Plaignant
Mme Thina Nguyen
Représentant du mis en cause
M. Michel Morin, journaliste, M. Serge Fortin, vice-président, information et le site tvanouvelles.ca
Résumé de la plainte
Mme Thina Nguyen dépose une plainte le 3 juillet 2015 contre le journaliste Michel Morin et le site Internet tvanouvelles.ca pour trois différents reportages diffusés respectivement les 30 juin 2015, 15 juillet 2015 et 25 janvier 2016.
Le site tvanouvelles.ca a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : sensationnalisme
La plaignante juge que deux éléments des trois reportages sont sensationnalistes.
1.1 Voitures de luxe
Selon Mme Nguyen, le reportage du 30 juin 2015 était « sensationnaliste et racoleur » : « Il [M. Michel Morin] s’est amusé à filmer, dans le parking, les automobiles des pharmaciens. » La plaignante note que des images de voitures luxueuses ont également été incorporées au reportage du 25 janvier 2016.
La plaignante estime que ce faisant, le journaliste véhicule une fausse image des pharmaciens, les faisant passer « pour des millionnaires corrompus ». Elle note que malgré le fait que certains pharmaciens ont les moyens de se payer des voitures de luxe, d’autres ont du mal à maintenir leurs pharmacies ouvertes, et que beaucoup travaillent plus de 70 heures par semaine.
1.2 Ristourne de 50 % et exemple irréaliste
M. Morin affirme, dans son reportage du 15 juillet 2015 : « Actuellement, pour un achat de 2 millions [de dollars] de médicaments, un pharmacien propriétaire reçoit au maximum 300 000 $ de ristournes. Cela pourrait passer à 600 000 $ si le pourcentage [d’allocations professionnelles] varie de 15 % à 30 % et même à 1 million, avec 50 % de ristournes ». Mme Nguyen juge ces chiffres « gonflés, irréalistes et non fondés suggérant la malhonnêteté des pharmaciens ». Selon la plaignante, une ristourne de 50 % est « impensable en ce moment ».
Mme Nguyen fait également valoir que l’exemple d’un achat de 2 millions de dollars ne renvoie à aucune réalité vécue par les pharmaciens québécois. Elle explique ainsi que sur une base annuelle, une pharmacie traitant un nombre de prescriptions un peu supérieur à la moyenne (c’est le cas de sa propre pharmacie) achète pour environ 600 000 $ de médicaments génériques. À son avis, le choix de l’exemple de 2 millions de dollars de médicaments a pour conséquence de gonfler de façon arbitraire et sensationnaliste le niveau des allocations reçues par les pharmaciens.
Le Guide de déontologie du Conseil de presse stipule, à l’article 14, portant sur la présentation de l’information, que « Les journalistes et les médias d’information respectent l’intégrité et l’exactitude de l’information dans la présentation et l’illustration qu’ils en font. »
Le Guide précise également, à l’article 14.1, portant sur le sensationnalisme, que « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. »
Le Conseil a analysé les images des deux reportages où l’on voit apparaître à l’écran des voitures de luxe, et ne partage pas l’avis de la plaignante, voulant qu’elles amèneraient le public à voir les pharmaciens comme des « millionnaires corrompus ». De l’avis du Conseil, s’il est vrai qu’elles mettent en évidence le fait que les pharmaciens figurent parmi les bien nantis de la société, ce que la plaignante ne nie pas, d’aucune façon peut-on conclure qu’ils sont ainsi présentés comme étant « corrompus ». De plus, dans la mesure où le reportage portait sur leur rémunération, le choix de ces images était approprié, et ne déformait pas le sujet dont il traitait.
Le Conseil rejette également les prétentions de la plaignante en ce qui concerne le choix du montant de 2 millions de dollars utilisé pour exemplifier le déplafonnement des allocations professionnelles. S’il peut sembler élevé, la plaignante ne fait pas la preuve qu’il est totalement irréaliste comme elle le prétend. Finalement, aux yeux du Conseil, le pourcentage d’allocations professionnelles de 50 % utilisé à titre d’exemple par M. Morin dans le tableau présenté à l’écran durant le reportage n’est pas non plus irréaliste, dans la mesure où le décret gouvernemental modifiant la Loi sur l’assurance médicaments prévoit qu’à partir du 28 octobre 2016, aucun plafond ne viendra limiter le pourcentage des allocations professionnelles, et ce, pour une durée de deux ans et trois mois.
Le grief pour sensationnalisme est donc rejeté.
Grief 2 : inexactitudes
2.1 Impact du déplafonnement des allocations et coût actuel des médicaments
A) Impact sur le coût futur des médicaments
Dans le reportage du 30 juin 2015, M. Amir Khadir tient les propos suivants, lorsqu’il est interviewé par le journaliste au sujet des allocations reçues par les pharmaciens : « C’est pas pour rien qu’en Ontario, c’est illégal. Ici au Québec, c’était immoral et c’était pratiqué. On l’a décrié pendant des années et maintenant, M. Barrette dit : “Non seulement vous pouvez faire du 15 %, mais faites ce que vous voulez en fait, 30 %, 40 %, 50 %.” Tout ça, là, ça veut dire que messieurs et mesdames les Québécois et les Québécoises vont payer plus cher. Déjà au Québec, on paye 30 % plus cher que n’importe où au Canada nos médicaments. »
Mme Thina Nguyen soutient en premier lieu qu’« il est faux de prétendre que les allocations professionnelles feront augmenter le prix des médicaments comme l’a mentionné M. Amir Khadir ».
B) Coût actuel des médicaments
Selon la plaignante, il serait également faux de dire que les médicaments au Québec sont plus chers qu’ailleurs au Canada : « le prix des médicaments est partout le même au Canada. Le prix du médicament est prévu dans la liste des médicaments de la RAMQ et il n’est pas plus élevé au Québec que dans les autres provinces. D’ailleurs le Québec bénéficie du meilleur prix au Canada », affirme Mme Nguyen.
En matière d’inexactitudes, le Guide du Conseil de presse stipule, à l’article 9 (Qualités de l’information) que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
De l’avis du Conseil, on ne saurait reprocher au journaliste l’exactitude des propos tenus par une source comme M. Amir Khadir, essentiellement en raison de son statut de politicien. En effet, le public devait savoir qu’il avait ici affaire à une source partiale, qui n’était donc pas invitée à commenter à titre d’expert, mais bien en sa qualité de politicien, et plus précisément ici pour la critique qu’il formule à l’égard des modifications prévues par le gouvernement libéral. Dans les circonstances, le Conseil juge que le journaliste pouvait exercer légitimement sa liberté rédactionnelle en décidant de se limiter à rapporter fidèlement les propos de M. Khadir sans en questionner leur véracité.
Cet aspect du grief d’inexactitudes est donc rejeté.
2.2 Utilisation du mot « ristourne »
Selon la plaignante, le terme « ristourne », utilisé par M. Morin dans ses reportages, « est un choix éditorial qui sous-entend que les pharmaciens disposent de réductions de prix négociées avec les compagnies pharmaceutiques leur permettant de disposer de l’argent comme ils le souhaitent. C’est faux. Ces allocations professionnelles sont strictement contrôlées, imposables et doivent uniquement être utilisées pour optimiser les services qui sont rendus aux patients ».
À la suite de ses recherches, le Conseil a pu constater que le terme « ristourne » était très largement utilisé, autant par les intervenants politiques eux-mêmes que par tous les autres médias. Le lecteur de nouvelles, qui présente le reportage du 30 juin 2015, précise d’ailleurs dans son introduction que ce dernier traitera des allocations professionnelles, « qu’on appelle des ristournes ».
