Plaignant
École Félix-Leclerc et Mme Diane Vallée, directrice
Mis en cause
Mme Louise Leduc, journaliste, M. Alexandre Pratt, directeur de l’information, le quotidien La Presse, La Presse+ et le site lapresse.ca
Résumé de la plainte
Mme Diane Vallée, directrice de l’école Pointe-Claire, porte plainte contre Mme Louise Leduc, journaliste, le quotidien La Presse, La Presse+ et le site lapresse.ca, relativement à l’article intitulé « Pas de cérémonie de remise de diplômes pour un jeune autiste ». La plaignante relève des inexactitudes et du sensationnalisme à la une du journal, ainsi qu’une information incomplète, un manque d’équilibre et de la partialité.
L’article fait état de la déception des parents d’un jeune autiste (Trevor) qui n’a pas été convié à la cérémonie de remise des diplômes de son école secondaire et soulève des questions quant aux motifs invoqués par la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB).
Analyse
Grief 1 : inexactitudes et sensationnalisme
Mme Vallée juge mensonger et sensationnaliste le titre à la une de La Presse (version imprimée) du 7 mai 2014 : « Un élève de second ordre – Un jeune autiste de Pointe-Claire est écarté de la cérémonie de remise des diplômes de l’école qu’il fréquente depuis cinq ans, même s’il y a achevé son cheminement scolaire ».
Mme Vallée souligne l’insistance dont elle-même et le porte-parole de la CSMB ont fait preuve, lors d’échanges avec la journaliste, sur le fait que le jeune homme n’était qu’à mi-chemin de ses études secondaires et qu’il ne les avait donc pas terminées.
La plaignante souligne en outre que « ce n’est pas en raison de son handicap [que Trevor] n’est pas invité », mais bien parce qu’il n’a pas terminé son parcours scolaire.
Me Patrick Bourbeau, pour les mis en cause, réfute que la une soit sensationnaliste ou mensongère « puisqu’ils [le titre et le sous-titre] reflètent l’information qui est véhiculée dans le texte, soit le fait que l’adolescent […] ne sera pas traité de la même manière que ses collègues fréquentant le programme dit “régulier” et ce, malgré le fait que son cheminement scolaire spécialisé à son école secondaire soit terminé, en ce sens qu’il quittera forcément cette institution à la fin de l’année scolaire, au même titre que le leur. »
Mme Leduc souligne que, comme elle l’a mentionné dans son article, « Trevor Jackson est arrivé “en bout de piste” de son “cheminement particulier” […] à l’école Félix-Leclerc ».
Dans son guide Droits et responsabilités de la presse (DERP), le Conseil souligne que : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (p. 26)
Le guide stipule également que : « Les médias et les professionnels de l’information doivent traiter l’information recueillie sans déformer la réalité. Le recours au sensationnalisme et à l’”information-spectacle” risque de donner lieu à une exagération et une interprétation abusive des faits et des événements et d’induire le public en erreur quant à la valeur et à la portée réelles des informations qui lui sont transmises. » (p. 22)
Enfin, on peut également y lire que : « Les manchettes et les titres doivent respecter le sens, l’esprit et le contenu des textes auxquels ils renvoient. » (p. 30)
Le Conseil constate que le sous-titre de la une spécifie, en faisant référence à l’école Félix-Leclerc, désignée par l’adverbe « y », que Trevor « y a achevé son cheminement scolaire », ce qui est exact, puisqu’il doit poursuivre ses études dans un autre établissement.
Le grief d’inexactitude est rejeté sur ce point.
Cependant, le lien apparent entre le handicap de Trevor et son exclusion, à la une de La Presse, donne à penser que le jeune homme a été victime de discrimination. Cette impression se cristallise dans le titre : « Un élève de second ordre ». Or, le Conseil estime qu’en lisant le texte, on se rend compte que ce n’est pas le cas et que la une de La Presse déforme la réalité et ne respecte pas le sens de l’article.
En ce sens, le Conseil conclut, à la majorité, que les mis en cause ont véhiculé une information inexacte et sensationnaliste à la une de La Presse.
Le grief d’inexactitudes et sensationnalisme est donc retenu sur ce point à l’encontre de La Presse.
Deux membres du comité expriment cependant leur dissidence à cet égard. Ils font valoir qu’il n’y a aucun doute à l’effet que l’autisme de Trevor est à l’origine de son exclusion de la cérémonie de remise des diplômes et que refléter ce fait à la une ne constituait pas une faute.
Au vu de tout ce qui précède, le grief d’informations inexactes et sensationnalisme est retenu, à la majorité.
Grief 2 : information incomplète et manque d’équilibre
Selon Mme Vallée, des éléments d’information auraient dû être présents explicitement dans l’article de Mme Leduc, pour la bonne compréhension des lecteurs : l’école Félix-Leclerc n’offre pas le deuxième cycle pour les élèves autistes; les élèves des programmes spécialisés de Félix-Leclerc passent entre trois et cinq ans au premier cycle, puis vont poursuivre leur 2e cycle dans une autre école; Trevor aura donc droit à sa soirée de graduation dans sa future école.
Mme Vallée estime que les omissions, notamment au sujet de la cérémonie de la future école de Trevor, introduisent un biais considérable, ce qui n’aurait pas été nié par M. Alexandre Pratt, directeur de l’information de La Presse, lors d’une conversation téléphonique avec la plaignante, après la publication de l’article.
Selon la plaignante, ces omissions diminuent le poids des explications fournies par l’école et introduisent un manque d’équilibre dans l’article, lequel est aggravé par le fait que « les huit premiers paragraphes du papier donnent la parole à la maman [Maryse Savoie, mère de Trevor] avant d’obtenir le point de vue de la direction ».
