Plaignant
M. Raymond Gaudin
Mis en cause
M. Charles Desmarteau, éditeur et l’hebdomadaire La Relève
Résumé de la plainte
M. Raymond Gaudin dépose une plainte le 8 juin 2015 contre l’hebdomadaire La Relève et dénonce un manque d’équilibre dans sa couverture du projet de construction d’un complexe aquatique à Boucherville. Il reproche de plus à l’hebdomadaire d’avoir complètement omis de traiter de la controverse entourant la nomination du nouveau directeur général de la Ville, M. Roger Maisonneuve.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
Le plaignant allègue que les activités et revendications d’un groupe de citoyens dont il a fait partie, qui s’était opposé à la construction d’un complexe aquatique par la Ville de Boucherville, n’ont pas été couvertes par l’hebdomadaire La Relève, alors qu’au contraire, la position défendue par la Ville a été amplement relayée.
Il fait premièrement valoir « qu’un porte parole [de leur groupe] a posé des questions [lors de séances de conseils municipaux] sur le projet (avant et après les règlements d’emprunt) sur une période d’environ 1 an. Durant ce temps, “La Relève” n’a jamais fait mention de notre groupe de citoyens qui a informé la population sur le projet […] et ses objections ». Il ajoute que « jamais un journaliste ne nous a consulté pour nous demander nos raisons de notre opposition à ce projet » (sic).
M. Charles Desmarteau, éditeur de La Relève, répond d’abord que « ce groupe de citoyens ne s’est jamais fait connaître publiquement à titre de comité et est demeuré dans l’ombre durant la période préparatoire au projet d’emprunt relatif au complexe aquatique. Il n’y a eu aucune rencontre avec les médias, aucune invitation non plus. Qui faisait partie de ce comité? Quels étaient leurs véritables intérêts? Pourquoi est-ce demeuré anonyme? Questions sans réponse… Tout au long de cette longue démarche qui s’est échelonnée sur plusieurs mois, il n’y a pas eu de mouvement de contestation populaire dans la communauté bouchervilloise face à ce projet de complexe aquatique ».
En matière d’équilibre, le guide des Droits et responsabilités de la presse (DERP) du Conseil précise que « Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (p. 26)
Le Conseil a procédé à une analyse détaillée de la couverture, somme toute importante, du projet de construction d’un complexe aquatique par la Ville de Boucherville parue dans l’hebdomadaire La Relève, et donne raison au plaignant en ce qui a trait au manque de couverture des activités du groupe de citoyens dont il faisait partie.
En effet, le Conseil ne peut retenir la version des faits présentée par le mis en cause voulant qu’aucun mouvement de contestation populaire ne s’était opposé au projet, et ce, pour au moins deux raisons : d’abord parce que plus de 900 citoyens de Boucherville ont signé un registre pour demander à la Ville d’annuler le règlement d’emprunt adopté pour financer le projet, soit assez pour forcer la tenue d’un référendum (qui n’aura cependant jamais eu lieu), ensuite parce que le mis en cause lui-même avoue avoir dans ses archives une copie des différents pamphlets distribués par le groupe aux citoyens de la municipalité. Il existait donc, à l’évidence, un mouvement de contestation, que le mis en cause connaissait.
Considérant que la question de la construction d’un complexe aquatique suscitait de toute évidence des inquiétudes tout à fait légitimes quant à l’utilisation de fonds publics, le Conseil juge que l’hebdomadaire La Relève devait informer le public sur les doléances exprimées par les opposants au projet, dont le groupe de M. Gaudin faisait partie.
Le grief de manque d’équilibre est retenu sur ce point.
M. Gaudin déplore, dans un deuxième temps, que « le courrier des lecteurs est réservé aux personnes (et organismes sportifs) qui militent pour le projet (sauf 2 commentaires) ».
En ce qui a trait à la publication d’un plus grand nombre de lettres favorables au projet, le mis en cause réplique que « toutes les lettres reçues (9) ont été publiées : 4 en faveur, plus 2 par des organismes sportifs accrédités de Boucherville et 3 contre le projet, dont celle de Monique Reeves, ex-conseillère municipale de l’Équipe Francine Gadbois ».