De plus, s’il est vrai que la loi définit le terme « ristourne » comme un sous-ensemble des allocations professionnelles, il n’en demeure pas moins que ce terme figure bel et bien dans la loi, et qu’il permet au commun des mortels de mieux comprendre ce dont il s’agit que le terme, plutôt vague, d’allocations professionnelles.
Le Conseil rejette également l’interprétation de la plaignante voulant que le terme « ristournes » sous-entendrait forcément que celles-ci serviraient à l’enrichissement personnel des pharmaciens.
Cet aspect du grief d’inexactitudes est donc également rejeté.
2.3 « L’AQPP ne souhaite pas commenter l’entente »
Dans son reportage du 15 juillet 2015, M. Morin affirme : « Le ministre Barrette, tout comme l’Association des pharmaciens propriétaires, ne veulent toujours pas commenter l’entente intervenue pour hausser les ristournes des pharmaciens. »
Selon Mme Nguyen, cette affirmation est fausse. « L’Association est toujours prête à parler aux médias, écrit-elle, tout en notant que les pharmaciens de l’Association attendent que les modalités d’application de l’entente soient établies pour communiquer avec les médias au sujet de l’entente.
Considérant que l’Association des pharmaciens propriétaires a effectivement refusé de commenter l’entente, le Conseil juge que M. Morin n’a pas commis d’inexactitude en faisant l’affirmation que lui reproche la plaignante.
Cet aspect du grief d’inexactitudes est également rejeté.
2.4 Obligation des pharmaciens de communiquer aux patients les changements de génériques
Dans son reportage du 15 juillet 2015, Michel Morin résume ainsi l’inquiétude d’une dame qu’il interviewe : « Elle craint que les pharmaciens choisissent la compagnie qui leur versera le plus de ristournes. […] Depuis quelques années, elle a changé plusieurs fois de compagnie de génériques, sans qu’on lui dise toujours pourquoi on le changeait. » La dame affirme ensuite : « Ils me le disaient quand je leur disais [demandais], mais ils ne me le disaient pas, eux autres, avant. »
Mme Nguyen soutient que « les pharmaciens sont dans l’obligation de prévenir les patients lorsqu’ils changent leur médicament et de leur en expliquer les raisons. » Elle ajoute que « tout pharmacien est dans l’obligation de respecter les différentes pratiques et réglementations qui régissent la profession. »
Le Conseil rejette également cet aspect du grief d’inexactitudes, puisque dans le reportage contesté personne ne nie l’existence de l’obligation pour le pharmacien d’informer les patients d’un changement de médicament et du motif justifiant cette décision.
Le grief pour inexactitudes est ainsi rejeté sur les quatre points soulevés par la plaignante.
Grief 3 : information incomplète
3.1 Compressions de 400 M$, effet compensatoire des allocations et services aux patients
Mme Nguyen juge que M. Morin aurait dû préciser, dans ses reportages, que le déplafonnement des ristournes « permettra d’atténuer en partie les compressions de 400 millions de dollars pour 3 ans que devront subir les pharmaciens au Québec. » Ces allocations sont donc compensatoires, souligne la plaignante, qui ajoute qu’elles serviront à financer des services aux patients. Ne pas mentionner ces éléments amène le public à croire que les allocations sont une mesure d’enrichissement pour les pharmaciens, ce qui n’est pas le cas, soutient Mme Nguyen.
En matière de complétude, le Guide du Conseil de presse stipule, à l’article 9 (Qualités de l’information) que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Le Conseil rejette sur ce point les prétentions de la plaignante. En effet, le reportage du 30 juin 2015, portant sur les négociations entre le gouvernement et les pharmaciens propriétaires, présente d’entrée de jeu un pharmacien propriétaire qui affirme qu’il s’attend « à une surévaluation des ristournes qu’on reçoit pour compenser les pertes qu’on a avec le nouveau projet Barrette ». Plus tard dans le même reportage, M. Morin affirme lui-même que « le gouvernement a réduit les coupures des pharmaciens de 177 à 133 millions de dollars », ce qui revient à rappeler que les compressions seront de 400 millions de dollars sur 3 ans. L’information a donc bel et bien été présentée au public.
