Plaignant
Mme Mélanie Mercier (Plaignant 1)
M. Mathieu St-Gelais (Plaignant 2)
M. Peire-Joel Brunnemer (Plaignant 3)
34 appuis
Mis en cause
MM. Jean-François Fillion, animateur et Jean Martin, directeur général, l’émission « Le Choi de Jeff » et la station de radio NRJ 98,9
Résumé de la plainte
Mme Mélanie Mercier et MM. Mathieu St-Gelais et Peire-Joel Brunnemer déposent une plainte les 9 et 11 juin 2015 contre M. Jean-François Fillion, ainsi que la station NRJ 98,9, concernant l’émission « Le Choi de Jeff » diffusée le 9 juin 2015. Les plaignants dénoncent des propos et un ton méprisants et haineux.
Dans le segment de l’émission dénoncé, l’animateur déplore la trop grande couverture accordée par RDI au blogueur Raif Badawi, condamné à 1000 coups de fouet par la justice saoudienne.
Analyse
Grief 1 : propos et ton méprisants et haineux
Les plaignants considèrent que l’animateur tient des propos méprisants et haineux lorsqu’il soutient que Raif Badawi mérite son sort et les coups de fouet auxquels il est condamné. Ils déplorent également l’utilisation des termes « cave » et « toton » dans l’extrait suivant :
« Jean-François Fillion : Le retour de Gilles Duceppe, ça fait triper RDI. Ça va peut-être les faire débander de… comment il s’appelle, Badoui? Badioui? Raif Badawi. […]
Awoueille des coups de fouet, we don’t care. C’est-tu un Canadien? Pourquoi on s’occupe de ça? […] Il est allé dans une place où aller challenger le pouvoir, le système pis la religion c’est peut-être pas une bonne idée. On appelle ça courir après la marde. […] Ce qu’il faut pas faire, c’est ça là. S’en aller, pis commencer à jouer au genre de super héros pour essayer de remettre l’Arabie saoudite avec les valeurs occidentales. Faut vraiment être un toton. […]
Il savait qu’il se mettait dans marde. Il court après la marde. […] Il a joué au fanfaron et là, il a l’air innocent. […] Il s’est mis dans la marde, qu’il s’en sorte lui-même. […]
Coanimateur : Le gars est dans un des pays les plus totalitaires de la planète. Et il veut changer ça avec un blogue et écoeurer tout le monde?
J-F. F. : Ct’un cave!
Coanimateur : J’m’excuse, mais les coups de fouet, il va les avoirs. […]
J-F. F. : Non, non, c’est pas des convictions, c’est un toton! […] D’après moi, il le regrette un peu d’ailleurs. […] RDI voudrait toujours que ce soit dans notre cour. Là c’est sûr qui sont débarqués un peu, il y a un policier qui a été tué, un cop killer in Edmonton. Quelle merde. Il n’y a rien de pire. Ça, c’est écoeurant. »
Le directeur général de la station de radio fait valoir que l’animateur exprimait son opinion « en tant que chroniqueur » et qu’il n’a pas commis de manquement déontologique. Il rappelle que le Conseil de presse « reconnaît que les radiodiffuseurs peuvent présenter des commentaires et opinions, qui sont caractérisés par une très grande liberté d’expression quant aux opinions, prises de position, critiques et choix du ton utilisé pour exprimer ce type de commentaires. » Il ajoute : « le code reconnaît clairement que le journalisme d’opinion et les commentaires éditoriaux sont la manifestation de la liberté d’expression et de la liberté de presse, deux principes fondamentaux et indispensables dans une société démocratique. » Notant que ce type d’émission aborde des sujets controversés, le directeur général de la station estime que « ces propos ne se voulaient pas haineux ni indûment discriminatoires, mais plutôt une critique sociale d’une politique nationale et étrangère. »
Le guide de déontologie du Conseil de presse, Droits et responsabilités de la presse (DERP), stipule que : « Le journalisme d’opinion accorde aux professionnels de l’information une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, commentaires, opinions, prises de position, critiques, ainsi que dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour ce faire. » (p. 17) Cependant, il précise également : « [Les médias et les professionnels de l’information] doivent impérativement éviter d’utiliser, à l’endroit des personnes ou des groupes, des représentations ou des termes qui tendent à soulever la haine et le mépris, à encourager la violence ou encore heurter la dignité d’une personne ou d’une catégorie de personnes en raison d’un motif discriminatoire. » (p. 41)
Dans sa jurisprudence (cf. D2014-05-117), le CPQ établit que des propos sont haineux s’ils incitent à la violence et/ou à l’exécration et au dénigrement d’une personne ou d’un groupe. Quant au mépris, il se définit comme un sentiment par lequel on considère quelqu’un comme indigne d’estime, comme moralement condamnable. (Le Petit Robert, p. 1610, édition 2002)
Après écoute du segment d’émission mis en cause, la majorité des membres du comité des plaintes (4/6) considère que la phrase « Awoueille des coups de fouet, we don’t care » est haineuse puisqu’elle encourage l’exécration et le dénigrement, compte tenu de la gravité de la peine à laquelle fait face M. Badawi, et de la menace qu’elle pose pour sa santé et sa vie. Ces quatre membres du comité ont également considéré que la répétition des expressions « toton » et « cave » attise le mépris envers M. Badawi. Ils estiment qu’il était possible de commenter la situation de M. Badawi sans tomber dans l’expression de propos soulevant le mépris et la haine.
Deux membres ont exprimé leur dissidence en soulignant que la très large liberté d’expression, dont jouit M. Fillion à titre de journaliste d’opinion, lui permettait de commenter comme il l’a fait la situation de M. Badawi. Selon eux, le journaliste est demeuré dans les limites permises par la déontologie journalistique.
Le Conseil retient, à la majorité (4 membres sur 6), le grief pour propos et ton méprisants et haineux.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à la majorité (4/6), la plainte de Mme Mélanie Mercier, ainsi que celles de MM. Mathieu St-Gelais et Peire-Joel Brunnemer et blâme M. Jean-François Fillion et la station NRJ 98,9 pour propos et ton méprisants et haineux.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Paul Chénard
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
- M. Gilber Paquette
- M. Pierre-Paul Noreau
Analyse de la décision
- C17C Injure