Quant à la publication des lettres de lecteurs, le guide prévoit que les médias « peuvent refuser de publier certaines lettres, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris, une inimitié ou encore par le désir de taire une information d’intérêt public qui serait contraire au point de vue éditorial ou nuirait à certains intérêts particuliers. » (DERP, p. 38)
Le Conseil ne retient pas le deuxième volet du grief pour manque d’équilibre, relatif cette fois à la publication de lettres de lecteurs, puisqu’au moins deux lettres dénonçant le projet de complexe aquatique ont effectivement été publiées, d’une part, mais surtout parce que le plaignant n’a pas fait la démonstration que d’autres lettres auraient été rejetées sur la base des motifs que réprouve la déontologie journalistique. Le média a ainsi respecté l’obligation qu’il avait de témoigner d’une diversité de point de vue.
Le grief de manque d’équilibre est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief de manque d’équilibre est retenu concernant l’absence de couverture des activités et des revendications d’un groupe de citoyens par La Relève.
Grief 2 : absence de couverture d’un événement d’intérêt public
Le plaignant reproche dans un deuxième temps à La Relève d’avoir omis de couvrir un événement important pour les citoyens de Boucherville : le fait que la nomination de M. Roger Maisonneuve à titre de directeur général de la Ville a fait l’objet d’une plainte au Ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) et que la Commission municipale du Québec (CMQ) avait ouvert une enquête. La plainte portait sur le fait que M. Maisonneuve a été l’agent officiel du maire de Boucherville, Jean Martel, lors de la dernière campagne électorale, qu’il n’avait aucune expérience en matière de politique municipale et qu’aucun appel de candidatures n’avait été lancé avant son embauche.
Le plaignant fait remarquer que plusieurs médias de la région ont couvert cet événement : Radio-Canada, TVA, Boom FM et La Seigneurie. Il précise qu’en ce qui a trait à La Relève, il « n’y a eu aucun article (pas une ligne) sur cela, et ce, depuis plus de 3 mois. »
Le mis en cause, pour sa part, réplique que l’embauche elle-même de M. Maisonneuve à titre de directeur général a fait l’objet de trois articles dans La Relève.
Finalement, le plaignant rétorque que « La Relève a publié 2 articles, 1 à sa nomination et 1 à son arrivée en poste, contrairement à 3 que M. Desmarteau nous mentionne. Mais il est inconcevable et inacceptable que la Relève n’a pas informé la population (qui paiera les frais d’avocats) que M. Martel (maire) subira une enquête publique en déontologie de la [Commission] municipale du Québec. C’est très important, ce n’est pas un événement banal. »
Deux principes fondamentaux de la déontologie journalistique s’affrontent ici. D’une part, comme le rappelle le DERP : « La liberté de la presse et le droit du public à l’information s’appliquent dans le contexte de l’information véhiculée par les médias et par les professionnels de l’information; leur fonction première est de livrer à la population une information exacte, rigoureuse, complète sur toute question d’intérêt public. Il est difficile de définir la notion d’intérêt public. Cette notion n’est pas statique, mais en constante mouvance. Elle demeure générale et n’a de sens que si elle est appliquée à une société et à une époque donnée. Néanmoins, il est possible de prétendre que la notion d’intérêt public en information s’étend à tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société.
En raison de leur fonction sociale, les médias et les professionnels de l’information doivent évaluer ce qui est d’intérêt public. Ce faisant, ils doivent tenir compte de ces variables en faisant abstraction de leurs intérêts personnels et de leurs préjugés. Les choix rédactionnels en la matière relèvent de leur jugement et doivent être faits en toute indépendance et demeurer libres de toutes contraintes autres que celles qui découlent de l’exercice de leur fonction et des législations en vigueur. » (DERP, pp. 7-8)
Or, le même guide consacre également le principe de la liberté rédactionnelle dont doivent jouir les médias et les journalistes, et qui découle directement du droit à la liberté d’expression : « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées, relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes. Il leur appartient aussi de déterminer les genres journalistiques qu’ils utilisent pour le traitement des informations recueillies. » (DERP, p. 14)
Il importe en premier lieu de souligner que, comme le rappelle le plaignant dans son commentaire à la réplique du mis en cause, les articles auxquels M. Desmarteau se réfère ne font aucune mention de l’enquête amorcée par la Commission municipale du Québec.
Or selon le Conseil, il s’agissait d’un événement qui présentait un très haut degré d’intérêt public, et en conséquence les lecteurs du journal La Relève étaient en droit de s’attendre à ce que cet événement soit couvert dans leur journal. Autrement dit, il s’agissait d’une information « nécessaire » afin qu’un citoyen « participe pleinement à la vie en société », pour reprendre les termes du DERP, et omettre d’en parler constituait en conséquence une atteinte au droit du public à l’information.
Le grief pour absence de couverture d’un événement d’intérêt public est donc retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Raymond Gaudin et blâme M. Charles Desmarteau et l’hebdomadaire La Relève pour manque d’équilibre et absence de couverture d’un événement d’intérêt public.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Paul Chénard
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- M. Denis Guénette
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
Date de l’appel
14 December 2016
Appelant
Préambule
Lors de l’étude d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
Griefs de l’appelant
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à deux griefs :
- Grief 1 : manque d’équilibre
- Grief 2 : absence de couverture d’un événement d’intérêt public
Grief 1 : manque d’équilibre
M. Charles Desmarteau estime que le comité des plaintes a fait erreur en jugeant que le journal avait manqué d’équilibre dans sa couverture du projet de construction d’un complexe aquatique à Boucherville.
L’appelant soutient qu’il n’existait aucun groupe d’opposants face au projet de construction d’un complexe aquatique à Boucherville. Il souligne qu’une seule personne, soit M. Gérard Gaudin, frère du plaignant, a exprimé publiquement son opposition au projet. Par ailleurs, bien qu’il ait eu connaissance qu’il y avait des citoyens contre le projet qui ont fait circuler un tract concernant un référendum contre la construction du complexe aquatique, ils l’ont fait de façon anonyme. L’appelant souligne qu’il était donc difficile de contacter une personne responsable.
L’appelant ajoute que le journal a rapporté la tenue du référendum sur le premier règlement d’emprunt, où 900 personnes ont apposé leur signature dans un article de l’édition du 11 novembre 2014. Finalement, M. Desmarteau souligne que M. Gaudin (l’intimé au présent dossier) n’a jamais contacté le journal pour une entrevue afin d’expliquer la position dudit groupe d’opposition.
Les membres de la commission d’appel considèrent que l’événement a suscité beaucoup de controverses dans la communauté et qu’il y avait suffisamment d’opposants au projet, pour offrir une couverture équilibrée.
Les membres de la commission rejettent l’appel sur le grief de manque d’équilibre.
Grief 2 : absence de couverture d’un événement public
M. Charles Desmarteau estime que le comité des plaintes a fait erreur en jugeant que le journal se devait de couvrir la nomination de M. Roger Maisonneuve à titre de directeur général de la Ville de Boucherville qui a fait l’objet d’une plainte au Ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire et au sujet duquel la Commission municipale du Québec avait ouvert une enquête.
L’appelant soumet que le journal a comme « politique éditoriale » de publier une information relative à un recours judiciaire d’un citoyen contre la Ville uniquement lorsque l’instance judiciaire a rendu sa décision.
M. Desmarteau souligne que La Relève a publié un compte-rendu dans son édition du 5 avril 2016, sur la Commission municipale du Québec qui a siégé les 22 et 23 mars 2016, au sujet du directeur général, M. Roger Maisonneuve.
Dans l’ensemble, l’appelant considère qu’il s’agit d’un geste de « partisanerie politique » de la part de l’intimé, plutôt que d’une « information nécessaire », d’intérêt public. De plus, ajoute l’appelant le journal verra à publier la décision de la CMQ lorsqu’elle sera publique.
Les membres de la commission d’appel jugent, contrairement à l’appelant, que la couverture de cet événement était d’un grand intérêt public, que le journal se devait de le couvrir et que sa politique éditoriale n’est pas conforme aux règles déontologiques du journalisme.
Les membres de la commission rejettent l’appel sur le grief d’absence de couverture d’un événement public.
Réplique de l’intimé
L’intimé n’a soumis aucune réplique.
DÉCISION
Après examen, les membres de la commission d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, l’appel est rejeté et le dossier cité en titre est fermé.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 9.3 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
- M. Pierre Thibault
Représentant des journalistes :
- M. Claude Beauchamp
Représentant des entreprises de presse :
- M. Pierre Sormany