Cet aspect du grief est ainsi rejeté.
3.2 Raisons expliquant le changement d’un médicament par un pharmacien
Dans son reportage du 15 juillet, où il est question d’une dame qui s’est vue changer de compagnie de médicaments génériques plusieurs fois, le journaliste aurait dû mentionner que « plusieurs raisons peuvent expliquer le changement de médicaments », selon Mme Nguyen. Cette dernière estime qu’il est normal que cette situation génère des questions, mais « malheureusement, le reportage ne nous fournit pas les détails nécessaires qui pourraient nous permettre d’établir une réponse éclairée. »
Pour le Conseil, l’information dont la plaignante déplore l’absence n’était pas essentielle à la compréhension du sujet.
Cet aspect du grief est ainsi rejeté.
3.3 Bonification de la rémunération des pharmaciens en Ontario et situation ailleurs au Canada
Dans son reportage du 25 janvier 2016, M. Morin dit : « De l’aveu même du président [de l’Association des pharmaciens propriétaires du Québec], il est aussi clair que ce mode de rémunération avec des ristournes, qui sont d’ailleurs interdites en Ontario depuis 2010, est loin d’être idéal. »
Mme Nguyen déplore que « Michel Morin affirme que les ristournes sont abolies en Ontario mais […] ne mentionne pas que le gouvernement a bonifié son offre de rémunération en Ontario contrairement au Québec où les pharmaciens ont subi une coupe de 400 M. » La plaignante juge en outre que M. Morin aurait dû mentionner que les allocations sont permises dans la majorité des provinces du Canada.
Aux yeux du Conseil, il est vrai que les éléments de contexte évoqués sur ce point par la plaignante auraient probablement permis d’avoir une compréhension plus fine de la question qui était traitée, mais on ne peut affirmer qu’ils étaient absolument essentiels à la compréhension du sujet.
Cet aspect du grief est donc également rejeté.
Le grief pour information incomplète est donc rejeté.
Grief 4 : manque d’équilibre
Dans le reportage du 25 janvier 2016, Mme Nguyen estime que M. Morin « a coupé les explications » de représentants de la profession de pharmacien, M. Jean Bourcier (vice-président exécutif et directeur général de l’Association des pharmaciens propriétaires du Québec) et M. Bertrand Bolduc (président de l’Ordre des pharmaciens du Québec). « M. Morin a donné plus de “quote time” en secondes au représentant de l’industrie pharmaceutique (20 secondes) qu’aux 2 représentants de la profession cités ci-haut (2 X 6 secondes). »
En matière d’équilibre, le Guide du Conseil de presse stipule, à l’article 9 (Qualités de l’information), que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ».
À de multiples reprises, le Conseil a établi qu’en matière journalistique, l’équilibre ne se mesurait pas de manière arithmétique, l’obligation qui incombait aux journalistes et aux médias d’information étant plutôt de rapporter, en toute équité, les différents points de vue des parties en présence. Dans le présent cas, le Conseil juge que les mis en cause ont satisfait à cette obligation.
Le grief pour manque d’équilibre est rejeté.
Refus de collaborer
Le site tvanouvelles.ca a refusé de répondre à la présente plainte.
Le Conseil déplore le fait que le site tvanouvelles.ca ait refusé de répondre, devant le Tribunal d’honneur, de la plainte les concernant.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Thina Nguyen contre le journaliste Michel Morin et le site tvanouvelles.ca, pour les griefs de sensationnalisme, d’inexactitudes, d’incomplétude et de manque d’équilibre.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Adélard Guillemette
Représentant des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Jed Kahane
- M. Raymond Tardif
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C24A Manque de collaboration