utilisée à plusieurs reprises dans la pétition, peut très vraisemblablement être interprétée par le non-initié comme une indication que le fusil M-16 est une arme à feu semi-automatique.
Le Conseil est d’ailleurs d’avis que si l’objectif de l’ACAF est de reclassifier l’AR-15 et qu’elle juge qu’il est important de ne pas confondre cette arme avec la M-16, il lui faut à tout prix réécrire sa pétition, qui est pour le moins confondante.
Dans ce contexte, M. Ricard-Châtelain n’a pas déformé la réalité, mais plutôt reflété ce qu’il pouvait raisonnablement comprendre de l’objet de la pétition de l’ACAF.
Le grief d’information inexacte est rejeté sur ce point.
2.2 Inexactitude dans le passage : « La caravane de promotion des armes à feu »
En décrivant ainsi le congrès annuel de l’ACAF, M. Ricard-Châtelain ne dépeint pas la réalité, selon Me Lavergne, qui souligne que « le but d’un congrès est de prendre le pouls des membres et non pas de faire la promotion d’un produit ». Il ajoute que l’ACAF « ne cherche pas à convaincre les gens qui n’en veulent pas [d’armes à feu] de s’en procurer. L’ACAF n’est liée à aucun intérêt commercial. »
Me Goudreau fait valoir, pour les mis en cause, que « l’ACAF est un lobby auprès des gouvernements. […] Elle milite ouvertement pour l’assouplissement des législations entourant les armes à feu. »
Me Goudreau cite le Commissaire au lobbyisme du Québec qui mentionne, sur son site Internet : « En termes généraux, un lobby est un groupe de pression ou d’intérêts qui s’organise pour promouvoir un dossier ». L’avocat conclut : « Nous sommes donc d’avis qu’un lobby fait de la promotion. Ainsi, nous pouvons en déduire que l’ACAF fait de la promotion des armes à feu. »
Le Conseil constate que dans l’onglet « À propos de la NFA », sur le site de l’Association, son action politique est définie de la façon suivante : « “La voix des armes à feu à Ottawa”. Cette phrase décrit exactement l’un des rôles majeurs de l’Association nationale pour les armes à feu. »
En tenant compte de ce slogan, de la mission générale que se donne l’ACAF de défendre les droits et les intérêts des propriétaires d’armes à feu et du nom même de l’Association nationale pour les armes à feu, le Conseil juge qu’il n’est pas abusif d’affirmer que l’ACAF fait la promotion des armes à feu.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur ce point.
2.3 Inexactitude dans le passage : « Malheureusement, nous n’avons pas reçu de réponses à nos appels aux contacts qui nous avaient été fournis par l’ACAF. Même le responsable des communications n’avait pas répondu au moment d’écrire ces lignes. »
Me Lavergne prétend que cette affirmation est fausse, puisque l’ACAF, soutient-il, n’a pas fourni de liste de contacts au journaliste. L’avocat affirme par ailleurs qu’« en aucun temps » le journaliste « n’a tenté de contacter Monsieur Blair Hagen, notre vice-président en charge des communications ».
Me Goudreau affirme au contraire que M. Ricard-Châtelain a, sur recommandation de Mme Ginger Fournier, tenté de rejoindre M. Blair Hagen à deux reprises par téléphone, vers le 26 mars 2015. Les mis en cause joignent à leur réplique un courriel envoyé par le journaliste à M. Hagen, à la même date.
Me Goudreau affirme également que Mme Fournier a fourni les coordonnées de MM. Claude Colgan et Steve Buddo à M. Ricard-Châtelain et soumet au Conseil un courriel envoyé par le journaliste à ces deux porte-parole le 26 mars.
D’une part, le Conseil évalue que le courriel envoyé par M. Ricard-Châtelain à M. Hagen est un élément qui confère de la crédibilité à la version des mis en cause. De son côté, la plaignante n’apporte aucun élément convaincant à sa version selon laquelle le journaliste n’a pas tenté de contacter M. Hagen.
D’autre part, le courriel envoyé à MM. Buddo et Colgan, qui s’amorce comme suit : « Bonjour, Ginger Fournier me réfère à vous », va dans le sens de la version du journaliste, qui affirme que Mme Fournier lui a fourni des contacts. De son côté, la plaignante n’apporte aucun élément susceptible de convaincre le Conseil qu’elle n’a pas fourni de contacts au journaliste.
Le Conseil estime conséquemment que la version des mis en cause est plus plausible et conclut que M. Ricard-Châtelain n’a pas livré une information inexacte dans le passage visé par la plaignante.
Le grief d’inexactitude est donc rejeté sur ce point.
Au vu de tout ce qui précède, le grief d’informations inexactes est rejeté.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Ginger Fournier contre M. Baptiste Ricard-Châtelain, journaliste, le quotidien Le Soleil et le site lapresse.ca, pour les griefs d’utilisation abusive d’un procédé clandestin et d’informations inexactes.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- Mme Audrey Murray
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C23D Tromper sur ses intentions