Mme Vallée mentionne que Mme Leduc a publié un article de suivi qui incorporait les éléments manquants, mais selon la plaignante, « il était déjà trop tard », en raison de la controverse provoquée par le premier article dans les médias et les médias sociaux.
Le fait que l’école Félix-Leclerc n’offre pas le deuxième cycle pour les élèves autistes et que Trevor devait aller poursuivre sa scolarité dans un autre établissement était évident pour le lecteur, soutient Mme Louise Leduc.
Quant à l’argument de la plaignante, à l’effet que Trevor aura droit à sa soirée de remise des diplômes dans sa future école, Mme Leduc dit avoir fait le choix de ne pas le mentionner dans son premier article pour diverses raisons, notamment parce que « ce n’est pas un fait », car rien ne prouve que Trevor aura droit à une remise de diplôme, puisque cela dépend des pratiques de sa future école et de sa réussite au programme.
Me Bourbeau nie que M. Alexandre Pratt « ait reconnu de quelque manière que ce soit, ne serait-ce que par son silence, que “l’absence de mention d’une fête de graduation à venir dans la nouvelle école de l’élève autiste amène un biais considérable” ».
Quant à l’équilibre, Mme Leduc affirme que les arguments de chacun ont été amplement rapportés, autant dans l’article visé par la présente plainte que dans l’article de suivi.
Dans son guide DERP, le Conseil stipule que : « Le choix des faits et des événements rapportés, de même que celui des questions d’intérêt public traitées relèvent de la discrétion des directions des salles de nouvelles des organes de presse et des journalistes ». (p. 14)
Le guide souligne également que : « Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. Dans les cas où une nouvelle ou un reportage traite de situations ou de questions controversées, ou de conflits entre des parties, de quelque nature qu’ils soient, un traitement équilibré doit être accordé aux éléments et aux parties en opposition. » (p. 26)
À la lecture de l’article, le Conseil constate que les éléments essentiels à la compréhension du sujet s’y trouvent, et que la journaliste a usé de façon raisonnable de sa liberté éditoriale en effectuant le tri de l’information à publier dans son article.
D’autre part, le Conseil constate que la directrice de l’école a amplement eu l’occasion de s’exprimer dans l’article.
Le grief d’information incomplète et de manque d’équilibre est donc rejeté.
Grief 3 : partialité
Mme Vallée estime que le titre apparaissant en une de la version imprimée de La Presse du 7 mai, « Un élève de second ordre » donne un ton partial à l’article.
Selon Mme Vallée, la partialité de la journaliste s’exprime également par le style employé : « L’article de Mme Leduc est écrit à l’allure d’une chronique, comme en fait foi [la première phrase :] “Ça, c’est une bataille que Maryse Savoie ne pensait jamais avoir à mener.” »
Me Patrick Bourbeault fait valoir que le titre de la une « reflète l’information véhiculée dans le texte » et qu’il est compatible avec les faits : « Un élève tel que lui [Trevor] n’avait pas le droit à la même reconnaissance que ses compères et était donc, de fait, traité comme un élève de second ordre qui ne recevrait pas d’invitation à la cérémonie de remise des diplômes. »
Mme Leduc soutient que lorsqu’elle écrit : « Ça, c’est une bataille que Maryse Savoie ne pensait jamais avoir à mener », elle n’affirme pas « que c’est un combat que la mère n’aurait pas dû avoir à mener (ce qui aurait été une opinion) ».
Dans le guide de déontologie du Conseil, on peut lire : « En ce qui a trait à la nouvelle et au reportage, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte sans les commenter. Quel que soit l’angle de traitement retenu pour une nouvelle ou un reportage, les médias et les journalistes doivent transmettre une information qui reflète l’ensemble d’une situation et le faire avec honnêteté, exactitude et impartialité. » (DERP, p. 26) Les responsables doivent par ailleurs « veiller à ce que les manchettes et les titres ne servent pas de véhicules aux préjugés et aux partis pris ». (DERP, p. 30)
Le Conseil est d’avis que le ton et le style employés par la journaliste ne confèrent pas un caractère partial à l’article, dans lequel elle se contente de relater les faits, sans les commenter.
Cependant, le Conseil juge, à la majorité, que le titre de la une de La Presse, « Un élève de second ordre » n’est pas de l’ordre des faits, mais bien un jugement de valeur.
Pour cette raison, le grief de partialité est retenu contre La Presse.
Sur ce point, deux membres du comité des plaintes ont exprimé leur dissidence quant au fait que le titre serait assimilable à un jugement de valeur. Pour ces membres, le caractère discriminatoire de la décision de l’école n’est pas une question d’intention de la part de la direction, mais constitue un effet réel de cette décision sur les élèves visés. Ainsi, dès leur admission à l’école Félix-Leclerc, les élèves qui sont dans le cheminement particulier sont assurés d’être écartés de la remise de diplôme qui est d’abord et avant tout, une cérémonie symbolique visant à souligner la fin du parcours scolaire des élèves ayant fréquenté la cette école. La seule raison de cette exclusion est le handicap intellectuel dont souffrent les élèves, ce qui constitue un critère discriminatoire. Le titre était donc justifié par les faits de l’affaire.
Décision
Au vu de tout ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Diane Vallée et blâme, à la majorité, le quotidien La Presse pour les griefs d’informations inexactes et sensationnalisme et de partialité. Cependant, il rejette, à l’unanimité, le grief d’information incomplète et de manque d’équilibre.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9. 3)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Micheline Bélanger
- M. Adélard Guillemette
- Mme Audray Murray
- Mme Micheline Rondeau-Parent
Représentants des journalistes :
- Mme Caroline Belley
- M. Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
- M. Luc Simard
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue